Aujourd’hui, on parle de plus en plus de dentisterie esthétique. Certains en ont une vision négative. Elle serait artificielle, superficielle comme la cosmétique, ou à but commercial, elle ne consisterait pas en une véritable thérapeutique. Une contribution récente¹ a montré qu’au contraire des liens forts existaient entre dentisterie esthétique et santé. Le praticien joue donc bien son rôle de profession médicale lorsqu’il exerce la dentisterie esthétique.
Cela dit, on aurait peut-être tort de parler de « dentisterie esthétique » car toute la dentisterie est intéressée par l’esthétique. Alors, est-ce céder à une mode ? La dentisterie esthétique va-t-elle retomber comme un soufflet ou bien est-ce un mouvement de fond ?
Pour tenter de répondre à ces questions, il était nécessaire de définir précisément ce qu’est l’esthétique en odontologie. Nous montrerons, par une analyse de la production scientifique de ces dernières années, que tout en participant à chaque champ disciplinaire, elle présente aujourd’hui un champ autonome de recherche et de pratique. Nous mettrons en évidence qu’une véritable révolution esthétique a déjà eu lieu et qu’aujourd’hui l’esthétique en dentisterie est un fait acquis. Elle a atteint sa taille adulte et son rythme de croisière.
Enfin, nous nous demanderons pourquoi la révolution esthétique a été possible et ce que cela signifie vis-à-vis de la santé de nos patients.
Dentisterie esthétique ou esthétique dans toutes les disciplines ?
L’esthétique peut se définir comme la « Science ayant pour objet le jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du Beau* et du Laid.
- L’esthétique est dite théorique ou générale en tant qu’elle se propose de déterminer quel caractère ou quel ensemble de caractères communs se rencontrent dans la perception de tous les objets qui provoquent l’émotion esthétique ; elle est dite pratique ou particulière en tant qu’elle étudie les différentes formes d’art. »²
Ceci signifie d’emblée, qu’en chirurgie-dentaire, l’esthétique est l’ensemble des disciplines « particulières » lorsqu’elles s’intéressent à la manière d’atteindre l’objectif esthétique des traitements. A ce titre, l’esthétique a toujours fait partie de l’odontologie. Ce que cette définition révèle tient en deux points :
D’abord, l’esthétique est une science, celle du beau. Certaines disciplines de la chirurgie dentaire ont développé une théorie du beau (la prothèse ou l’orthodontie par exemple), d’autres agissent au plus mimétique mais sans avoir formellement établi des principes. Mais l’étude du beau et du sourire n’est pas spécifique à un seul champ. Elle finit donc par relever, car son objet et ses méthodes sont particulières3, d’une véritable discipline de dentisterie esthétique autonome. C’est l’aspect « théorique ou général ». Il intéresse la recherche.
Puis, nous remarquons qu’il existe aussi des champs « pratiques ou particuliers » proprement spécifique à l’esthétique (éclaircissement, cosmétiques, facettes,…) qui justifient l’existence d’une dentisterie pratique esthétique. Elle intéresse alors l’ensemble des omnipraticiens.
On peut démontrer cela en dépouillant de manière méthodique les articles indexés esthétique et sur la plus importante base de données de publications scientifiques (MEDLINE). En prenant une période de six mois et en classant les articles dans douze catégories (esthétique et parodontologie, esthétique et orthodontie…etc.), on obtient une photo quasi-instantanée de l’esthétique (graphique 1). On découvre alors le podium suivant : orthodontie (18,6 % des publications indexées avec esthétique), implantologie (14,7 %) et dentisterie esthétique (13,9 %). Viennent ensuite la prothèse fixée (12,4 %) et l’odontologie conservatrice et endodontique (11,6 %).
Dans ce graphique, nous constatons l’importance de ce critère en orthodontie, comme en implantologie et en prothèse conjointe. Nous notons aussi, et c’est capital, qu’en troisième position arrive de l’esthétique spécifique ou « pure », c’est-à-dire des publications concernant des études ou des méthodes relevant uniquement de l’esthétique. L’esthétique est donc à la fois un intérêt transversal pour les disciplines et un champ de recherche et de pratique autonome.
Graphique 1. Proportion d’articles (en pourcentage) indexés sous le terme d’esthétique en odontologie par catégorie. Analyse qualitative sur 6 mois de publications référencées sur MEDLINE.
La révolution esthétique a déjà eu lieu
On parle souvent de révolution esthétique. Nous nous sommes demandé si c’était à tort ou à raison. Pour ce faire, nous avons analysé la part de l’esthétique dans les publications internationales. On peut donc ainsi estimer l’intérêt que porte la communauté scientifique et les praticiens à ce thème. Le graphique 2 présente l’évolution de la part de l’esthétique dentaire dans le total des publications dentaires de 1966 à 2005. La courbe est lissée par période de 5 ans.
On constate deux points fondamentaux :
- L’esthétique a presque quintuplé sa proportion dans la production scientifique en 30 ans. En effet, elle est passée d’à peine plus de 1 % des publications dans les années 1960-1970 à plus de 5 % aujourd’hui. Le rythme de croissance est effréné dans les années 1980 et 1990 (croissance de 20 à 45 % par an).
- L’esthétique a atteint sa taille adulte. Elle a retrouvé, avec les années 2000 un rythme de croissance mature (environ 5 %). Si donc elle a bouleversé les années 1980 et 1990, moment de la véritable révolution esthétique, la dentisterie esthétique est aujourd’hui un fait incontournable. Elle a atteint une taille significative, c’est à dire une taille qui compte sur l’échiquier de la dentisterie. A titre de comparaison, en 2001-2005, les implants représentaient 8,7 % et la carie 10,9 % !
On peut donc conclure que la révolution esthétique a eu lieu dans les années 1980-1990 et qu’aujourd’hui c’est un champ qui a atteint une taille adulte et un rythme de croisière. Ce qu’on peut maintenant tenter de comprendre est la raison pour laquelle nous en sommes arrivés là.
Graphique 2. Evolution depuis 1966 de la part (en pourcentage) de l’esthétique dans les publications internationales. Recherche personnelle.
Les trois origines de la révolution esthétique
Le développement de l’esthétique en odontologie répond, selon nous, d’un schéma impliquant trois éléments moteurs : les nouveaux besoins, les progrès techniques, les progrès conceptuels. La combinaison de ces trois éléments moteurs instaure une forme de dialectique à trois qui rend possible l’émergence de l’esthétique en dentisterie (graphique 3.).
De nouveaux besoins sont apparus dans la population4. Ceux-ci sont liés à l’amélioration globale de la santé orale ; les besoins primaires sont grossièrement satisfaits. La pyramide de Maslow stipule que les besoins fondamentaux satisfaits, l’homme aspire à d’autres besoins ; l’esthétique en fait partie. Du fait que la santé est aussi ce qu’on appelle en économie un bien supérieur (plus on a de ressource, plus on en consomme) et que nos pays sont toujours un peu plus riche, les gens vont être porté à dépenser plus vers la santé. Par ailleurs, les normes sociales actuelles (beauté, bien-être, réussite personnelle) constituent un facteur important. Enfin, il y a d’autres dimensions de la santé. La santé est un concept toujours conforme, pour les individus, à la définition de l’OMS (un état de complet bienêtre et pas seulement l’absence de maladie).
Et comme l’écrit G. Vigarello, « le bien-être est devenu un principe d’embellissement »5, alors tout concourre à faire naître, depuis 20 ans, une importante demande esthétique.
Mais il a aussi fallu que cette demande rencontre une offre. Celle-ci est constituée par les progrès à la fois techniques (collage, implant, céramique, composite,…) et conceptuels (nouvelles attitudes de prévention, économie tissulaire et perspective préservative, conception des préparations et du collage, reconnaissance de la doléance esthétique,…) de l’odontologie.
Graphique 3. Les trois origines du développement de l’esthétique en odontologie. La dialectique à trois.
Conclusion
L’esthétique en odontologie a connu une vraie révolution dans les années 1980-1990. Celle-ci a été rendu possible par une dialectique à trois entre : des besoins nouveaux, des progrès techniques et des progrès conceptuels.
Aujourd’hui, l’esthétique a atteint une taille adulte et un rythme de croisière. L’esthétique est un objectif ancien de tous les traitements dentaires, nous avons montré que c’est aussi un champ de recherche autonome et une discipline pratique spécifique.
Compte tenu que la fin de la révolution est récente et que la formation initiale n’alloue que peu de temps pour ce sujet, il revient donc à chacun de se former pour actualiser ses connaissances et ses pratiques. L’esthétique alors ne pourra plus être ni un charlatanisme ni une absence de science. Et comme l’écrit très justement A.-J. Faucher : « l’esthétique dentaire est une science régie par des lois et des règles au même titre que l’architecture, la sculpture et la peinture notamment. L’intuition, le sens artistique ne sont pas les seuls critères à prendre en compte. Il n’y a pas d’un côté les « doués », les artistes, et les autres. »6
Bibliographie
1. Decharrières-Hamzawi H , Savard G, Tirlet G, Attal JP, « Soin cosmétique ou thérapeutique globale quel est le statut de la dentisterie esthétique au sein de la santé ? », Information dentaire, à paraître, 2007.
2. « Esthétique », Vocabulaire technique et critique de la philosophie, A. Lalande, 1926, 2002.
3. Brient M, Trevelo F, Tirlet G, Attal, JP, « Débuter un traitement esthétique. Observer et analyser. », Information dentaire, 2006, 88 (36), pp. 2207-2212.
4. Tirlet G, « La demande esthétique actuelle en odontologie », Information dentaire, 2004, 86 (31), pp. 1943-1948.
5. VIGARELLO G., Histoire de la Beauté. Le corps et l’art d’embellir de la Renaissance à nos jours, L’Univers Historique, Seuil, Paris, 2004, p. 243.
6. PARIS J.C., FAUCHER A.J., Le guide esthétique, Quintessence International, Paris, 2004, p. 7.
2 commentaires
Bel article, très complet !
Merci.
Très bonne article ravie de le lire.