Les thérapeutiques implantaires sont considérées de nos jours comme une solution fiable dans le traitement des édentements, en raison de leur capacité à fournir un résultat fonctionnel et esthétique prédictible de la restauration implanto-prothétique, se rapprochant des propriétés d’une dentition naturelle.
Lorsque l’extraction d’une dent s’impose et que son remplacement par un implant est envisagé, la technique d’extraction et la gestion de l’alvéole post-extractionnelle sont des étapes importantes et décisives pour la suite du traitement. En effet, de nombreuses options sont possibles allant de l’extraction simple à l’extraction chirurgicale, avec ou sans préservation alvéolaire ou encore le placement immédiat de l’implant après l’extraction. Aussi, différents scénarios cliniques avec des architectures variables d’os alvéolaire résiduel peuvent être rencontrés et doivent être considérés avec précaution afin d’évaluer l’applicabilité des différentes stratégies thérapeutiques visant à remplacer la dent par un implant. (Tonetti MS- 2019).
Les premiers protocoles implantaires introduits par Per-Ingvar Brånemark dans les années 1980 (Brånemark PI.1983), nécessitaient une période de cicatrisation post extraction d’au moins six mois avant le placement de l’implant, puis une période de cicatrisation supplémentaire de 3 à 6 mois avant la mise en charge prothétique. Ce protocole était basé sur le principe qu’une cicatrisation complète des tissus mous et durs après l’extraction dentaire est nécessaire pour parvenir à une ostéointégration implantaire réussie. Cependant, cette notion a été réfutée par la suite, conduisant au développement de nouvelles approches qui ont permis de réduire le nombre d’interventions chirurgicales, raccourcir la durée globale des traitements et satisfaire des patients de plus en plus exigeants et demandeurs de procédures de traitement plus rapides et moins invasives. Ainsi, Hammerle et al. (2004) ont proposé une classification de quatre catégories de protocoles implantaires (Type I à IV), qui a ensuite été modifiée par Chen & Buser en 2008 dans le 3e volume de l’ITI Treatment Guide (Fig. 1).
La terminologie d’une implantation immédiate, précoce et tardive après extraction est dès lors largement adoptée. En 2019, un protocole intermédiaire est décrit dans le rapport de consensus et recommandations cliniques du European Workshop in Periodontology (Tonetti MS et al -2019). Il s’agit d’un protocole conventionnel d’extraction modifié par une procédure de préservation alvéolaire suivi du placement de l’implant 12 à 16 semaines plus tard. Cette approche représente un placement d’implant modifié de type 3 ou de type 4 (ci-après dénommé Type 3* ou Type 4* en fonction du moment du placement de l’implant) (Fig. 2).
IMPLANTER OU PRESERVER
Que dit la littérature ?
Face aux différentes possibilités thérapeutiques citées plus haut, comment opter pour le meilleur protocole et le moment idéal de la pose de l’implant ? quand peut-on poser immédiatement et quand doit-on préserver l’alvéole pour implanter ultérieurement ?
L’extraction dentaire déclenche une série de changements physiologiques lié à la formation osseuse dans l’alvéole mais aussi à la résorption volumétrique de la crête qui intervient dans les 6 premiers mois qui suivent l’extraction (Sculean A, Stavropoulos A, Bosshardt DD – 2019). Cette résorption implique des changements dans les contours et les dimensions verticales et horizontales avec une réduction moyenne de 3,8 mm de la largeur et de de 1,2 mm de la hauteur de la crête (Tan WLet al 2012).
Il est aujourd’hui admis que l’implantation immédiate qui implique l’insertion d’un implant immédiatement après l’extraction d’une dent, ne prévient pas ces changements dimensionnels physiologiques osseux En revanche, plusieurs études ont pu démontrer la possibilité d’une ostéointégration des implants posés immédiatement après extraction ainsi que des taux de survie avoisinant les 95 %, similaires à ceux des implants placés dans des sites cicatrisés (Patel R, et al 2023). Cependant, le placement immédiat d’un implant est souvent associé à un risque de complications esthétiques plus élevé, notamment dans le secteur antérieur, caractérisé par la présence d’une corticale vestibulaire particulièrement fine, voire inexistante avec donc un risque accru de déhiscence vestibulaire des tissus durs et mous (Chen & Buser, 2014 ; Schropp et al., 2003 ; Tonetti et al., 2019).
D’un autre côté, la préservation alvéolaire, définie comme le comblement de l’alvéole par un biomatériau osseux et son scellement par l’application d’une barrière, est fréquemment indiquée pour atténuer les changements dimensionnels post-extractionnels (Avila-Ortiz G, 2020). Cette procédure réduirait le recours à des techniques d’augmentation osseuse et muqueuse supplémentaires au moment de la pose de l’implant notamment lorsque le biomatériau est recouvert par une membrane non résorbable D-PTFE permettant une cicatrisation en deuxième intention ou par un bouchon gingival dans le secteur antérieur (Fig. 3 et 4). Cependant, la préservation alvéolaire ne semble pas améliorer les taux de succès implantaire par rapport aux implants posés dans des sites cicatrisés sans préservation alvéolaire.
Fig. 4 : extraction avec préservation alvéolaire d’une 12 en phase terminale.
Esposito-M. Et al (2015) ont comparé dans un essai clinique randomisé, les taux d’échec, de complications et autres paramètres cliniques des implants unitaires immédiats et différés, placés dans des alvéoles préservées après 4 mois de cicatrisation. Ils ont tout d’abord constaté qu’il était plus difficile d’obtenir un couple d’insertion de l’implant supérieur à 35 Ncm après une préservation alvéolaire. En effet, 75 % des implants immédiat n’ont pas pu être mis en charge en raison d’un torque inferieur à 35 Ncm, contre contre seulement 35 % des implants placés immédiatement après extraction. Ensuite, les complications (mineures) étaient plus importantes dans le groupe immédiat avec une différence statistiquement significative par rapport au groupe différé. Par ailleurs, aucune différence statistiquement significative n’a été notée entre les deux protocoles en ce qui concerne les taux d’échec implantaire et les complications esthétiques à 4 mois puis à 1 an post mise en charge.
Des résultats similaires ont été rapportés plus tard dans une revue systématique et méta-analyse (Garcia-Sanchez R, et al 2022) sauf pour l’aspect esthétique mesuré avec le Pink Esthetic Score (PES) qui était plus en faveur des implants immédiats à un an post mise en charge prothétique. D’autres études ont également conclu qu’en terme de PES, la région antérieure présentait de meilleurs résultats avec les implants immédiats, tandis que la région molaire présentait de meilleurs résultats avec les implants différés (Canellas JVDS, et al. 2019)
L’analyse de la perte/gain osseux marginal péri implantaire entre les protocoles d’implants immédiats et retardés a également fait l’objet de plusieurs recherches cliniques. Certaines études et méta-analyses ont montré qu’aucune différence n’était présente entre les deux protocoles (Mello et al., 2017, Canellas JVDS, et al -2019), d’autres ont constaté une perte osseuse significativement plus importante à 1 an dans les groupes d’implants différés. Dans les groupes d’implants immédiats, les variations des niveaux osseux marginaux étaient souvent présentées comme des gains osseux (Garcia-Sanchez R et al. 2022).
CRITÈRES DE CHOIX
– Évaluer les risques
Afin de choisir l’approche la plus appropriée pour chaque situation clinique, l’évaluation des risques liés à la thérapie implantaire se doit d’être la plus complète possible. Elle comprend l’évaluation du patient, ses comportements et ses conditions systémiques et locales susceptibles d’entraîner une altération de la cicatrisation ou de représenter des contre-indications relatives ou absolues pour la thérapeutique implantaire. Ensuite, une évaluation minutieuse du site avant et juste après l’extraction comprenant l’examen des tissus mous (biotype gingival, quantité des tissus kératinisés, présence et étendue des récessions et position du collet par rapport aux dents voisines) et l’évaluation clinique et radiologique de la morphologie alvéolaire (présence d’une table vestibulaire et étendue des éventuels défauts osseux).
– Catégoriser les situations
En 2007, Elian et al ont classé les alvéoles post extractionnelles en 3 types. Les alvéoles de type 1 caractérisées par la présence d’une table osseuse vestibulaire intacte, constituent la situation clinique la plus idéale pour un placement immédiat de l’implant. Les alvéoles de type 2, moins favorables, présentent une déhiscence de la table osseuse vestibulaire qui augmente le risque de récession et les alvéoles de type 3 présentent une perte à la fois de tissus durs et de tissus mous. Dans ces situations (Type 2 et 3), la préservation alvéolaire est recommandée car il s’agit d’un scénario clinique dans lequel l’implantation immédiate peut être associée à un risque plus élevé de résultats peu favorables (Tonetti MS, et al. 2019). En effet, il a été constaté que les implantations immédiates en présence de déhiscences vestibulaires (jusqu’à 50 % de perte osseuse), présentaient plus de pertes osseuses marginales, des profondeurs de poches plus élevées et une tendance à un PES plus faible (Cosyn J et al. 2019). Les EII ddevraient donc être limitées aux sites et aux patients à faible risque : zones non esthétiques, alvéoles intactes, phénotype parodontal épais et plat. Ces critères de sélection sont nécessaires pour ceux qui débutent avec cette approche thérapeutique.
Cependant, un grand nombre d’études précliniques et cliniques ont démontré que les surfaces implantaires exposées lors de la pose immédiate s’ostéointègrent avec succès à la suite de procédures combinées de régénération osseuse guidée (Benic GI, Hämmerle CH. 2014) De même, la technique de restauration dentoalvéolaire immédiate (IDR) décrite par Da Rosa en 2006, est particulièrement indiquée lorsque les alvéoles post extractionnelles présentent des défauts osseux vestibulaires importants. Elle présente, des taux de réussite élevés sur le plan clinique et tomographique, avec des résultats esthétiques et fonctionnels satisfaisants (Fig. 5).
Fig. 5 : extraction implantation et mise en esthétique immédiates d’une 22.
– Planifier pour mieux se lancer
Quel que soit le scénario clinique, le choix du protocole implantaire doit être guidé obligatoirement par une planification prothétique préalable, qui est essentielle pour identifier la meilleure stratégie thérapeutique aboutissant à un résultat optimal.
En 2014, Benic et Hammerle ont établi une classification des défauts osseux pouvant servir de base notamment lors des planifications implantaires, pour le processus de prise de décision concernant le choix du protocole implantaire et de la stratégie d’augmentation osseuse.
Les classes de 1 à 3 correspondent alors à des situations où la pose immédiate d’un implant est possible, malgré la présence de défauts osseux vestibulaire dans les classes 2 et 3 et qu’il est proposé de compenser par des procédures d’augmentation osseuse simultanément à la pose de l’implant (Fig. 6). Dans les autres classes, il est nécessaire d’augmenter dans un premier temps et de poser les implants dans un second temps.
Et finalement, quand faut-il mieux opter pour la préservation alvéolaire ?
Lorsqu’il est essentiel de minimiser les changements dimensionnels de la crête alvéolaire ;
Lorsqu’une implantation immédiate n’est pas recommandée ;
Lorsque les structures anatomiques (sinus, nerfs) sont trop proches du fond de l’alvéole ;
Lorsque la stabilité primaire d’un implant ne peut être obtenue ;
Lorsque l’axe implantaire ne peut être optimal ; Lorsque le placement de l’implant doit être retardé par exemple, en raison du jeune âge du patient.
CONCLUSION
Dans l’ère des thérapeutiques minimalement invasives, la préservation alvéolaire et l’extraction implantation immédiate se rejoignent. Le choix de l’une ou l’autre stratégie est étroitement lié à l’évaluation des risques cliniques, à l’expérience du praticien et à la façon dont ces derniers peuvent influencer les résultats des restaurations implantaires, mais il ne peut être dissocié des préférences individuelles du patient et du clinicien.
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