Cette question couvre de nombreuses thématiques d’ordre juridique, fiscal, social et de management. Il existe plusieurs techniques de reprise des cabinets dentaires.
Dans la plupart des cas, la reprise du cabinet dentaire s’effectue soit par l’acquisition du fonds libéral soit par l’achat de parts ou actions de société.
Le fonds libéral est constitué d’éléments corporels (le plateau technique principalement) et incorporels (patientèle essentiellement).
Dans ce cas de figure, deux possibilités s’offrent à vous :
– La reprise via une entreprise individuelle, imposée dans la catégorie bien connue des « bénéfices non commerciaux » (BNC),
– La reprise via la constitution d’une société, soumise à l’impôt sur les sociétés (IS).
Jusqu’au 31 décembre 2025, il est important de noter que la patientèle acquise peut faire l’objet d’une déduction fiscale par le biais de l’amortissement sur une durée de 10 ans. Cette mesure post COVID avait été entérinée pour encourager la transmission des fonds libéraux, plus largement des entreprises, dans un contexte économique tendu.
Cette mesure exceptionnelle prend fin au terme de cette année.
Cela signifie donc que pour les cabinets repris en 2026, le capital de l’emprunt souscrit pour acquérir la patientèle, ne pourra, sauf changement de programme, être déduit de votre résultat. Vous serez donc amené à payer de l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales sur un résultat que vous ne pourrez appréhender pendant 7 ans, qui constitue généralement la durée maximale de remboursement accordée par les établissements bancaires dans le cadre de l’achat d’un fonds libéral.
Ainsi si le montant de la patientèle acquise est élevé, vous devrez privilégier la constitution d’une société de type SEL (société d’exercice libéral) soumise à l’IS afin d’être uniquement taxé sur les revenus réellement prélevés. Les sociétés imposées selon le régime de l’IS sont dites opaques c’est-à-dire qu’il est opéré une distinction entre la taxation de la société et celle de l’individu. A contrario, le régime des BNC est un régime de transparence fiscale : Le BNC dégagé sur l’année est directement repris sur votre déclaration fiscale annuelle. L’entreprise « cabinet dentaire » et le praticien ne font plus qu’un.
Dans un contexte où la valorisation des patientèles était généralement basse, la majorité des praticiens démarraient leur exercice professionnel sous le régime de l’entreprise individuelle. Cela leur permettait éventuellement dans un second temps de céder leur fonds libéral à une SEL dont ils étaient l’unique associé. Telle est la chronologie encore fréquemment rencontrée sur notre territoire.
L’accroissement du prix des patientèles devrait naturellement inciter les praticiens à créer d’emblée une
SEL pour notamment pallier l’impossibilité de déduire le cout de revient de celles-ci.
Dans le cadre de la reprise d’un cabinet dentaire exploité sous la forme de SEL, vous serez probablement amené à constituer une société holding de type SPFPL (sociétés de participations financières de professions libérales), qui constitue l’unique forme de société légalement autorisée pour acquérir des parts ou actions de SEL.
L’organigramme de reprise pourra se présenter sous la forme suivante :

Ce n’est pas le praticien « personne physique », qui s’endettera à titre personnel pour acheter les parts de la SEL mais bel et bien la SPFPL. Cela évite d’une part d’accroître votre taux d’endettement personnel, d’autre part de vous retrouver là aussi imposé sur des revenus fictifs. Comme vous l’avez bien compris, un praticien qui s’endette à titre personnel ne pourra rembourser son emprunt qu’avec les revenus dégagés par la SEL (« salaires » et dividendes) déjà imposés à l’impôt sur le revenu au barème progressif et aux cotisations sociales. Nous retrouvons la même logique que celle évoquée supra pour l’achat de patientèle non déductible : La quote- part du revenu qui sert à rembourser la banque est taxée à l’IR, à l’URSSAF et à la CARCDSF, ce qui génère un surcoût important pour le praticien.
Grace au régime dit mère-fille issu de la réglementation européenne, il est possible de faire remonter de la trésorerie de la SEL reprise vers la société holding SPFPL sans frottement fiscal. Seule une quote-part de 5 % du dividende versé par la SEL sera soumise à l’impôt sur les sociétés au sein de la SPFPL, ce qui est très faible.
Une fois ces modalités fiscales évoquées, il est important d’insister sur le fait que la reprise de parts ou d’actions de société n’est pas anodine et emporte certains risques. En effet, contrairement à l’achat d’un fonds libéral où les actifs repris sont clairement identifiés (le fauteuil dentaire, la pano, le mobilier, la patientèle…), l’acquisition d’une SEL entraine, qu’on le veuille ou non, la reprise de ce que possède la SEL (les matériels, la patientèle, le stock, la trésorerie…) mais aussi ce qu’elle doit (les emprunts bancaires, les dettes fiscales et sociales, les factures dues aux fournisseurs, les litiges dont l’origine est antérieure à la date de reprise). Fort heureusement, afin de vous protéger des éventuels tracas inhérents à un achat de parts de société, les avocats mettent souvent en place des clauses dites de garantie de passif. Celle-ci ont vocation à vous permettre d’être indemnisé par le cédant en cas de préjudice subi dont l’antériorité remonte à la gestion de votre prédécesseur.
Comment parler de la reprise d’un cabinet dentaire sans évoquer ses salariées ? Le droit du travail protège l’assistante, la secrétaire et l’aide dentaire de votre prédécesseur. C’est l’article L1224-1 du code du travail qui le précise : « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ». La reprise d’un cabinet dentaire, ce n’est donc pas le transfert « à la carte » de tel ou tel employé. L’ancienneté des salariés devra être analysée avec soin ainsi que la couverture assurance AG2R, afin d’éviter d’avoir à supporter de lourdes indemnités de départ en retraite.
Enfin, la reprise du cabinet dentaire ne doit pas vous faire oublier le volet immobilier. Je vous conseille d’aborder rapidement cette thématique dans vos négociations car c’est au démarrage du processus que votre pouvoir de négociation sera le plus fort. Certains praticiens ne souhaitent pas traiter cet aspect et se privent de la possibilité ultérieure de pouvoir acquérir les murs du cabinet. L’obtention d’un avis de valeur ou la réalisation d’une véritable expertise immobilière vous permettront de vous assurer que le prix souhaité par le cédant est cohérent avec le prix du marché local. La constitution d’une SCI vous permettra d’optimiser l’acquisition de votre immobilier professionnel et d’en faciliter la transmission future.
Comme toujours, l’anticipation et l’accompagnement demeurent des points essentiels pour une reprise réussie d’un cabinet dentaire comme celle de toute entreprise. Il faut savoir faire preuve de patience, d’écoute, de tolérance et de psychologie vis-à-vis de votre confrère cédant en n’oubliant pas qu’un jour vous serez à sa place !
Dentairement votre.

