L’usage est de présenter la mise en charge immédiate (MCI) comme un protocole complexe à appliquer dans des cas bien précis par des praticiens expérimentés. Avec le recul et l’expérience clinique, il s’est avéré que ce protocole était bien plus qu’un outil destiné à séduire le patient pour lui faire accepter le traitement implantaire. Dans certains cas, l’enjeu était de simplifier le traitement implantaire de manière drastique dans sa planification et son exécution. De fait, le bénéfice allait au patient, au praticien ainsi qu’à la proposition thérapeutique.
L’objet de ce cas ci-après est de montrer comment une MCI a permis de simplifier le traitement implantaire du patient, à la satisfaction du patient et de l’équipe traitante.
Présentation du cas
Motif de la consultation
Un patient de 65 ans se présente afin de trouver une solution fixe à un édentement mandibulaire antérieur récent (fig. 1a, b). C’est un grand fumeur, personnalité pusillanime, réfractaire aux soins dentaires ainsi qu’à toute prothèse amovible. Il désire une réhabilitation rapide de ce nouvel édentement. La perte de ses incisives a joué le rôle de catalyseur psychologique à l’origine de sa demande pressante de traitement.
Analyse clinique et radiologique
Le bloc incisif est amputé des incisives gauches, il présente de larges diastèmes. Le support des incisives restantes est faible, il nécessite une réhabilitation du bloc incisif dans sa totalité (fig. 1b).
L’examen radiologique tridimensionnel montre que la largeur disponible sur tout le secteur antérieur est suffisante pour recevoir des implants de diamètre standard dont la longueur ne sera pas limitée par le volume osseux disponible (fig. 1c, d).
Problématique et Conduite à tenir
Les traitements susceptibles d’être proposés à ce patient, tout en tenant compte de ses attentes sont au nombre de 2 :
Solution 1 : un bridge dento-porté serait envisageable. Cependant, le patient est réfractaire aux soins dentaires et chaque intervention est liée à de considérables difficultés d’ordre psychique.
Solution 2 : bridge implanto-porté concernant le bloc incisif dans sa totalité.
Le désir explicite exprimé par le patient d’éviter toute situation faisant intervenir une prothèse amovible nous dirige vers une temporisation immédiate. Rester quelques jours dans cet état d’édentement ne constitue pas pour lui un obstacle psychologique, cela signifie que le déterminant principal de traitement est le confort du patient. La chronologie des temps chirurgicaux et prothétiques peut donc être décalée de 24-72 heures, elle répond à celle décrite à la figure 2 à la page XX.
Le protocole à la mandibule est articulé en 3 temps distincts dont 2 sont chirurgicaux. Il est connu sous l’appellation : Extraction-Implantation immédiate et Temporisation immédiate. Ce protocole de MCI est bien documenté dans le secteur antérieur de la mandibule (Davarpanah et Szmukler-Moncler 2007).
La problématique propre aux protocoles de mise en charge immédiate réside dans l’obtention d’une stabilité primaire, surtout dans des alvéoles post-extractives. Dans le secteur antérieur de la mandibule, il est plutôt rare de ne pas y parvenir, d’autant plus que la longueur des implants n’y est limitée par aucun obstacle anatomique. La solution retenue comporte la pose de 2 implants qui serviront à soutenir un bridge de 4 éléments après extraction des incisives résiduelles.
Déroulement du protocole Extraction-Implantation immédiate-Temporisation immédiate
La simulation est effectuée sur le logiciel Nobel Clinician®. Ce dernier nous donne des images 3D (fig. 2a) et la position des implants sur des vues frontales et des sections transverses (fig. 2b-d) avec les dimensions des sites osseux où ils seront insérés.
Etape pré-chirurgicale
Les éléments à fournir au laboratoire avant la chirurgie sont les suivants :
- modèles d’études montés sur articulateur,
- forme et teinte des dents à remplacer, ce qui permettra de commander les dents du commerce correspondantes,
- photos du visage du patient,
- nombre et la position des implants planifiés,
- matériau d’empreinte qui sera utilisé, plâtre ou silicone.
Le laboratoire réalisera les items suivants qui devront être disponibles le jour de la chirurgie :
- un guide chirurgical,
- un porte-empreinte individuel largement évidé, adapté au type de matériau d’empreinte prévu.
Etapes chirurgicales
La première étape consiste à extraire les dents résiduelles de la manière la plus atraumatique possible en mettant tout en œuvre pour conserver les parois vestibulaires des alvéoles. Un large lambeau est levé entre les canines (fig. 3a).
Les alvéoles sont soigneusement curetées, la présence de parois vestibulaires est de bon augure pour la stabilité primaire. Deux implants Nobel Active de Ø 4.3 x 13 mm sont posés dans les alvéoles post-extractives des dents 32 et 42 (fig. 3b).
Les implants ne sont pas tous placés à la même hauteur par rapport à la crête alvéolaire. Ce décalage dans le sens vertical des cols implantaires sera corrigé à l’aide de piliers intermédiaires de hauteur différentes de type MUA (Multi-Unit Abutment, Nobel Biocare, Kloten, Suisse), de 2,5 mm à droite et de 3,5 mm à gauche. Les capuchons de protection sont fixés sur les piliers et du BioOss (Geistlich, Wolhusen, Suisse) comble les espaces péri-implantaires et augmente latéralement la table vestibulaire (fig. 3c). Le site opératoire est ensuite suturé et la phase prothétique peut débuter.
Etape prothétique
Empreinte et fabrication de la prothèse provisoire
Le patient arrive chez le praticien-prothésiste avec les capuchons des piliers intermédiaires en place. La première étape prothétique post-chirurgicale consiste à prendre une empreinte de positionnement des implants la plus précise possible, la fidélité des informations concernant la gencive est de moindre importance (Davarpanah et coll. 2013) à ce stade. Elle le sera lors de la prise d’empreinte destinée à la prothèse d’usage.
Une empreinte aux silicones à ciel ouvert de type pick-up (Rajzbaum et coll. 2012) est réalisée avec solidarisation des transferts même si elle est de faible étendue. Les capuchons sont dévissés et des transferts d’empreinte sont vissés sur les piliers intermédiaires (fig. 4a, b). Ils sont spécifiques et ne sont pas à confondre avec les transferts directement vissés dans le col implantaire.
Le silicone putty est introduit dans le porte-empreinte préparé à l’avance par le laboratoire et le silicone light est injecté autour des transferts. Au terme de la prise, les transferts sont dévissés et l’empreinte (fig. 4c) est envoyée au laboratoire pour confectionner en 24 heures une prothèse provisoire renforcée. La planification préalable avec le laboratoire permet de tenir aisément ce court délai.
Le laboratoire coule l’empreinte avec de la fausse gencive, il fabrique le bridge implanto-porté en résine renforcé à l’aide d’un élément métallique (fig. 5a, b).
Pose de la prothèse provisoire
Le lendemain, le patient se présente chez le praticien-prothésiste. Les capuchons de protection sont dévissés (fig. 6c) et la prothèse provisoire est posée, contrôlée radiographiquement (fig. 6d-f) et maintenue en sous-occlusion Le secteur antérieur de la mandibule a été réhabilité en 2 jours. Le premier jour a été l’occasion de poser les implants à la mandibule sous sédation. Le jour d’après, la prothèse provisoire a été délivrée. Après 1 semaine, les fils de suture ont été déposés.
Le patient a ainsi vu son secteur incisif mandibulaire se transformer de manière harmonieuse, sans rapport aucun avec la situation dentée antérieure, et surtout sans transiter par une prothèse amovible.
Etape de la prothèse d’usage
Après 3 mois, l’ostéointégration des implants a été vérifiée après avoir dévissé la prothèse provisoire (fig. 6a). La prothèse d’usage sera transvissée sur les piliers prothétiques posés lors de la chirurgie et non sur les cols implantaires. Ces derniers n’auront jamais été dévissés et cela aura évité de perturber les liaisons tissus mous-titane qui se sont établies immédiatement après la chirurgie. La prise d’empreinte est classique au silicone, elle a eu lieu sur les piliers et elle conduit à la préparation du bridge d’usage au laboratoire. Les figures 6b, c montrent le résultat avec la prothèse d’usage en place ainsi que les radiographies de contrôle correspondantes (fig. 6d).
Conclusion
L’application d’un protocole de MCI dans le secteur antérieur de la mandibule partiellement édenté a permis de simplifier drastiquement le traitement de ce patient pusillanime. Il a été mystifié par la rapidité et l’efficacité du traitement.
La problématique principale des protocoles de MCI réside dans l’obtention d’une stabilité primaire suffisante pour résister aux forces de mastication. Ce questionnement est aisément évacué dans le secteur antérieur de la mandibule où les forces exercées sont faibles, la qualité osseuse des sites implantaires est satisfaisante et une mise en sous-occlusion de la prothèse provisoire est généralement gérée sans efforts particuliers.
Bibliographie
1. Davarpanah K, Demurashvili G, Szmukler-Moncler S. Empreinte des tissus mous en prothèse implantaire. Cah Proth 2013 ; 162 : 1-6.
2. Davarpanah M, Szmukler-Moncler S. Mise en Charge Immédiate. Théorie et Pratique. Quintessence International, Paris, 2007.
3. Rajzbaum P, Demurashvili G, Davarpanah K, Capelle-Ouadah N, Davarpanah M, Szmukler-Moncler S. La temporization. in : Davarpanah M, Szmukler-Moncler S, Rajzbaum P, Davarpanah K, Demurashvili G. Manuel d’Implantologie clinique. Concepts, intégration des protocoles et esquisse de nouveaux paradigmes. CdP Editions, Rueil-Malmaison, 2012.