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Prise en charge juridique et judiciaire d’un patient en situation de litige

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Sous l’ancien régime, Loysel, quand il s’agissait d’expliquer le principe et les règles des obligations réciproques, se référait à l’adage selon lequel « on lie les hommes par la parole et les taureaux par les cornes ». Si le contrat sui generis est fondé sur la parole, le contrat de soins repose avant toute chose sur une confiance réciproque. Je remets, comme patient, ma santé entre les mains du sachant, le praticien, et je n’ai d’autre solution que de lui faire confiance, ne pouvant tenir le débat.

En cas de litige, la problématique principale deviendra la perte de confiance voire la déchéance du piédestal du praticien, laquelle se traduira par une volonté de vengeance contre le praticien, d’une part, et une défiance envers tout nouveau praticien, d’autre part. Le second contrat de soin perd ainsi son affectio-societatis, son envie de vivre une étape ensemble, pour ne redevenir qu’une simple convention. Par analogie, nous pourrions dire qu’il devient un mariage sans amour. Nous ne serons plus dans un consentement libre, mais dans un consentement contraint.

A cette problématique de validité du consentement s’ajoute celle de la relation non causée. La première relation thérapeutique était la résultante d’une discussion sur la mise en œuvre d’un traitement apparaissant nécessaire avec un résultat, thérapeutique ou esthétique, attendu. La seconde est non causée puisqu’elle vise au mieux à parvenir au premier résultat envisagé, au pire à rétablir l’état initial. La relation thérapeutique devient ainsi par extension non causée.

Dans ces conditions, l’obligation d’information médicale va devenir plus délicate, notamment dans l’explication de la balance bénéfice-risque. L’information sur les risques connus deviendra aussi importante que le bénéfice escompté. Elle devra être démontrable, notamment en s’assurant d’une traçabilité écrite dans le dossier médical. L’indication supplémentaire de la mention “sous toute réserve” pourrait voir à s’imposer : sous réserve de complication, notamment non programmée.

La confraternité sera également mise à rude épreuve, car le praticien devra s’interdire de dénigrer le praticien précédent, et donc éviter tout commentaire sur la qualité des soins.

Autre difficulté et non la moindre, le praticien qui reprend les soins devra procéder à l’information financière, et trouver un accord non seulement sur le traitement, mais aussi sur son prix. Celui-ci sera probablement supérieur au montant du devis initial car les soins seront plus nombreux, techniques, et exécutés dans un contexte sanitaire et émotionnel délicat (greffes osseuses, implants, deuil des dents naturelles…). Mais surtout, le praticien devra négocier avec un patient qui n’est plus forcément solvable. Le risque est ici assez important de tomber dans la tentation d’inviter le patient à saisir l’assurance responsabilité civile du praticien précédent, dans l’espoir que celle-ci financera le devis qu’il propose.

Cette posture est toutefois à prohiber. Déjà, elle pose un questionnement éthique, voulant que l’on incite le patient à agir contre son confrère. Ensuite, nous ne saurions préjuger du résultat du compte rendu des expertises, ni du ou des règlements amiables ou judicaires du litige. Elle ne garantit donc ni du paiement, ni du montant du paiement. La solvabilité n’est donc pas assurée, d’autant plus qu’une expertise in futurum ne saurait judiciairement s’accompagner d’une demande de provision. Enfin, le règlement du litige peut durer plusieurs années, et le patricien d’attendre autant le règlement de ses honoraires, dans un temps où tout recouvrement de créance sera prescrit.

Cette insolvabilité sera d’autant plus significative qu’elle impactera l’ensemble du traitement. En effet, l’assurance maladie n’assurera pas en première intention la reprise d’un traitement qu’elle a d’ores et déjà réglé. Il faudra négocier un accord avec la ou les CPAM, qu’elle demeura libre ou non d’accepter. Dans le même ordre d’idée, la prise en charge par la complémentaire santé nécessitera d’âpres discussions. Le financement sera donc certainement assuré par compte de tiers (crédit conso, famille…), ce qui est pourtant à proscrire.

Une fois la cause entendue, le praticien devra se protéger à plusieurs titres.

Déjà, force est de constater qu’un patient qui a attaqué un premier praticien n’hésitera aucunement à saisir la justice contre le second si ce denier venait également à pêcher voir même simplement à échouer.

La prudence est donc de mise, et il convient de vérifier si l’assurance responsabilité civile professionnelle a bien été réglée.

Par suite, il devra constater ou faire constater l’état initial du patient, c’est à dire l’état dans lequel il l’a récupéré avant de commencer ses propres soins.

Radiographies, cone bean, photographies, voir constatation judiciaire sont de mises.

Enfin, il devra régulièrement attester de la qualité de ses travaux, aux différentes étapes du traitement, selon les mêmes modalités.

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Demeure la question du médico-légal : qui sera, en cas de procès, responsable de quoi ? Il est d’usage de dire que l’on prend la victime dans l’état où on l’a trouvé, et que l’aggravation n’est que la continuité de la responsabilité initiale. Ainsi, si le dommage final est imputable à la faute initiale, le praticien ayant repris les soins ne saurait en être responsable.

En revanche, si le second praticien initie un nouveau dommage, quand bien même il serait la résultante de la complexité de la situation, celle-ci lui sera imputable, car elle ne préexistait pas à sa reprise de traitement. Entre la causalité adéquate et l’équivalence des conditions, la jurisprudence penche ces dernières années au gré des vents, voulant néanmoins que la cause principale entraîne la responsabilité.

Ainsi, en cas d’aggravation des conséquences d’un accident de la circulation, la jurisprudence aura tendance à l’imputer à la causalité initiale. Ainsi, l’automobiliste ayant provoqué l’accident initial est tenu de réparer le préjudice résultant d’une transfusion défectueuse (arrêt “Courtellemont”, CA Paris, 7 juillet 1989), l’accident ayant rendu nécessaire la transfusion (Cass. Civ. 1,4 décembre 2001, Bull. Civ n°310).

En revanche, le second praticien demeurera personnellement responsable de ses propres actes et agissements, il convient donc non seulement d’établir une constatation, mais également de valider le processus d’information et de consentement.

En droit, comme en déontologie, l’innocent sera donc principalement celui qui ne nuit pas (primum non nocere), et qui pourra faire constater d’une amélioration.

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Conclusion

Nous conclurons cette réflexion médico-légale par la dernière réforme de la loi santé du 26 janvier 2016, qui impose d’entrée de jeu au professionnel de santé d’informer son patient du respect de son obligation de souscrire à une compagnie d’assurance notoirement solvable. Il suffira donc au patient de saisir l’assurance de son nouveau praticien. A l’instar de Talleyrand, reconnaissons que « les mécontents, ce sont des pauvres qui réfléchissent ».

Article L1111-3-6

Créé par LOI n°2016-41 du 26 janvier 2016 – art. 217

Lors de sa prise en charge, le patient est informé par le professionnel de santé (…), que ce professionnel ou cette personne remplit les conditions légales d’exercice définies au présent code.

Le patient est également informé par ces mêmes professionnels ou personnes du respect de l’obligation d’assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d’être engagée dans le cadre des activités prévues au même article L. 1142-1.

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A propos de l'auteur

Maître Laurent DELPRAT

Avocat à la Cour
Docteur en droit
Lauréat de l’académie nationale de chirurgie dentaire 2007

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