Dans le cas d’agénésies multiples, le patient présente toujours un faible volume osseux puisqu’aucun germe dentaire ne s’y est développé ; on observe donc un hypodéveloppement et une hypomaturation de l’os alvéolaire. En présence d’oligontie (au moins 6 dents absentes sans compter les troisièmes molaires), une réhabilitation implantaire peut être envisagée lorsque le patient atteint l’âge de 20-21 ans et que l’espace sur l’arcade a été maintenu ou créé par l’orthodontiste.
Nous allons détailler la prise en charge d’une jeune fille qui présente 10 agénésies.
Présentation de la patiente
Mademoiselle S. âgée de 23 ans, en bonne santé générale et non fumeuse, souhaite retrouver un sourire et une fonction masticatrice normale. Le travail d’orthodontie a été réalisé en amont et elle se présente au sein du service d’odontologie Albert Chennevier.
Le schéma dentaire est :
L’examen clinique montre un parodonte très fin et des concavités maxillaires et mandibulaires dans les secteurs édentés.
Des examens radiologiques ont été prescrits : une radio panoramique et un scanner maxillaire et mandibulaire pour visualiser les volumes osseux et appréhender la qualité de l’os.
L’examen tridimensionnel montre très clairement une insuffisance transversale dans les secteurs prémolaires mandibulaires (les secteurs 3 et 4 sont équivalents en ce qui concerne l’épaisseur osseuse résiduelle). Au maxillaire, au niveau des secteurs des latérales, l’épaisseur osseuse est aussi très mince et témoigne bien de l’absence de développement d’un germe dentaire au sein de ce volume. Au niveau des secteurs prémolaires maxillaires, l’insuffisance est cette fois transversale et verticale. Le volume osseux est dessiné seulement par une fine corticale osseuse.
Proposition de traitement
Avant toute possibilité de réhabilitation implantaire, une reconstruction des volumes osseux est indispensable. Une augmentation d’épaisseur est nécessaire dans tous les secteurs opératoires (secteur de 14-12-22 et 24 au maxillaire et secteur de 34-44 à la mandibule) et une augmentation verticale est nécessaire au niveau postérieur maxillaire.
Au vu de l’analyse clinique et radiologique, il a été proposé le plan de traitement suivant :
- Comblements sinusiens droit et gauche ;
- Augmentation osseuse mandibulaire (corticotomie segmentaire) secteur prémolaire ;
- Greffe d’apposition maxillaire au niveau de 12, 14, 22 et 24 ;
- Mise en place d’implants mandibulaires : 35 et 45 ;
- Mise en place d’implants maxillaires : 14-12-22-24 ;
- Réalisation des couronnes sur implants.
Etapes chirurgicales
Maxillaire
L’augmentation verticale des secteurs maxillaires postérieurs par comblement sinusien est relativement courante et fiable pour obtenir une hauteur suffisante.
En une séance, les deux comblements de sinus ont été réalisés avec une prémédication antibiotique, anti-inflammatoire et antalgique. Le matériau de comblement utilisé est du Bio-oss® (grosse granulométrie). Les suites postopératoires ont été relativement simples et bien tolérées par la patiente.
La deuxième étape a été la réalisation des greffes d’apposition maxillaire.
Les greffes d’apposition peuvent être réalisées avec de l’os de banque ou prélèvement d’os autogène dans la même séance.
Dans ce cas, des blocs d’os allogénique ont été utilisés car notre patiente présente une faible quantité d’os dans les régions des troisièmes molaires. De plus, les suites postopératoires sont plus simples avec cette technique1.
La technique opératoire ne fait pas l’objet de cet article, mais consiste en un large lambeau mucopériosté exposant la zone à greffer. Puis, les blocs d’os allogénique sont adaptés et fixés par des vis d’ostéosynthèse à l’os maxillaire de la patiente. Et enfin, des sutures sans tension referment le lambeau.
Après ces deux étapes de reconstruction osseuse préimplantaire, le volume osseux obtenu devrait permettre de procéder à la mise en place d’implants dans quelques mois.
Mandibule
À la mandibule, étant donné le faible espace résiduel mésio-distal au niveau des sites de 34-35 et 44-45, une seule prémolaire sera remplacée de chaque côté.
Une corticotomie segmentaire bilatérale était envisagée avec pose d’implant dans un second temps.
Au cours de la chirurgie, la paroi vestibulaire secteur 3 s’est fracturée, ce qui nous a conduits à modifier la technique opératoire. La corticotomie segmentaire s’est transformée en un repositionnement vestibulaire de la plaquette osseuse vestibulaire maintenue par une vis d’ostéosynthèse ; le gap étant comblé par du Bio-oss®.
Les vis d’ostéosynthèse ont été déposées lors de l’intervention de pose d’implant, 4 mois plus tard.
L’épaisseur osseuse obtenue avec cette technique nous a permis de poser un implant au niveau de 35 et 45 de diamètre 4.1 mm.
Discussion
Dans le cas d’agénésies multiples, le patient se retrouve souvent confronté à des choix difficiles concernant le remplacement des dents manquantes : bien souvent des prothèses amovibles sont proposées. Puis lorsque la fin de la croissance osseuse est atteinte, des implants peuvent être proposés.
Pourtant la quantité osseuse est quasiment toujours insuffisante : en effet, les germes dentaires étant absents, on observe un hypodéveloppement de l’os alvéolaire.
C’est donc le plus souvent en épaisseur que la quantité osseuse est insuffisante ; ce que l’on retrouve dans le cas présenté ci-dessus.
Les 3 techniques les plus utilisés pour l’augmentation osseuse horizontale sont :
- la greffe en onlay avec de l’os autogène ou allogène ;
- l’expansion osseuse par corticotomie ;
- la Régénération Osseuse Guidée.
Selon la situation clinique, l’une ou l’autre des techniques est privilégiée. Certains auteurs ont essayé de faire des arbres décisionnels.2
La greffe en onlay est considérée comme la technique de référence car c’est la plus utilisée et celle sur laquelle nous avons le plus de recul.
La corticotomie est fondée sur la plasticité et l’élasticité osseuse et est facilitée surtout depuis l’arrivée de la piézo chirurgie.
expansion corticale externe à charnière supérieure / expansion bicorticale / défaut d’épaisseur subtotal : translation corticale externe (c’est ce qui a été fait dans le cas présenté)3
La régénération osseuse guidée est utilisée lors de la découverte de balcons osseux et de concavités qui vont alors « retenir » le biomatériau qui est maintenu par une membrane.
Des membranes non résorbables peuvent être utilisées pour réaliser une tente au-dessus du biomatériau.
Conclusion
Malgré les nombreuses interventions chirurgicales et les délais de cicatrisation nécessaires entre chaque intervention, les techniques utilisées ont permis de redonner un volume osseux nécessaire et suffisant pour une réhabilitation implantaire.
Les praticiens seront de plus en plus amenés à maitriser ces techniques puisqu’elles permettent d’obtenir un beau volume osseux et ainsi de poser un implant dans le couloir prothétique idéal.
Bibliographie
1. Clavero J.,Ramus or chin graft for maxillary sinus inlay and local onlay augmentations: comparison of donor site morbidity and complication. Clinical Implant Dentistry & Related Research, 2003, Juillet.
2. Jia-Hui Fu, Hom-Lay Wang, Horizontal bone augmentation: the decision tree. Int J Periodontics Restorative Dent 2011;31:429–436.
3. Lalo et coll. L’expansion osseuse transversale pré-implantaire de la crête maxillaire par corticotomie alvéolaire. Rev stomatol chir maxillofac 2008 ; 109 : 316-322