La fracture d’un implant n’est pas une complication rare (tableau 1). Elle entraîne presque toujours la dépose de l’implant qui doit être effectuée de façon très conservatrice pour permettre une éventuelle réimplantation immédiate ou différée.Il faut alors choisir entre plusieurs méthodes et, dans certains cas, savoir les combiner.
ETIOLOGIES DES FRACTURES IMPLANTAIRES
Une revue de la littérature a été réalisée en sélectionnant les études cliniques comportant au moins 1000 implants(1)(2)(3)(4)(5)(6)(7)(8)(9) . Elle a permis de déterminer une incidence moyenne de fracture de 0,87 % et un temps moyen avant fracture de 4,5 ans (tableau 2).
L’importance relative des différents facteurs de risque a également pu être évaluée. Parmi une dizaine de causes possibles, il est prouvé que trois facteurs augmentent significativement le risque de fracture : le bruxisme, la présence d’un cantilever et le diamètre implantaire. Le niveau de preuve pour d’autres facteurs comme le matériau implantaire (Grades I, II, III, IV ou alliages de titane) est inférieur.
BRUXISME
Un patient bruxeur provoque des surcharges importantes sur ses implants, augmentant ainsi le risque de fracture. Selon l’étude de Chrcanovic, pour un patient bruxeur, le risque de fracture est 19 fois supérieur à celui d’un patient non bruxeur.
CANTILEVER
L’extension prothétique du cantilever crée des mouvements de bascule défavorables au niveau des implants lors de l’application d’une force. L’étude de Chrcanovic indique un risque de fracture 3 à 4 fois supérieur.
DIAMÈTRE IMPLANTAIRE
Les implants de diamètre étroit (<3,75 mm) sont plus susceptibles de se fracturer, notamment lorsqu’ils sont placés dans des secteurs postérieurs où les forces masticatoires sont plus importantes. Toujours selon Chrcanovic, chaque augmentation du diamètre de l’implant de 1 mm réduit le risque de fracture de moitié.
GESTION CHIRURGICALE
Déposer un implant fracturé n’est pas simple. Il n’y a plus de prise au niveau du col ou de la connexion. Heureusement, il existe quelques instruments spécifiques dont l’utilisation seule ou combinée nous permettra de réussir l’intervention tout en respectant l’environnement osseux.
IRT
Le tourne à gauche (ou implant removal tool : IRT) est une vis conique dont le pas de vis est inversé. Il est placé dans le filetage interne de l’implant et, sollicité dans le sens antihoraire, permet de rompre l’ostéointégration et de dévisser l’implant. C’est la technique à utiliser en priorité puisqu’elle ne nécessite aucune soustraction osseuse. Bien souvent, une réimplantation immédiate est possible (Figures 1 à 9).

Cas clinique n°1 : deux implants sont présents en 46 et 47. En 46, bien que la coiffe de cicatrisation soit présente, le col de l’implant est fracturé. En 47, le pilier prothétique est fracturé juste au-dessus de l’hexagone empêchant l’insertion complète de la coiffe de cicatrisation. Sur cet ensemble défectueux, une couronne provisoire a été réalisée par un confrère.

L’implant 46 doit être déposé et remplacé. Le filetage interne de l’implant est accessible et la partie ostéointégrée de l’implant est relativement courte. Ceci permet d’utiliser un IRT et d’envisager une réimplantation immédiate.

L’empreinte des spires dans l’os est bien visible. La crête est suffisamment large
pour une réintervention immédiate.
Cependant, en présence d’un implant long, d’un os mandibulaire dense et d’un implant ostéointégré depuis longtemps, l’action de l’IRT peut s’avérer insuffisante. En insistant, il est même possible de fracturer le corps de l’implant ou l’IRT lui-même dont un fragment reste à l’intérieur du filetage. Pour éviter cette complication, il faut associer l’action de l’IRT avec celle d’autres instruments spécifiques comme les trépans, le piézotome, les fraises fines ou de petits élévateurs. Il arrive parfois que l’IRT ne soit pas utilisable dans le cas notamment ou une vis de pilier fracturée reste bloquée et oblitère le filetage.
TREPAN
Le trépan réalise un fraisage osseux péri-implantaire contrôlé. Il existe des trépans de diamètres variés. C’est le diamètre interne qui est important. Quand il ne figure pas sur le trépan lui-même, il doit être communiqué par le fabricant. Le choix est réalisé en fonction du diamètre de l’implant. Il faut découper l’os au plus près de l’implant parfois même engager l’extrémité des spires. Lorsque le col de l’implant est évasé, il ne faudra pas hésiter à le retoucher préalablement. Ce trépan est utilisé en général sur les deux tiers de la longueur de l’implant qui sera alors plus facile à dévisser (IRT) ou luxer (petit élévateur) (Figures 10 à 24).

Cas clinique n°2 : la fracture de ces trois implants était prévisible (cantilever,
implants standards en secteur postérieur).

Lorsque le trépan n’est pas strictement utilisé dans l’axe de l’implant, celui-ci peut
entamer le corps de l’implant et provoquer une complication supplémentaire. Pour
guider l’action du trépan, une vis longue est placée dans l’implant fracturé.

Le trépan est utilisé jusqu’aux deux-tiers de la longueur de l’implant. L’action du trépan qui découpe à la fois le tissu osseux et l’extrémité des spires de l’implant est bien visible. La partie lisse apicale est celle dévissée par l’IRT

L’ostéotomie, bien que parfaitement contrôlée, est importante. Une implantation immédiate est possible avec des implants de très large diamètre. Il est jugé plus sage de ne réintervenir qu’après 6 mois de cicatrisation. Un comblement osseux (Biooss®, Geistlich) est réalisé.

Cas clinique n°3. L’implant 46 présente un début de péri-implantite. Il a été placé
en 1998. A cette époque, la grande majorité des implants comportaient une surface
lisse peu propice à favoriser l’apparition d‘une péri-implantite. La couronne est
mobile et son dévissage pourrait expliquer l’inflammation et la lésion osseuse

Il s’agit en fait d’une fracture de l’implant 46. Le filetage interne est disponible mais
l’implant est très long, situé dans un os mandibulaire dense et ostéointégré depuis
plus de vingt ans. Il faut combiner l’action du trépan et de l’IRT

Un trépan de diamètre interne de 3,7 mm (pour un implant de 3,75 mm) est utilisé.
Le trépan devra éliminer la partie la plus externe des spires. Il risque de se bloquer
mais, en contrepartie, l’ostéotomie sera minimale.

Une tranchée verticale est réalisée avec une fraise zekrya pour libérer le trépan et faciliter sa dépose.

Après avoir remplacé le trépan et l’avoir utilisé jusqu’aux deux tiers de l’implant, ce dernier est dévissé à l’aide d’un IRT

Un trépan de diamètre interne très légèrement supérieur (0,3 à 0,5 mm de plus) aurait moins engagé les spires de l’implant. L’ostéotomie aurait été plus importante mais plus confortable

Un comblement osseux (Bio-oss®, Geistlich) est réalisé pour permettre une réimplantation différée (6 mois).
PIEZOCHIRURGIE
La piézochirurgie permet de réaliser dans l’os des tranchées fines en vestibulaire et de part et d’autre de l’implant à déposer afin de réduire la force nécessaire au dévissage de l’implant.
CONCLUSION
Avant chaque traitement implantaire, il convient d’analyser les facteurs de risques et de veiller à ce que la future reconstruction implantaire ne crée pas une situation à risque au plan biomécanique. Si la fracture survient, il sera possible, dans la plupart des cas, de déposer l’implant de façon conservatrice grâce à un certain nombre d’instruments spécifiques (IRT, trépans, piézotomes, etc.) dont il faut maîtriser l’utilisation. Cette gestion optimisée de la fracture implantaire permet de réintervenir rapidement, voire immédiatement, dans un contexte osseux favorable.
BIBLIOGRAPHIE
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