INTRODUCTION
Chez l’adolescent, l’absence congénitale d’une incisive latérale maxillaire, souvent associée à une morphologie atypique de l’incisive controlatérale, constitue un véritable défi en dentisterie esthétique [1]. L’approche implantaire est classiquement différée à l’âge adulte, mais il faut rappeler que la croissance osseuse reste un processus continu tout au long de la vie [2], ce qui peut remettre en question la pertinence de cette option en zone antérieure, même en fin de croissance. Le bridge cantilever collé s’impose alors comme une alternative fiable, conservatrice, définitive et esthétiquement adaptée, quel que soit l’âge du patient. Ce cas illustre une stratégie multidisciplinaire combinant analyse esthétique, greffe muco-gingivale, mock-up direct, facette céramique et bridge cantilever collé, dans une approche minimalement invasive.
PRÉSENTATION DU CAS
La patiente, âgée de 15 ans, consulte pour la prise en charge esthétique d’une agénésie de la 12 associée à une 22 de morphologie riziforme. Un traitement orthodontique préalable a permis d’ouvrir les espaces nécessaires à la réhabilitation prothétique et la patiente m’a été adressée à l’issue de de cette étape.
Les photographies initiales (fig. 1 à 2) permettent de nous guider dans notre analyse esthétique initiale (fig. 3). On observe une ligne incisive légèrement fuyante par rapport au plan sagittal médian, liée à la déviation du maxillaire dans le sens sagittal. La patiente découvre davantage du côté de sa latérale absente lorsqu’elle sourit sincèrement (sourire « Duchenne »), révélant une concavité gingivale marquée liée à l’absence de cette dent, qu’il conviendra de traiter par une greffe conjonctive.
L’incisive latérale gauche (22) est de forme atypique, dite riziforme, avec une largeur réduite, et une absence de caractéristiques anatomiques secondaires, ce qui nuit à l’harmonie globale du sourire. Ce type de morphologie, souvent associé aux agénésies controlatérales, crée un déséquilibre dans la symétrie du bloc incisif maxillaire. L’absence de la 12 accentue encore cette perception d’asymétrie, en attirant le regard sur une 22 déjà peu harmonieuse. Sa forme trop étroite, ainsi que l’absence de transitions naturelles avec les dents adjacentes, renforcent l’indication d’un traitement restaurateur visant à rétablir proportions, axes et état de surface.
Les axes de ses dents sont relativement corrects, l’idéal étant par la suite de faire converger un peu plus sa 22 et de calquer ce même axe du mieux que possible au niveau de sa 12. La ligne des collets est également harmonieuse, néanmoins sans décroché de l’incisive latérale présente, et nous donnent la place du futur collet de la 12 absente. Les espaces mésiaux-distaux ménagés par l’orthodontie sont contrôlés à l’aide d’un pieds à coulisse et l’on constate une bonne proportionnalité des espaces de l’ensemble du secteur incisivo-canin maxillaire.
A la suite de ces observations, l’option implantaire est écartée d’emblée en raison de la croissance inachevée [2]. Le bridge conventionnel est jugé trop mutilant. Bien qu’un composite injecté aurait pu être envisagé sur la 22 d’ici l’âge adulte, cette solution n’a pas ici été retenue, par soucis d’homogénéité des matériaux et de continuité optique l’incisive controlatérale.
Le choix s’est donc orienté vers une facette céramique « prep-less » sur 22, et un bridge cantilever collé sur la 13 pour remplacer la 12 [3]. Un éclaircissement est écarté à ce stade en raison de l’âge de la patiente [4].
Dans un premier temps, un smile design est réalisé à l’aide du logiciel Smile Cloud, permettant de simuler l’option esthétique et d’anticiper les proportions cibles.
Ce support visuel sert de base de discussion avec la jeune patiente et ses parents, facilitant la projection dans le résultat final et l’adhésion au plan de traitement proposé (fig. 4).
Une greffe conjonctive enfouie est ensuite réalisée au niveau de 12 afin de corriger la concavité vestibulaire
au niveau de la racine absente (fig. 5).
Une protection palatine de type « patchwork » est réalisée à l’aide d’un composite fluide, stabilisé par les
points de suture sur une éponge de collagène afin d’optimiser la cicatrisation au palais et de réduire
considérablement les douleurs post-opératoires[5] (fig. 6).
Trois mois plus tard, la gencive est réévaluée : l’aspect post-opératoire est satisfaisant, avec un épithélium
kératinisé et une augmentation satisfaisante du volume muqueux là au niveau du site greffé (fig. 7).
Un remodelage précis de la muqueuse est ensuite réalisé à l’aide d’un bistouri électrique pour une future
intégration esthétique optimale du pontique (fig. 8).
Cette étape est suivie de la mise en place d’une gouttière transparente contenant une dent du commerce
rebasée au composite et polie que la patiente portera deux semaines durant, permettant un guidage passif
du profil d’émergence en vue du futur bridge cantilever (fig. 9). [6]
Les préparations dentaires sont ensuite effectuées. La 22 est préparée à travers un mock-up monté directement en composite, conformément aux principes visant à préserver au maximum la structure dentaire (fig. 10) [7], et la 13 reçoit une préparation en palatin (fig. 11), dans une approche strictement conservatrice.
Figure 10 : préparation de la 22.
Figure 11 : préparation de l’appui palatin de la 13.
La préparation palatine de la canine vise à offrir une surface de collage maximale dans l’émail, à distance
du bord libre pour ne pas altérer les caractérisations incisales. Elle suit une séquence codifiée incluant boîtes
proximales, congé périphérique, mur occlusal et réduction palatine (fig. 12). [8]

Figure 12 : principes de préparation d’un appui palatin pour bridge cantilever (Restaurations esthétiques en céramique collée – 2ᵉ édition, Olivier Étienne & Laure Anckenmann. Avec l’aimable autorisation d’Olivier Etienne)
Le choix de l’appui canin (13) présente, quant à lui, plusieurs avantages stratégiques :
• En palatin, la canine offre une large zone d’émail disponible, idéale pour le collage adhésif.
• L’embrasure entre 13 et 12 est naturellement plus étroite et plus postérieure que celle entre 11 et 12, permettant de dissimuler plus aisément l’ailette du pontique, améliorant ainsi l’esthétique.
La canine est peu exposée au sourire, ce qui limite l’impact visuel d’une éventuelle ligne de jonction.
• Enfin, cet appui permet de préserver l’intégrité des incisives centrales (11–21), particulièrement utile lorsqu’une contention orthodontique est encore en place ou prévue entre ces dents, évitant ainsi toute interférence avec le collage du cantilever.
Le choix du matériau prothétique est déterminant dans la réussite à long terme d’un bridge cantilever collé en secteur antérieur.
• Dans ce cas, le disilicate de lithium (e.max Press, Ivoclar Vivadent) a été retenu pour sa capacité à reproduire fidèlement les propriétés optiques de l’émail, notamment sa translucidité, sa brillance et sa sensibilité à la lumière ambiante. Son comportement mécanique est compatible avec ce type d’indication, à condition de respecter une surface d’adhésion minimale estimée entre 12 et 16 mm², mesurée au laboratoire par CFAO. Le collage est alors effectué après conditionnement interne par acide fluorhydrique et silanisation, garantissant une liaison chimique solide avec la résine composite.
• En cas de contraintes occlusales importantes ou de surface d’appui réduite, la zircone polycristalline doit être envisagée comme alternative [9][10]. Bien que moins esthétique en raison de sa moindre translucidité, elle présente une résistance mécanique nettement supérieure, en particulier en flexion. La zircone peut aujourd’hui être collée de façon prévisible, à condition de respecter un protocole strict : sablage par microjet à basse pression (30–50 μm d’oxyde d’aluminium), suivi de l’application d’un adhésif à base de monomère MDP, et d’un collage au Panavia V5. Cette méthode permet une liaison durable avec la dentine ou l’émail, sans nécessiter d’ancrage mécanique profond [11].
Pour orienter le travail du prothésiste, plusieurs informations sont transmises : une photo polarisée (fig. 13) permet de visualiser les caractéristiques de surface, la teinte cible est relevée au teintier 3D Master (fig. 14) et la teinte du substrat avec le teintier Natural Die (fig. 15).
Un lingotin en Emax MO est utilisé pour le bridge cantilever afin de limiter la translucidité liée à l’absence de substrat. Les restaurations sont réalisées par Dominique Watzki : une clé de repositionnement accompagne le bridge cantilever pour garantir une mise en place plus reproductible sous champ opératoire (fig. 16).
La gencive au niveau du lit du pontique est réévaluée le jour du collage et présente un aspect satisfaisant (fig. 17).
Le collage est ensuite effectué selon un protocole rigoureux. Après un essayage (à sec et à l’aide de pates d’essayage try-in) validé sur le plan esthétique et fonctionnel, les dents sont isolées à l’aide d’un champ opératoire (fig. 18), les étapes se succèdent de manière standardisée : sablage (fig. 19), mordançage – rinçage – séchage, application de l’adhésif (fig. 20), photopolymérisation (fig. 21), repositionnement final à l’aide de la clé, collage et finition sous glycérine (fig. 22).
En parallèle, les restaurations sont conditionnées par l’assistante (acide fluorhydrique durant 20 secondes + silane) (fig. 23).
Le contrôle post-opératoire est effectué à J+15. On observe une intégration naturelle des restaurations dans le sourire et une stabilité gingivale satisfaisante (fig. 24 à 27).
DISCUSSION
Chez l’adolescent, le bridge cantilever collé est une solution fiable et pérenne pour le remplacement d’une incisive latérale maxillaire absente [12]. Il permet de préserver l’os alvéolaire, de maintenir le volume papillaire et d’obtenir une esthétique immédiate et stable dans le temps. Combiné à une facette sur dent riziforme, il permet une réhabilitation harmonieuse, discrète et réversible.
Ce type de traitement repose sur plusieurs piliers :
• une analyse esthétique initiale rigoureuse,
• une planification esthétique à l’aide d’un Smile Design et de photographies.
CONCLUSION
Ce cas illustre l’intérêt d’une approche multidisciplinaire, minimalement invasive et guidée par l’analyse esthétique. Grâce à une préparation raisonnée, un collage maîtrisé et une vision globale de l’esthétique, il est possible d’apporter une réponse à la fois biologique, fonctionnelle et esthétique, sans compromettre les options futures.
LE MOT DE L’AUTEUR
Je tiens à remercier chaleureusement les Dr. Charles Toledano, Olivier Étienne et René Serfaty pour leurs précieux enseignements lors des formations Esthet Practical, auxquelles ce numéro est consacré. Cette formation a marqué un tournant dans ma pratique.
Elle m’a permis de structurer ma réflexion, d’intégrer les fondamentaux de l’esthétique, les protocoles adhésifs, et une approche evidence-based rigoureuse, que j’applique aujourd’hui au quotidien. Elle m’a également donné l’envie et la motivation d’intégrer par la suite le D.U. d’Esthétique de Strasbourg où j’ai eu le plaisir de présenter ce cas à l’oral en 2024. Je tends maintenant depuis plusieurs années à orienter ma pratique vers l’esthétique dentaire, et je leur suis profondément reconnaissant d’avoir été à l’origine de cette évolution.
Enfin, un grand merci à Dominique Watzki pour la précision et la qualité du travail prothétique réalisé dans ce cas.
BIBLIOGRAPHIE
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https://decisionsindentistry.com/article/modern-applications-cantilever-fixed-partial-denture/
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