En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts.

LEFILDENTAIRE est un site réservé aux professionnels de la santé dentaire.
Si vous n'êtes​ pas un professionnel de santé, vous pouvez obtenir des réponses à vos questions par des experts sur Dentagora.fr en activant le bouton Grand Public.

Je suis un professionnel Grand Public

BRIDGE COLLE MONO-AILETTE versus IMPLANT UNITAIRE en zone esthétique

0

C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu le dossier de l’Information Dentaire du 27 octobre 2021, consacré au bridge collé mono-ailette (BCMA).

Je tiens à saluer la grande qualité de ce travail tant en termes d’analyse de la littérature que pour les arguments et illustrations cliniques de la part d’auteurs indiscutablement bien impliqués dans cette démarche thérapeutique, à l’instar du professeur Matthias Kern, figure de référence indiscutable en la matière (1).

J’ai apprécié la rigueur de l’article  Revue de littérature narrative  (2) de mes consœurs et confrère  Anne-Sophie VAILLANT CORROY, Sabine WILK et Pascal DE MARCH ; cela m’a renvoyé (avec plaisir et une pointe de nostalgie) à l’époque où j’étais enseignant dans le DU d’implantologie de Paris VII au sein duquel mon ami-confrère Philippe Khayat avait instauré un module entièrement consacré à l’analyse critique de la littérature internationale en rapport avec l’implantologie.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais faire ici une précision à type de sémantique : j’atteste volontiers, comme l’affirment la plupart des auteurs et comme le conçoit également la HAS (3), que le BCMA intègre effectivement le domaine des thérapeutiques minimalement invasives ; en revanche, je considère comme un abus de langage d’en discourir au titre de « thérapeutique conservatrice par opposition à l’implantologie ». D’autant que plusieurs auteurs cités en bibliographie prônent, en plus du collage et en fonction de la situation clinique, divers types de préparations rétentives au niveau du pilier support afin d’optimiser la résistance au décollement… Alors que l’implant unitaire permet justement de ne porter aucune atteinte à l’intégrité tissulaire des dents adjacentes à l’édentement.

Quels sont les enseignements essentiels que l’on peut retenir de ce dossier ?

  1. Que le BCMA a supplanté son aïeul classiquement équipé de 2 ailettes, au moins en termes de taux de survie et de complications en zone esthétique, invalidant désormais le recours aux bridges collés à 2 ailettes selon les propres recommandations de Matthias Kern (1).
  2. Que le BCMA n’a cessé de (bien) évoluer en termes de matériaux, tant sur le plan de l’intégration esthétique que sur celui de la résistance aux contraintes mécaniques… Mais, de l’aveu même de Matthias Kern (1): “However, published data covering clearly more than 10 years for RBFDPs fabricated from high-strength zirconia ceramic are still missing.”
  3. Que le BCMA impose un cahier des charges extrêmement rigoureux, tant en termes d’indications, que de conditions de mise en œuvre, ainsi que de suivi clinique… Ce qui, de l’avis même des experts en la matière, ne le place pas à la portée de tous les omnipraticiens qui seraient séduits par cette démarche thérapeutique.

Le BCMA relève ainsi d’une technique prothétique qui requiert une formation spécifique non encore instaurée dans le cursus de doctorat du 2ème cycle. Il n’en reste pas moins, comme le recommande Gil Tirlet, qu’il est grand temps de démocratiser cette option prothétique avec le bénéfice d’une meilleure information éclairée pour le patient. Ces quelques points étant précisés,  j’en viens à présent à certains éléments qui m’interpellent plus singulièrement dans ce dossier.

  1. Parmi les conclusions des auteurs engagés – soit au titre des études bibliographiques, soit au titre des articles originaux qui nourrissent cette nouvelle publication -, certaines mettent en avant l’intérêt de ce choix prothétique avec un caractère relativement mesuré :

– en 1ère intention à type de restauration prothétique temporaire pour le court-moyen terme (maintien d’espace orthodontique, attente de la fin de la croissance osseuse avant d’implanter) ;

– en option thérapeutique alternative quand les conditions locales ou médicales écartent le choix du bridge classique ou de l’implant.

… Mais d’autres conclusions prônent crânement un statut de restauration prothétique définitive pour ce type de prothèse, en dépit de quelques problématiques essentielles trop discrètement évoquées dans ce dossier (je m’en explique plus loin).

  1. Je m’étonne également que les statistiques ne sont rapportées qu’en taux de survie alors que, de par l’indication essentiellement esthétique de cette démarche thérapeutique, nous avons admis depuis longtemps qu’il convenait de nuancer ce type de statistiques pour les implants antérieurs (4, 5, 6) dont on analyse surtout les taux de succès à l’aune d’évaluations multicritères (7) :
  • indices quantitatifs et qualitatifs de l’intégration esthético-fonctionnelle de l’ensemble de la restauration ;
  • maintien ou évolution à moyen et long termes des structures biologiques environnantes ;
  • critères subjectifs à type de ressenti recueillis auprès des patients (8, 9, 10).

Toutes les études en la matière démontrent d’ailleurs que plus on ajoute de critères et plus on augmente la durée d’observation… Moins les taux de succès sont flatteurs !

  1. Les études rapportées ne donnent pratiquement aucun renseignement sur l’évolution des indices parodontaux environnants dans le cadre du suivi de cette démarche thérapeutique ;
  1. Qui plus est, si les auteurs insistent sur l’impératif d’un réglage occlusal rigoureux (en statique et en dynamique), aucun d’entre eux – y compris parmi ceux qui présentent le BCMA comme une indication prothétique définitive – ne pointe, à type de restriction, deux contraintes essentielles à mes yeux de clinicien :
  • la nécessité absolue d’absence de contact en protrusion au niveau de ces éléments cantilevers… Les contraintes palato-vestibulaires (au maxillaire) ou linguo-vestibulaires (à la mandibule) étant parmi les plus préjudiciables pour ces systèmes collés :

Subsequent occlusal corrections may be necessary in order to avoid excessive occlusal loads on the pontics, which could lead to a rotation or migration of the abutment tooth. A functional guidance on the pontic during protrusive and laterotrusive movements should also be avoided, and should be eliminated if it occurs (…) In fact, single-retainer RBFDPs are sufficiently resistant to withstanding physiological loading forces. However, anterior guidance must only be provided by the abutment tooth with the retainer wing, not by the cantilevered pontic.” Mathias Kern, 2017.

  • la nécessité corollaire, pour les patients concernés, d’éviter les fonctions manducatrices impliquant ce type de contraintes… Ce qui veut dire une forme de privation de l’une des fonctions essentielles du groupe incisivo-canin, invitant le patient à éviter de croquer à pleines dents dans un sandwich ou dans une pomme notamment?

Rappelons ici que, parmi les facteurs contribuant au meilleur succès du BCMA comparativement à son ancêtre à 2 ailettes, Matthias Kern invoque la meilleure perception du patient l’incitant à mesurer les efforts occlusaux à l’endroit du pontique en extension : “In addition, with single-retainer RBFDPs the patient will sense higher loading forces on the pontic through the periodontal receptors of the abutment teeth, enabling him or her to limit the loading forces before any pain is evoked.

Pour mémoire, ces restrictions sont celles que nous prescrivons en implantologie… Dans le cadre des mises en esthétique immédiates sur implants (11), considérées comme des réalisations transitoires (le temps nécessaire à s’assurer de la bonne ostéointégration implantaire) et non définitives !

Au-delà des prouesses techniques indiscutables rapportées dans ce dossier, je pose alors la question : pourquoi pousser le bouchon jusqu’à présenter ces solutions prothétiques d’exception comme des solutions alternatives fiables et définitives comparativement aux implants ?

Une autre problématique insidieuse me taraude l’esprit quant à ce dossier tel qu’il est proposé à notre profession; je l’exprime ci-dessous en trois points, avec un lien de corrélation en filigrane :

  • J’ai eu le bonheur de vivre l’ère pionnière de l’implantologie ostéointégrée en France en tant que membre enseignant du premier service dédié à cette discipline à Paris, en 1986. Les concepteurs suédois (12) avaient pris la peine de ne proposer à la profession ces nouvelles applications cliniques qu’après un recul de 15 ans (!) nourri de centaines d’études dont la rigueur ferait rougir nombre d’auteurs contemporains dans bien des domaines. Cela n’a pas suffi, à l’époque, à endiguer la méfiance ou tout au moins une réticence officielle d’une grande partie de notre corps enseignant, conduisant plusieurs promotions d’étudiants à rester (trop) longtemps à l’écart de cette discipline (13) ;
  • À titre personnel, je dénonçais en 2016 les critiqueurs qui ne voient dans les démarches progressistes que des audaces cliniques en l’absence de recul (14). Ce n’est pas le genre critique auquel je m’emploie ici, mais je serais ravi que les auteurs adeptes du BCMA puissent répondre aux questions que je soulève dans cet opus. Ces questions sont d’autant plus importantes que mon expérience en matière de revue de littérature (tant au titre du D.U de Paris VII auquel je faisais allusion plus haut qu’à celui d’animateur-coordinateur de la rubrique Paroles d’Experts sur Dentalespace.com) m’a appris que de (trop) nombreux cliniciens prennent peu la peine de lire la littérature scientifique dans les détails et s’en tiennent plus couramment aux conclusions des articles…
  • … Or, au sein du même numéro de l’ID, les rédacteurs de la revue rapportent (en page 10) une étude statistique du groupe IMAGO révélant que L’Information Dentaire resterait aujourd’hui encore le principal media d’information suivi par des chirurgiens-dentistes. J’en déduis d’autant plus volontiers que nous aurons prochainement de (trop) nombreux praticiens et patients qui risquent d’être déçus de s’être lancés trop vite dans une démarche pour le moins élitiste (côté praticien/laboratoire) et contraignante (côté patient).

Entendons-nous bien : je ne prétends pas que l’implantologie est « plus facile » ni « plus sécure ». J’estime simplement que si, en 2021, il n’est plus contestable de concevoir un aspect définitif – au sens médical du terme comme le précise Gil Tirlet dans son article (15) – aux restaurations implanto-portées unitaires en zone esthétique, cet attribut reste fort discutable concernant les BCMA au vu des objections que je soulève ici. Ajoutons que les auteurs de ce dossier mettent en avant la validation de la HAS depuis 2016 pour conforter le recours à cette démarche thérapeutique… Mais ils passent sous silence certaines précisions émises par le groupe de travail de la HAS :

  1. « L’analyse de la littérature n’a pas permis de conclure formellement sur les performances cliniques de ces bridges notamment par rapport aux techniques de référence. En effet, il y avait très peu d’études contrôlées randomisées, la majorité des données provenait de séries de cas non comparatives. »
  2. « Il est recommandé d’utiliser des dents piliers déjà traitées ou devant être traitées. L’utilisation du bridge cantilever est déconseillée si toutes les dents adjacentes sont saines sauf si une réflexion préalable a exclu les autres alternatives. »
  3. Les bridges collés sont utilisés dans l’édentement unitaire bordé par des dents saines ou présentant des restaurations minimes, en prothèse d’usage ou transitoire. Cette technique peut représenter une alternative aux techniques de remplacement conventionnel (bridge classique, implantologie) notamment chez les patients jeunes. Les bridges collés sont également recommandés lorsque le contexte implantaire est défavorable ou contre-indiqué.

Enfin, tous les auteurs adeptes de cette démarche thérapeutique semblent s’accorder sur l’intérêt de temporiser la situation d’édentement en la compensant le plus longtemps possible par un BCMA plutôt que d’implanter, arguant que ce geste plus invasif pourra toujours être mis en œuvre plus tard en cas de besoin. J’oppose un argument solide à cette thèse clinique en rappelant que l’absence de stimulation ostéo-gingivale au niveau de l’élément pontique entrainera inéluctablement un phénomène de résorption progressive du contexte ostéo-gingival en regard (déjà systématiquement affaibli en cas de traitement ortho pour ouvrir les espaces d’agénésies), susceptible de compromettre la simple pose d’un implant sans besoin de rectifier ce contexte (greffe) (16).

Onghena T., Breton O., Leclerc P. – Rev Orthop Dento Faciale 2019; 53:209-214

Je me souviens avoir eu une discussion animée sur Facebook avec mes confrères Jean Meyer, Gil Tirlet et Hughes de Belenet, justement à propos d’un joli cas de BCMA posté par ce dernier. Mes confrères ont évoqué « une possible stimulation ostéo-gingivale via la mobilité relative du pontique en extension »… Mais je n’ai pas trouvé d’études sérieuses pour valider cette hypothèse qui émanerait de Matthias Kern (2017)…

Last but not least, certains auteurs n’hésitent pas à mettre en avant la prévalence des péri-implantites pour encourager et renforcer les indications de BCMA, ce que je peux comprendre aussi, mais que je tiens à nuancer : comme le rapporte Ann-Marie Roos-Jansaker en 2007 (17), la littérature internationale faisait peu état de péri-implantites avant les années 2000… Une époque où l’implantologie n’était encore exercée que par une très faible proportion de praticiens, qui avaient pris la peine de se former sérieusement selon les stricts préceptes de l’École Suédoise et/ou de l’École Suisse et où un nombre encore relativement restreint de patients (à l’échelle mondiale) arborait le port d’implants dentaires depuis plus de 10 ans. Or, parmi les facteurs invoqués par l’auteure, il est fortement envisagé qu’il s’agisse de la période moyenne critique à partir de laquelle les risques de péri-implantites opèrent, toutes valeurs égales par ailleurs.

Partant de là, il n’est pas interdit de penser que la fameuse démocratisation des BCMA à laquelle nous aspirons au vu des résultats des seuls experts en la matière aboutisse au même type de déconvenues, avec des complications qui iraient au-delà des seules rapportées aujourd’hui par les élites dans ce domaine, à l’instar des rapports de l’École Suédoise qui ignoraient quasiment le terme de péri-implantite jusqu’à la fin des années 90…

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici d’un procès d’intention mais bien une mise en garde à l’adresse des praticiens (dont je fais partie à présent !) qui seront sûrement tentés de prescrire ou réaliser eux-mêmes des BCMA.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Kern M.RFDPS Resin-Bonded Fixed Dental Protheses

Quintessence Publishing, 2017

  1. De March P., Vaillant Corroy A-S., Wilk S. Il était une fois… Le bridge collé en extension.

L’Information dentaire, 2021 ; 37 : 46-56

  1. HASÉvaluation des prothèses plurales en extension (bridges cantilever) et des prothèses plurales collées (bridges collés).

Rapport d’évaluation technologique, Avril 2016 

  1. Belser U., Schmid B., Higgingbottom F., Buser D. – Outcome analysis of implant restorations located in the anterior maxilla: a review of the recent literature.

Int J Oral Maxillofac Implants, 2004; 19 Suppl: 30-42. 

  1. Schropp L., Isidor F.Papilla dimension and soft tissue level after early vs. delayed placement of single-tooth implants: 10-year results from a randomized controlled clinical trial.

Clin Oral Implants Res., 2015 Mar;26(3):278-86 

  1. Winitsky N., Olgart K., Jemt T., Smedberg J-IA retro-prospective long-term follow-up of Brånemark single implants in the anterior maxilla in young adults. Part 1: Clinical and radiographic parameters.

Clin. Implant Dent. And Related Res., 2018; 20 (6): 937-944

  1. Papaspyridakos P., Chen C-J., Singh M., Weber H.-P., Gallucci G-OSuccess Criteria in Implant Dentistry: A Systematic Review

Journal of Dental Research, 2011; 91 (3): 242-248 

  1. Slade G-D., Spencer A-J.: Development and evaluation of Oral Health Impact Profile.
    Community Dent Health. 1994 Mar;11(1):3-11 
  1. Al-Zarea B-K.: Assessment and Evaluation of Quality of Life (OHRQoL) of Patients with Dental Implants Using the Oral Health Impact Profile (OHIP-14) – A Clinical Study.
    J Clin Diagn Res. 2016 Apr; 10(4):ZC57-60 
  1. Nickenig H-J., WICHMANN M., Terheaden H., Kreppel M.: Oral health-related quality of life and implant therapy: A prospective multicenter study of preoperative, intermediate, and posttreatment assessment.

Journal of Cranio-Maxillofacial Surgery, 2016; 44, Issue 6: 753-757 

  1. Guyon C.La mise en esthétique immédiate

Sciences du Vivant [q-bio]. 2017. ffhal-01932077f 

  1. Branemark P-I., Zarb GA., Albrektson T. Tissue-integrated prostheses: Osseointegration in clinical dentistry.

Journ Prosth Dent, 1985; 54 (4): 611-612 

  1. Safar P., Touboul C.L’histoire clinique, hommage à J-C Harter « Pourquoi j’ai jeté mon iconographie clinique aux oubliettes »

JSOP, FEV. 2009; 26-27 

  1. Abbou M.Le bon sens clinique envers et contre les dogmes institutionnels.

Dentoscope n° 168, Nov 2016 ; 12-26 – éditions EdP dentaire 

  1. Tirlet G. A propos d’un bridge collé cantilever antérieur en céramique.

L’Information dentaire, 2021 ; 37 : 60-69 

  1. Onghena T., Breton O., Leclerc P. Préservation osseuse et temporisation prothétique par mini-vis dans les cas d’agénésies des incisives latérales.

Rev Orthop Dento Faciale 2019;53:209-214 

  1. Roos-Jansaker A-MLong time follow up of implant therapy and treatment of peri-implantitis.

Swed Dental Journal, Suppl. 2007; 188: 7-66

 

Partager

A propos de l'auteur

Dr. Michel ABBOU

Exercice en implantologie et parodontologie à Paris
Ex-Enseignant aux DU de Paris VII et Corté
Fondateur et directeur scientifique de Si-Ct MIEUX

Laisser une réponse