« Le changement, c’est maintenant ! », comme le scandent régulièrement les hommes politiques en période électorale…et nous n’y échapperons pas. En ce début d’année 2022, les bonnes résolutions ne manquent pas. Faire le point sur son statut juridique d’exercice en fait partie. Pour autant, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation en la matière. La question du « pourquoi » est essentielle. Comme celle du « comment » d’ailleurs.
Dans un pays profondément marqué par les traditions fiscale et sociale, le changement de statut juridique n’est souvent pas neutre. Il peut entraîner des conséquences en matière d’impôts et de charges sociales. Bien souvent d’ailleurs, les praticiens qui exercent en solo envisagent une transformation juridique de leur mode d’exercice pour des raisons purement fiscales.
Prenons l’exemple des chirurgiens-dentistes, qui sont imposés selon le régime bien connu des « bénéfices non commerciaux », dit des BNC. Certains praticiens sont las des variations intempestives de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu dues aux variations de résultat d’une année sur l’autre. Le prélèvement à la source n’a pas apporté de réel progrès dans ce domaine. Les résultats définitifs de N n’étant taxés que l’année N+1, les acomptes versés l’année N, calculés sur N-2 puis N-1, ne couvrent pas forcément l’impôt, qui sera réellement dû. C’est une des raisons pour lesquelles la société d’exercice libéral (SEL) a connu tant de succès ces dernières années. Les praticiens en phase de développement sont tentés par vouloir déconnecter les performances économiques de leur cabinet de leur fiscalité personnelle et de leurs cotisations sociales. Pourquoi devrait on être toujours pénalisé lors de l’accroissement de la rentabilité de son cabinet ?
Outre les notions fiscales et sociales inhérentes au changement de régime juridique lors du passage d’exercice individuel en société SEL, l’aspect financier est une composante à prendre en considération. La création d’une société SEL peut être opérée de deux façons :
- Soit par voie de cession: le praticien transfère la propriété de sa patientèle, de ses matériels, de ses stocks à la société, qui emprunte pour payer le vendeur. C’est le cas extrêmement fréquent de la « vente à soi-même ». Dans un univers de taux bancaire bas, que nous connaissons désormais depuis de nombreuses années, cette opération permet de se refinancer en convertissant des revenus du travail en revenu du capital.
- Soit par voie d’apport: dans ce cas de figure, le chirurgien-dentiste reçoit des parts de société en échange de l’apport de son fond libéral à la société. Il ne percevra pas d’argent lors de cette opération. Une attention particulière devra être portée sur la valorisation des actifs, celle-ci pouvant engendrer une taxation significative en cas de vente des parts de la société ou de la clientèle.
Mais la création d’une société ne se résume pas à des aspects purement financiers. La société est avant tout une technique d’organisation, qui permet l’exercice en groupe, à plusieurs. Limiter sa création à des motifs sociaux et fiscaux est également réducteur.
Nous en revenons alors à la question du « pourquoi ». Quelles sont vos motivations premières ? Quelles concessions êtes-vous prêt à réaliser ? Quel degré d’indépendance souhaitez-vous conserver ?
Avant de vouloir faire évoluer son régime juridique, il faut déjà bien se connaître…et accepter que bien souvent tout changement entraîne une prise de risque. Dans la vie, le risque zéro n’existe pas. Dès qu’il y a de « l’humain », il y a risque. Il faut l’accepter et essayer de limiter au maximum ce facteur. Les schémas juridiques les plus simples sont souvent les plus efficaces. L’ingénierie complexe peut être séduisante à court terme mais il faut être vigilant à moyen/long terme, notamment dans un pays où la législation évolue en permanence. Il existe toujours un temps de décalage entre la création d’un schéma soi-disant optimisant et son appropriation par l’administration fiscale.
Mais revenons-en à la question centrale : quel est votre objectif ? Souhaitez vous changer de statut juridique parce que vous voulez mutualiser les frais de fonctionnement de votre cabinet avec d’autres ? le système éprouvé de la société civile de moyen (« la bonne vieille SCM ») pourrait alors tout à fait vous convenir. Attention, je vous préviens tout de suite : il n’existe pas de système juridique parfait. Comme bien souvent dans la vie, il y a toujours des avantages et des inconvénients. La SCM peut vite devenir un « sac d’embrouilles » si ses membres le souhaitent ou si ses fondements ont mal été pensés au départ.
Quel que soit le schéma retenu, il y a toujours deux questions à se poser :
- Comment je rentre dans une structure ?
- Comment j’en sors ?
J’observe en pratique que la question du « comment j’en sors » est souvent insuffisamment anticipée c’est la raison pour laquelle il en résulte souvent du sang et des larmes. Je comprends tout à fait cela, c’est humain. Quand on rencontre quelqu’un dont on tombe énormément amoureux, on ne pense tout de même pas déjà aux modalités de séparation !
La mutualisation du plateau technique, des moyens en général, peut être partielle ou totale.
Avec l’expérience, nous constatons que pouvoir mutualiser son outil de travail tout en conservant son indépendance, constitue un bon compromis…et c’est une profession libérale qui vous le dit !
La difficulté majeure est que les artisans du changement de statut juridique évoluent avec le temps. Ce qui est vrai à l’instant T n’est l’est plus forcément à T+5 ou T+10. L’environnement, le contexte législatif et règlementaire, les relations entre les associés, les motivations des uns et des autres sont eux aussi susceptibles d’évoluer. Il faut donc faire preuve de souplesse et d’agilité dans la construction de votre modèle. Le retour en arrière est bien souvent compliqué et laisse des traces indélébiles, à la fois sur le plan moral et sur le plan financier. Déconstruire peut coûter très cher.
Regrouper des praticiens dans une entité unique peut très bien fonctionner pour certains et être un véritable désastre pour d’autres. Les échecs en matière d’association sont souvent dus à une insuffisante préparation du projet. Se connaître soi-même, apprendre à connaître les autres nécessite du temps, de la patience et de la tolérance.
Quel que soit le changement juridique que vous souhaitez opérer, que vous exerciez seul ou en groupe, la recette du succès sera notamment liée à la réflexion globale que vous aurez menez au départ et à votre faculté d’anticipation.
Dentairement votre.