Dr P. Pirnay : L’Académie nationale de chirurgie dentaire fête son demi-siècle d’existence : quelle est sa mission et que peut-elle apporter à notre profession ?
Pr. Claude SEVERIN : Notre Académie a cinquante ans. Cependant, les prémices de notre compagnie se retrouvent au XIXe siècle. Les deux principales écoles parisiennes, l’Ecole dentaire de Paris et l’Ecole odontologique, proposaient déjà des séances scientifiques et techniques. Sous l’impulsion des quatre « mousquetaires » André Besombes, Alexandre Renard-Dannin, Robert Ibos et Roger Rialland, le bureau de notre Académie est installé le 9 juillet 1956. Le Journal Officiel officialise le 20 juillet 1956 cette création qui sera couronnée par la reconnaissance d’utilité publique.
Si je suis convaincu de l’utilité d’une académie dans le domaine de la santé, mais également dans les autres secteurs de la recherche et de la connaissance, j’ai l’impression que ce sentiment n’est pas encore partagé par l’ensemble des composantes de notre profession et je le regrette profondément. Préserver le patrimoine des valeurs et des acquis du passé, confirmer ou valider les connaissances nouvelles et leurs applications, être un organe de réflexion et de référence, être le surveillant vigilant et indépendant de l’éthique, constituer l’expression dynamique au plus haut niveau de notre profession, tels sont les éléments qui justifient le rôle de notre Académie et qui légitiment son existence.
Dr P. : Comment pensez-vous voir évoluer ses missions dans les années à venir ?
Pr. C. S. : L’évolution rapide des connaissances scientifiques, techniques et thérapeutiques associée aux mutations sociétales affectant les relations praticiens-patients, va renforcer le rôle de notre compagnie. Notre intervention dans le domaine scientifique, évidente pour beaucoup, devient incontournable. Mais c’est certainement dans le domaine de l’éthique et de la morale que notre compagnie devra s’impliquer encore davantage. La création récente du Comité national odontologique d’éthique, à l’initiative de notre Académie, est à cet égard très significatif. Le rôle initial et essentiel au sein du groupe de concertation des académies des sciences de la vie et de la santé constitue d’ailleurs un volet important de l’activité de notre compagnie et conforte notre statut d’acteur de santé.
Pour accomplir ces taches, l’Académie se doit d’être plus réactive et plus efficace ; peut-être en veillant au recrutement de ses nouveaux membres afin d’assurer une diversité de profils et de compétences. Il convient également, sans parler de marketing, de réaliser la promotion de notre compagnie afin de la faire mieux connaître des praticiens mais aussi hors de notre profession.
Dr P. : Qui sont les académiciens qui la composent et comment travaillent-ils au sein de l’institution ?
Pr. C. S. : Je pourrais emprunter à notre confrère Philippe Pirnay la définition suivante : « l’Académie est une institution prestigieuse et travailleuse, composée de membres réputés immortels et indépendants de tout groupe de pression. » Plus précisément, les membres peuvent être honoraires, titulaires, associés nationaux ou associés étrangers. Ils sont cooptés parmi les confrères ou autres acteurs de santé reconnus pour leurs compétences et leurs engagements au service de la santé bucco-dentaire.
Les membres titulaires, au nombre de 70, constituent le noyau dur de notre institution et s’impliquent dans son fonctionnement par leur participation aux séances de travail mensuelles, aux commissions spécialisées ou groupes de travail thématiques ainsi qu’aux deux séances officielles annuelles.
Les résultats des travaux, après validation par le conseil d’administration, sont rendus publics et publiés dans le bulletin annuel de l’Académie. Les thèmes de réflexion sont déterminés par autosaisine ou à l’initiative du ministère de la Santé, de l’Ordre national ou de la profession.
Dr P. : Le grand public et les praticiens connaissent l’existence de l’Académie nationale de médecine qui publie un grand nombre de rapports, d’avis et de communiqués largement diffusés. La profession connaît peut-être un peu moins son Académie : Pensez-vous qu’elle ait trouvé toute sa place aux cotés des institutions dentaires ?
Pr. C. S. : L’Académie nationale de médecine est bien connue des médecins, des scientifiques et des universitaires, il faut bien admettre qu’il n’en est pas encore de même pour notre Académie de chirurgie dentaire.
On pourrait attribuer ce constat à la jeunesse de notre compagnie. Cependant, je regrette que sur quarante mille chirurgiens-dentistes français, aussi peu de confrères s’intéressent à leur Académie. Pourtant, la caution morale éthique et scientifique apportée par l’Académie conforte, s’il est encore besoin, notre profession dans son rôle d’acteur de santé à part entière. Cela est évident en médecine, ceci ne l’est pas encore en odontologie.
Dr P. : Quel est votre plus agréable souvenir dans votre exercice de praticien ?
Pr. C. S. : Lorsque je porte un regard sur l’ensemble de ma vie professionnelle, je pense avoir fait le bon choix le jour où j’ai décidé d’exercer en qualité d’universitaire et praticien hospitalier à temps plein. J’ai pu ainsi satisfaire mon attraction vers la recherche et créer ex nihilo un laboratoire qui maintenant est devenu unité associée à l’INSERM. Cette reconnaissance représente à mes yeux la réussite dont rêve tout universitaire et concrétise l’épanouissement d’une carrière.
Dr P. : Pour finir, et souhaitant au président de l’Académie un « joyeux anniversaire », quelle expérience souhaiteriez-vous partager avec nos confrères ?
Pr. C. S. : Le Conseil national de la formation continue odontologique vient d’être installé par le ministre de la Santé et des Solidarités. Les membres m’ont choisi comme président et j’en suis fier. En effet, ce conseil regroupe toute la profession : l’Ordre, les universitaires-praticiens hospitaliers, les syndicats professionnels et les organismes de formation continue fédérés au sein de l’Association Dentaire Française.
Cette structure oecuménique est à mes yeux essentielle. Elle concrétise mon désir permanent de voir la profession unie quels que soient le mode d’exercice et le type d’engagement de chacun. L’Académie se doit d’accompagner les confrères dans cette nouvelle aventure et de les faire bénéficier de réflexions, de conseils, d’avis scientifiquement établis et transmis de façon totalement désintéressée.