En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts.

LEFILDENTAIRE est un site réservé aux professionnels de la santé dentaire.
Si vous n'êtes​ pas un professionnel de santé, vous pouvez obtenir des réponses à vos questions par des experts sur Dentagora.fr en activant le bouton Grand Public.

Je suis un professionnel Grand Public

Rencontre avec le Docteur François Unger

0

Exerçant en cabinet libéral depuis presque 40 ans, « prothésiste dentaire », attaché de consultation, maître de conférences, éditeur de revue dentaire, ex-rédacteur en chef d’Information Dentaire, conférencier reconnu et plus récemment président du comité scientifique de l’ADF 2009, François Unger a pu, au cours d’une carrière brillante et déjà bien remplie, explorer toutes les facettes de notre profession. C’est un homme intègre qui a profité des expériences accumulées pour analyser en profondeur l’odontologie Française. Il nous livre sans langue de bois sa vision de notre profession en analysant ses faiblesses et en tentant de donner des pistes pour les prochaines générations.

Pouvez-vous nous résumer votre parcours depuis la fin de vos études jusqu’à ce jour ?

Je fus diplômé de Nantes en 1973 ; l’époque était à s’installer au plus vite. Ce que j’ai fait en octobre de la même année en créant un cabinet de campagne en Touraine. Jouxtant ce cabinet, j’ai créé un petit laboratoire de prothèse dans lequel j’ai d’abord réalisé mes prothèses. Ce laboratoire a évolué ensuite sous une forme de SCM confraternelle dans laquelle nous avons eu 6 employés. Après plus de 20 ans de gestion bénévole ce laboratoire a été confié à un prothésiste dentaire qui avait de bonnes exigences de qualité et une réelle envie de s’agrandir.

Mes premières années d’exercice m’ont montré que je devais poursuivre ma formation. À partir de 1977, j’ai consacré au moins une journée par semaine à ma formation continue : sept CES, puis une thèse de troisième cycle à Paris. J’ai aussi bénéficié d’une certaine approche de la recherche grâce à Suzanne Clergeau qui dirigeait le laboratoire d’histologie de Nantes et à qui je dois beaucoup. Je dois également beaucoup de mon plaisir de travailler à Albert Jeanmonod, qui était responsable du CES de prothèse fixée de Garancière et qui m’a fait découvrir l’occlusodontologie avec sa passion de clinicien. Grâce à lui, j’ai pu participer pendant quelques années aux consultations qu’il faisait à Garancière. Ce fut un moment de formation intense. Après ma thèse de troisième cycle en 1982, j’ai décidé de créer un nouveau cabinet à Tours. En 1986, un collègue nantais m’a demandé de venir comme attaché à la faculté. L’année suivante, j’y fus nommé assistant en prothèses et dans le même temps j’ai entrepris un travail de recherche en vue d’une thèse d’université. Ce travail se menait au laboratoire de physiologie de la faculté de médecine de Tours du professeur Thouvenot.

Parallèlement, j’avais commencé, avec l’IRSA, des recherches épidémiologiques sur le thème des désordres temporo-mandibulaires. Notre échantillon de 105 000 patients avait beaucoup impressionné lors de ma présentation à l’IADR à San Francisco. Après mon doctorat d’université de 1991, j’obtins un poste de maître de conférences en prothèses, à temps partiel hospitalier, à la faculté d’odontologie de Nantes où je suis toujours en fonction. Cet exercice à temps partiel m’autorise à conserver une activité clinique de cabinet de ville, où je suis associé avec trois autres praticiens. Actuellement, mon activité libérale, de deux jours par semaine, est quasi exclusivement orientée sur l’occlusion et la prise en charge des désordres temporo-mandibulaires. J’aime cette activité clinique qui est, à la fois, le centre et l’objectif de tout ce que je fais en odontologie. En plus de mon travail au fauteuil ou universitaire, j’ai toujours eu des activités syndicales ou d’édition tant il me paraît indispensable de fédérer mes confrères autour de solidarités fortes au service des patients.

Vous avez le privilège cette année d’avoir été choisi comme président scientifique du congrès de l’ADF. Pouvez-vous nous décrire les grands axes et nous expliquer les raisons de ces choix ?

C’est effectivement un honneur d’être choisi comme président scientifique du congrès de l’ADF qui est, rappelons le, la plus grande manifestation européenne de formation continue pour les chirurgiens- dentistes. L’objectif de l’ADF, quel que soit son président (Jean Claude Michel cette année) et son président scientifique, est d’essayer de proposer un ensemble de formations, théoriques et pratiques, qui répondent aux besoins des praticiens et signalent les points forts des évolutions professionnelles. L’ADF est une belle machine, bien rôdée, qui propose des modalités pédagogiques variées permettant d’organiser des séances de formation continue sous des formes très diverses : conférences, ateliers de travaux pratiques ou de démonstration, séance télévisée en direct, cycles de formation à une discipline, grands cours et séances interactives… Ce congrès offre vraiment des possibilités très larges de formation. 140 séances sont programmées cette année ! Bien entendu une telle organisation s’appuie sur des « permanents » de l’ADF qui connaissent très bien leurs sujets et qu’il faut remercier. Je pense à Viviane Aumont, Rondro Ravalomanana, Didier Pichelin…

Pour la conception elle-même du programme scientifique, c’est tout un comité, que j’ai pu choisir librement, qui a oeuvré. La cohésion de cette équipe est fondamentale et je dois dire que j’ai eu la chance de travailler avec des consoeurs et confrères qui ont été extraordinaires. Christian Decloquement a eu un grand rôle comme secrétaire de ce comité scientifique. Je ne peux citer tous les membres mais vous verrez leurs visages dans le programme de l’ADF. C’est incroyable de voir comment des gens qui s’entendent peuvent déplacer des montagnes ! Et nous en avions une grosse à déplacer, d’un commun accord : nous voulions le plus possible que les programmes des séances soient vus sous l’angle de l’omnipratique et ne se contentent pas d’une approche disciplinaire unique. Les praticiens soignent des patients globaux et organisent des chronologies de traitement qui cumulent différentes disciplines…

Nous avons essayé de construire un programme qui soit proche des questions quotidiennes des praticiens. Nous verrons à la lecture des évaluations des séances si nous avons répondu aux attentes des congressistes.

Votre activité a couvert tout le spectre du dentaire, y compris rédacteur en chef de l’Information Dentaire. Parlez-nous de votre vision du monde dentaire, de ses forces et de ses faiblesses. Que pensez-vous des conditions d’exercice des chirurgiens-dentistes en France ? Que peuvent-ils faire pour les améliorer ?

Voilà des interrogations qui m’interpellent depuis 36 ans. Il faut répondre en se méfiant des certitudes. Ce que je vois, c’est une profession qui dans l’ensemble jouit d’une position sociale enviable, de la confiance de la population, mais qui au fond, pour un très grand nombre de praticiens, ne cadre pas avec les poncifs que véhiculent les médias. J’observe, ou je vis, des contradictions qui m’apparaissent très dangereuses. En fait, il faut s’en tenir à notre fonction sociale qui est de soigner. Et souvent je pense à une phrase d’Ambroise Paré (1550), chirurgien s’il en est : « Ce n’est pas grand-chose de feuilleter des traités et de caqueter en chaire si la main ne besogne ». Cette phrase dit tout le respect que j’ai pour cette fonction de soignant des chirurgiens-dentistes au jour le jour. Mais, comment peut-on accepter de travailler à des tarifs qui ne couvrent pas les dépenses qui devraient être engagées ?

Un jour ou l’autre on nous désignera comme des tricheurs et rien ne servira de se plaindre des assureurs. La convention qui impose des tarifs ne permettant pas d’assurer la sécurité sanitaire des patients (au regard des normes hospitalières qui nous seront imposées) a bon dos : comment expliquer le manque de cabinets de groupes ou de cliniques dentaires ? Comment expliquer que des praticiens travaillent sans assistante ? La profession devrait être la première à refuser de soigner dans ces conditions. Comment expliquer l’absence de personnel dédié à l’hygiène dentaire à l’heure où l’on augmente le numerus clausus ? Notre profession est encore assez riche pour créer les cliniques dentaires dont un pays comme le nôtre a besoin. Faut-il attendre que les assureurs complémentaires aient fini de quadriller le pays et raflent les jeunes diplômé(e)s sortant de fac pour les salarier à bon compte ? Faut-il attendre que les contrôles mettent la profession en échec ? L’attentisme des organismes professionnels sur ce sujet n’est-il pas suicidaire ?

Il faut soutenir fortement les praticiens libéraux qui veulent s’engager dans la création de cliniques dentaires (ou maisons médicales) qui favoriseront l’acquisition de plateaux techniques performants, à des coûts mieux maîtrisés, la qualité et la permanence des soins, l’émergence de spécialités et de personnels dédiés à l’hygiène et la prophylaxie… Aucun dentiste travaillant seul ne pourra répondre aux normes sanitaires qui viennent : les investissements seront trop lourds, le temps à passer en gestion-administration sera incompatible avec la notion de soins simultanés…

Si notre cabinet dentaire est une entreprise de santé, ce que je crois, alors il est urgent de dire que le modèle du cabinet français n’est plus viable. Édouard Leclerc était épicier avant de réaliser les grandes surfaces que l’on connaît. Faut-il pleurer sur le sort des petits épiciers qui ont disparus en larmoyant au lieu de s’unir pour répondre à la demande ? Quand les chirurgiens-dentistes libéraux réaliseront-ils les cliniques dont nous avons besoin et que tout le monde attend ? Faut-il invoquer l’esprit d’individualisme pour légitimer nos entreprises dépassées ? Quand chacun met son honneur à avoir la fraise qu’il veut et pas une autre, alors c’est l’ensemble qui dilapide les moyens de la profession.

Si vous aviez le pouvoir de changer les choses que feriez vous ?

Je crois que ma génération, celle qui a 60 ans, qui est nombreuse, a le devoir, avant de tirer le rideau, de tout faire pour que les jeunes comprennent qu’il ne faut pas s’organiser comme le chirurgien-dentiste d’il y a 20 ans. Il faut tout faire pour aider les jeunes qui doivent investir dans des cliniques dignes de ce nom s’ils veulent exercer leur beau métier dans des conditions heureuses, loin de la culpabilité, de l’à-peu-près, du risqué, du transitoire, des menaces… Si les praticiens libéraux français ne réalisent pas les investissements qui donneront de l’air aux jeunes, il y a fort à parier que la conjugaison des réglementations sanitaires et des cabinets de caisses, aboutira à une déclinaison d’officiers de santé dentaire dont l’hygiéniste ne sera pas la plus mal lotie.

Concrètement cela veut dire que les chirurgiens-dentistes libéraux doivent se regrouper (parfois avec d’autres professionnels de santé), mutualiser leurs moyens matériels et plateaux techniques, laisser au besoin un directeur, non praticien, diriger les cliniques, considérer que la permanence de soins est un devoir… pour pouvoir travailler sereinement et faire en sorte que recevoir un patient soit à chaque fois source de satisfaction.

Fort de votre expérience dans le monde de l’édition dentaire, quel regard portez-vous sur le présent et le futur de la presse dentaire en France en général ?

C’est vrai que j’ai été rédacteur en chef avant d’être chirurgien-dentiste. Je me suis toujours intéressé à la presse et j’ai été responsable d’une bonne dizaine de revues, dentaires ou non. La presse dentaire fait partie de la presse professionnelle et respecte à ce titre certains codes. Elle-même rentre dans le cadre de l’information. Ce n’est un secret pour personne que la presse écrite est en crise, en grande partie à cause de l’émergence d’internet. Certains se plaignent. On nous dit qu’on quitterait le monde de l’information pour celui de la communication. On regrette que les faits cèderaient le pas aux opinions. On pleurniche parce que les journalistes disparaitraient au profit des internautes.

Je comprends ces inquiétudes ; mais franchement le train est lancé et rien ne peut légitimer aujourd’hui de s’accrocher à la presse papier comme à une bouée de pertinence face aux délires numériques incontrôlables de tout un chacun. On retrouvera avec les nouveaux médias électroniques (blogs, sites, newsletters, réseaux, et autres…) les mêmes règles de qualité : il y aura de bons et de mauvais blogs, de bons ou mauvais bloggeurs, des infos bidons ou des infos vérifiées, de bons documents vidéos et de mauvaises images… le tri se fera inévitablement. Alors, à titre personnel, si je crois que les médias papier ont encore quelques années devant eux, en particulier pour la presse pro, je crois qu’au fond ils sont au bout du rouleau. Ne résisteront que ceux qui savent prendre le virage de la communication numérique, non pas hiérarchisée par tel ou tel intellectuel ou sachant, mais par les algorithmes de Google ou d’autres.

C’est le public qui choisira l’info qu’il veut, qui la fera en réalité. Et c’est le seul moyen d’échapper aux directeurs de conscience bien calfeutrés dans leurs tours d’ivoire médiatiques. Mais sans doute le regretterai-je car je sais parfaitement qu’avec cette évolution, c’est la dictature de la connerie moyenne qui risque d’être au bout du chemin.

Quels sont vos projets professionnels ?

Le travail accompli pour le congrès de l’ADF a quelque peu ralenti les efforts que je faisais pour écrire un livre sur l’occlusion. Je vais m’y remettre dès la fin du congrès. Par ailleurs, comme syndicaliste enseignant, je suis engagé dans la mise en musique des lois LRU sur l’université et HPST sur l’hôpital… il y a du pain sur la planche. L’odontologie est un microcosme très riche qui couvre tout le spectre des activités humaines.

Partager

A propos de l'auteur

Dr. Norbert COHEN

Rédacteur en chef du magazine LEFILDENTAIRE
Implantologie dentaire
Stomatologue
Docteur en médecine
Diplomé de l'institut de stomatologie et de chirurgie maxillofacial de Paris
Diplômé d'implantologie dentaire
Post graduate de parodontologie et d'implantologie de l'université de New-York
Diplomé de chirurgie pré et peri implantaire
Ex attaché des hopitaux de Paris
Diplômé d'expertise en médecine bucco-dentaire

Laisser une réponse