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Esthétique et psychologie : « Primum non nocere »

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La dernière décennie a été un véritable raz de marée technologique, indissociable des progrès médicaux. Il n’y pas si longtemps encore, nous étions impuissants devant des situations cliniques, par manque de moyens et de connaissances. 

Outre les progrès fantastiques rencontrés dans l’implantologie, l’imagerie, la reconstruction osseuse et les matériaux céramiques, la dernière décennie a, non seulement transformé notre pratique, mais aussi généré des attentes et des perspectives différentes de la part des patients. La demande esthétique n’a pas cessé de croitre, et l’éventail des prouesses techniques nous offre aujourd’hui le pouvoir de transformer l’apparence physique des patients. Ces derniers le vivent d’ailleurs comme un banal « tout est possible », nourrissant plein d’espoir. Car ces transformations ont un impact non négligeable sur leur psychisme, et les 10 ans parcourus d’expériences cliniques ont généré dans ma pratique une réflexion plus générale sur la répercussion psychologique de nos interventions esthétiques.

Dire que notre société voue un culte aux apparences, tient à la fois de la banalité et de l’évidence. Mais le souci d’apparence pousse à toujours plus de perfection, comme une course effrénée vers l’excellence esthétique dans notre société gouvernée par le jeunisme.
La presse grand public a des titres qui le démontrent : « spécial look », « spécial beauté », « interdit de vieillir »… Ce qui devient compliqué pour les praticiens, est la banalisation de ces images de toutes sortes, dans l’inconscient de chacun.
Aussi, face à nos formidables outils techniques, comment estimer ce que cache le désir du changement d’apparence ? Comment appréhender une éventuelle vulnérabilité ?

Nos salles d’attente se sont transformées, renfermant une galerie de portraits de patients aussi divers les uns que les autres : l’adolescente qui ne supporte plus ses dents mal positionnées et qui a vu une émission à la télé, pour les changer rapidement ; le chef d’entreprise qui ne supporte pas les taches sur ses dents ; le quadragénaire à la recherche d’une nouvelle vie ; la quinquagénaire qui nous montre la photo de ses 20 ans et qui refuse de vieillir ; le jeune cadre qui voudrait refaire ses dents avec des facettes et qui a lu sur internet que c’était si facile et si simple… Un inventaire de plus en plus large, qui traduit des demandes inattendues, au point de voir certains patients demander le même sourire que ceux de Julia Roberts ou George Clooney, auxquels ils s’identifient.

Ce que je retiens avant tout, est que toutes ces transformations esthétiques n’ont jamais les mêmes significations, et qu’il est aberrant d’estimer qu’elles sont anodines.
Notre société fonctionne sur l’image et celle à laquelle nous sommes toujours confrontés, est l’image que nous renvoient nos miroirs. C’est ce qu’on appelle l’image spéculaire et il s’agit d’une image inversée. Des différences d’appréciation et de perspectives apparaissent forcément, car nous n’avons pas d’images visuelles claires de notre corps. La photographie traduit le même événement : on se plait sur certaines qui semblent nous mettre en valeur, et pas sur d’autres, où nos expressions nous déplaisent.

Un genre de patients nouveau fréquente également nos cabinets : les imparfaits imaginaires. Ce sont des patients dysmorphophobes. Le terme de dysmorphophobie a été utilisé pour la première fois en 1886 par le psychiatre Morselli pour expliquer son caractère obsessionnel et compulsif, notamment les interrogations répétées devant le miroir. Un sujet atteint de dysmorphophobie n’a pas seulement la crainte d’être ou de devenir disgracieux : il en a l’intime conviction. Selon les cas, la préoccupation concerne un défaut imaginaire ou bien consiste à exagérer une petite anomalie. Ce trouble assez courant et souvent méconnu est donc peu diagnostiqué. C’est le cas des patients qui reviennent pour des retouches incessantes et qui ne sont jamais satisfaits. Chez eux, des résultats très satisfaisants n’entrainent pas d’amélioration psychologique mais, au contraire, les aggravent.

L’intérêt d’une réflexion sur l’image du corps est de tenter d’expliquer certaines déceptions post-opératoires, inattendues. Et de se souvenir que, lorsqu’une intervention est réussie, outre l’aspect clinique satisfaisant, elle l’est surtout par les changements psychologiques qu’elle provoque. Cela dépasse le simple cadre d’une modification anatomique.
La consultation ou plutôt les consultations, sont fondamentales pour décrypter les motivations, et évaluer la dimension psychologique du patient, car il faut du temps.

Il m’arrive aujourd’hui de refuser une intervention pour des raisons psychologiques : il s’agit de situations dans lesquelles je peux percevoir une désunion entre la réalité physique et l’imaginaire du patient. La question du service rendu au patient et du bénéfice/risque doit être le talon d’Achille de la décision.

Cela fait intervenir une notion d’autocontrôle de la part du praticien. Etre prudent ne signifie pas rejeter l’intervention, mais une notion de délai entre la demande et l’intervention. Le patient peut alors réfléchir à sa requête et évaluer les risques qui ont pu lui être exposés. Les photographies prises lors des consultations se révèlent indispensables pour comprendre et faire comprendre les désirs et les clarifier. Pour ce qui concerne les logiciels de retouches photos, la prudence me semble de mise. Car dessiner trop précisément ce que sera la nouvelle esthétique du patient peut constituer un danger, contribuant à l’idée d’un résultat parfait et être interprété comme une garantie absolue de résultat, alimentant une imagination fertile. Aucune main de praticien si géniale soit-elle, n’aura la précision de l’outil informatique.

Bien évidemment, de nombreuses transformations vont dans le sens de l’amélioration et les complications ne représentent pas, heureusement, la majorité des suites opératoires, mais elles existent. Si les améliorations se traduisent sur le plan psychologique par un mieux-être, une augmentation de la confiance en soi, il n’existe aucune règle en termes de satisfaction post-opératoires. Elle est parfois excellente, alors que le résultat est jugé médiocre par le praticien. Ou au contraire, minime, malgré une réussite du traitement.

Tous ces signaux doivent être repérés avant pour éviter les insatisfactions et les risques de décompensation psychiques. Avec l’expérience, en apprenant à écouter, nous pouvons affûter notre aptitude de prévision sur le bénéfice éventuel du changement de l’apparence. Car c’est souvent après coup que le praticien comprend, face à des demandes inattendues de retouches successives et sans fin.

D’abord ne pas nuire, « primum non nocere » est l’un des préceptes médicaux fondamentaux à nous nous souvenir chaque jour.

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A propos de l'auteur

Dr. Franck AMOYEL

CES de Biologie Buccale
CES de Parodontie
DU de Parodontie et Implantologie
Diplômé du Global Advanced Dentistry
Membre de l'Association Française d'Implantologie

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