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Analyse critique des méthodes de comparaison des solutions anesthésiques à partir d’une étude clinique

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Dans la première partie de cet article, l’étude clinique réalisée dans le but de comparer deux solutions anesthésiques en utilisant le bloc du nerf alvéolaire nous a fait douter des possibilités d’obtenir des résultats exploitables.

Avant de poursuivre cette étude, nous allons réexaminer en détail les éléments anatomiques ainsi que les autres facteurs participant à cette technique et énoncer les conclusions qui s’imposent.

D’autres facteurs spécifiques du bloc du nerf alvéolaire inférieur s’ajoutent au facteur distance

Malamed (2004) indique qu’un taux d’échec de 15 à 20 % est normal, voire inévitable pour les blocs du nerf alvéolaire inférieur. Hormis le facteur distance, quels peuvent être les éléments participants à ce taux d’échec « obligatoire » ?

Les éléments anatomiques éminemment variables (Fig. 1 et 2)

Parmi lesquels les afférences inconstantes (McKissock et Meyer, 2000 ; Aps, 2009), bien connues, mais dont on minimise les conséquences.

En effet, le nerf mandibulaire se divise habituellement en branches accessoires en amont de l’épine de Spix. Donc, même si l’injection se fait exactement à l’endroit voulu, les nerfs qui se sont séparés plus haut du nerf principal ne sont pas anesthésiés : une seule branche nerveuse non atteinte par la solution anesthésique peut transmettre 100 % des influx nerveux provenant des dents. Il y a des nerfs, en dehors du nerf alvéolaire inférieur, qui innervent habituellement les dents inférieures.

Les études anatomiques par dissection ont démontré que 95 % des mandibules ont des foramina surnuméraires laissant le passage à des branches provenant d’autres nerfs et qui vont pénétrer la mandibule et aller innerver les dents inférieures.

Haveman et Tebo (cités par McKissock et Meyer) ont disséqué 150 mandibules et ont trouvé pour chacune d’elles en moyenne cinq foramina accessoires. Sutton (1974) a disséqué 300 mandibules et en a identifiés en moyenne huit.

Les dents inférieures sont certes innervées principalement par le nerf alvéolaire inférieur, mais aussi par :

  • le nerf mylohyoïdien dans la région disto-linguale, d’où la sensibilité pulpaire au niveau de la racine mésiale de la première molaire alors que la racine distale est bien anesthésiée : 60 % des dents mandibulaires seraient innervées par le nerf mylohyoïdien
  • les branches terminales du nerf buccal dans la région vestibulaire
  • le nerf cutané transverse du cou dans la région linguale, au bord inférieur de la mandibule
  • les rameaux cervico-faciaux du nerf facial pénétrant par le foramen mentonnier pour innerver molaires et prémolaires, dans 22 % des mandibules étudiées (McKissock et al. 2000) : Rouvière nous dit que « des anastomoses en nombre variable relient les rameaux terminaux du facial, par sa branche inférieure cervico-faciale, donnant des rameaux buccaux inférieurs, situés à 1 cm au-dessus du rebord de la mandibule, et qui se distribuent aux muscles buccinateur, risorius et orbiculaire), aux ramifications périphériques voisines des branches sensitives du trijumeau (V) »
  • le nerf auriculo-temporal dans la région du trigone retro-molaire ;
  • les anastomoses terminales croisées des nerfs incisifs droit et gauche
  • enfin, accessoirement, à la question : « si afférences inconstantes il y a, sont-elles symétriques ? », nous n’avons pas de réponse
innervation-des-dents

Fig. 1 : innervation des dents mandibulaires : vue latérale Fig. 2 : innervation des dents mandibulaires : vue médiale

La précision du point d’injection

Diverses études ont montré que des injections réalisées parfaitement à proximité du nerf alvéolaire n’améliorent pas les résultats. Berns et al. (1962) ont montré grâce à des produits radio-opaques que, dans 25 % de cas d’infiltrations au foramen mandibulaire, le lieu de dépôt de la solution anesthésique était valable malgré une anesthésie imparfaite : l’expérience ne jouerait donc que peu dans l’obtention des analgésies (à condition de connaître l’anatomie…). Hannan et al. (1999) ont utilisé un système de guidage ultrasonore de l’aiguille pour les blocs du nerf alvéolaire inférieur.

Bien que le bloc ainsi réalisé fût fait exactement au bon endroit, cela n’a pas entraîné plus de succès anesthésiques. La solution anesthésique suivrait un trajet de moindre résistance entre l’espace ptérygo-mandibulaire et les plans musculo-aponévrotiques (Galbreath et al. 1970).

Il apparaît ainsi que la non anesthésie pulpaire ne signifie pas forcément que l’injection n’a pas été réalisée correctement.

La déflection de l’aiguille

Jeske et al. (1985) ont montré que la déflection moyenne d’une aiguille 27 G longue était de 8 mm ; une aiguille 25 G fait à peine mieux, avec une déflection moyenne de 7 mm. L’aiguille se courbe dans une direction opposée à son biseau et plus l’angle du biseau est grand, plus la déflection de l’aiguille est importante. Pour minimiser ou compenser la déflection de l’aiguille, on a préconisé une rotation de l’aiguille de 90° dans un sens puis dans l’autre (technique bi-rotationnelle, facilitée par l’usage du Wand®) au fur et à mesure que l’aiguille avance (Hochman et al. 2000).

Mais, Kennedy et al. (2003), puis Steinkruger et al. (2006) ont montré que ni l’orientation du biseau, vers ou à l’opposé de la branche montante de la mandibule, ni la technique bi-rotationnelle n’influencent favorablement le taux de succès de l’anesthésie (Fig. 3).

La déflection de l’aiguille, que l’on a voulu diminuer ou supprimer, participe aux résultats de façon aléatoire, car elle sera, dans un cas, favorable au rapprochement vers le nerf alvéolaire et, dans d’autres cas, défavorable.

précision-du-point-d'injection

Fig. 3 : extrait du livre : Handbook of local anesthesia. Stanley MALAMED

La quantité injectée

Il faut un volume minimum d’anesthésique pour anesthésier toute l’épaisseur du nerf, les fibres périphériques et centrales, puisqu’on ignore de quelles fibres provient la sensation douloureuse ; une augmentation de la quantité pourrait influer favorablement sur le résultat, à condition d’être suffisamment près du nerf. Mais, l’injection de 3,6 ml au lieu de 1,8 ml de lidocaïne à 2 % adrénalinée n’augmente pas le succès du bloc du nerf alvéolaire inférieur (Goldberg et al. 1989 ; Vreeland et al. 1989 ; Yared et al. 1997 ; Clark et al. 1999 ; Yonchak et al. 2001 ; Nusstein et al. 2002).

Dans notre étude nous avons éliminé le paramètre quantité, puisque nous injectons une demi-cartouche de chaque côté, soit 0,9 ml, en accord avec Charrier et al (2006).

Les techniques de bloc du nerf alvéolaire inférieur sont éminemment « opérateur-dépendantes » quant à la capacité du praticien de s’approcher au plus près du nerf alvéolaire inférieur.

Ce sont aussi des techniques « droite-gauche-opérateur-dépendantes » : un même praticien peut être plus performant sur le côté droit de la mandibule que sur le côté gauche, ou inversement, et les résultats obtenus ici semblent le confirmer. Éliminer le facteur « droite-gauche-opérateur-dépendant » nécessiterait de faire réaliser cette étude par de nombreux praticiens.

Par conséquent

La maîtrise parfaite de tous ces éléments ne peut être obtenue, en particulier :

  • les afférences nerveuses inconstantes parfaitement imprévisibles
  • la précision du point d’injection et la déflection des aiguilles qui sont en fait deux modalités du même problème Ces deux facteurs nous semblent être déterminants dans la présence constante et incompressible de 15 % à 20 % d’échecs : seule une étude réalisée sur un très grand nombre de patients, pourrait « gommer » les variations de résultat dues aux variantes anatomiques, et à la dispersion des lieux d’injection.

Dans notre étude, le taux d’échec de 30 %, et le temps de mise en place de l’anesthésie (20 minutes en moyenne) peuvent sembler hors norme, cependant, outre le fait qu’ils sont parfaitement en accord avec les résultats obtenus par Nusstein (2002) et Goldberg (2008), ils nous semblent parfaitement logiques et relèvent, à notre avis, de la division par deux de la quantité injectée, par rapport aux quantités habituellement utilisées.

En effet, une quantité moindre déposée à proximité du nerf alvéolaire inférieur augmente le délai d’obtention d’une concentration minimale et suffisante au niveau du nerf ; dans le cas où l’injection est faite plus à distance, on a un échec pour cette même quantité, alors qu’une quantité double aurait permis d’atteindre cette concentration minimale.

Conclusion

1. Les dents mandibulaires ne sont pas innervées exclusivement par le nerf alvéolaire inférieur

Quand on veut comparer l’efficacité de deux solutions anesthésiques, à l’aide de blocs du nerf alvéolaire inférieur, la vérification des efficacités respectives des solutions étudiées se fait par des tests réalisés au pulp-tester, sur les dents mandibulaires.

Ceci repose sur le postulat que les dents mandibulaires répondent strictement à l’anatomie enseignée, selon laquelle ces dents sont innervées par le nerf alvéolaire inférieur. Ce qui est en partie inexact ou très incomplet, comme nous l’avons vu dans le paragraphe concernant l’anatomie.

2. La distribution spatiale des points d’injection est très variable

En outre, à cause de tous les éléments non maîtrisables, cités plus haut, intervenant dans le résultat d’un bloc du nerf alvéolaire inférieur, la disparité globale des résultats obtenus et leur similarité pour les deux solutions anesthésiques testées, ne démontrent en rien, selon nous, une quelconque efficacité plus ou moins grande de l’une ou de l’autre solution anesthésique.

Elles rendent compte simplement des conséquences de la distribution spatiale très variable des points d’injection en direction du nerf alvéolaire, par les techniques de bloc de ce nerf.

Selon la distance par rapport au nerf, hélas peu prédictible, le résultat sera également peu prédictible, quel que soit le produit injecté : soit un échec, soit un succès partiel, soit un succès total et immédiat.

3. Par conséquent : les résultats de toutes les études, présentes ou à venir, utilisant le bloc du nerf alvéolaire inférieur comme technique pour comparer deux solutions anesthésiques sont donc, au minimum, à revoir, voire à ignorer

En effet, la technique anesthésique utilisée est, par essence, difficilement reproductible, en raison des disparités anatomiques dans l’innervation sensitive des dents mandibulaires, et en raison de l’imprécision du point d’injection. Nous avons donc opté pour l’abandon des 20 autres tests prévus avec cette technique.

4. Les seules techniques à retenir sont les techniques intra-osseuses

En effet, Hargreaves et Keiser (2002) disent : « Quelle qu’en soit l’origine, la seule technique qui peut bloquer de façon prédictible toutes les sources d’innervation accessoire des dents mandibulaires, serait celle par laquelle la solution anesthésique est déposée aux apex des dents concernées, c’est-à-dire les voies intra-ligamentaire ou intra-osseuse (= diploïque) ». Aps (2009) indique que seules les techniques intra-osseuses sont capables de résoudre la majorité des problèmes d’anesthésie rebelle. Nous sommes évidemment d’accord avec eux.

5. Les techniques intra-ligamentaires et intra septale

Elles sont éliminées d’emblée car elles ne permettent pas, à cause des fuites fréquentes, la maîtrise parfaite de la quantité injectée.

6. Les techniques que nous envisageons

Pour comparer deux solutions anesthésiques, en remplacement des techniques de bloc du nerf alvéolaire inférieur, nous préconisons les techniques suivantes.

La technique para apicale, avec quelques réserves

Des repères anatomiques très précis lors des injections, doivent maintenir le paramètre distance dans un différentiel de 2 à 3 mm entre les côtés droit et gauche. Bien sûr, des variations dues à des dissymétries potentielles, par exemple, différence de distance de l’apex à la corticale d’un côté par rapport à l’autre, ne sont pas prévisibles.

Les techniques diploïques, transcorticale et ostéocentrale

Elles doivent permettre de diminuer encore plus l’influence des données anatomiques dans les résultats d’une étude comparative.

Suite à cette étude, nous estimons que le bloc du nerf alvéolaire inférieur ne peut en aucun cas servir d’outil fiable et reproductible pour la comparaison de deux solutions anesthésiques.

C’est pourquoi trois études sont en cours, pour comparer deux solutions anesthésiques en utilisant les techniques diploïques et la technique para-apicale.

Bibliographie

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A propos de l'auteur

Dr. Alain VILLETTE

Docteur en Sciences Odontologiques

Dr. Thierry COLLIER

Docteur en Chirurgie Dentaire
BORDEAUX

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