INTRODUCTION
En tant que praticiens responsables, nous sommes hélas habitués à gérer nos échecs thérapeutiques (et ceux de nos collègues) autant que faire se peut. Cette gestion communément admise concerne la quasi-totalité de nos spécialités : dentisterie opératoire, endodontie, prothèse, orthodontie, parodontologie… Y compris l’implantologie. Il est coutume d’affirmer que l’implantologie présente le double avantage :
- de générer une nouvelle chance esthético-fonctionnelle en cas d’échec définitif des soins conservateurs
- de ne produire « que 5 à 10 % d’échecs » en moyenne. Si la première de ces assertions est avérée, il est indiscutable par ailleurs que l’implantologie constitue aussi une alternative valide, voire plus efficace que l’approche conservatrice dans de nombreuses situations cliniques(1, 2) .
Quant aux statistiques de la seconde, elles n’avaient de sens qu’à l’époque de la publication des premiers travaux de l’École Suédoise (3) alors que les succès se déterminaient en taux de survie et ne se mesuraient qu’à l’aune des 6 facteurs d’Albrektson (4) sur une période de 15 ans. En tout état de cause, si la communauté professionnelle s’entend aujourd’hui sur des taux de 5 à 20 % d’échecs… Cela ne change rien pour le patient qui se retrouve dans cette situation : il y est à 100 % ! Beaucoup de propositions techniques et technologiques abreuvent nos colloques professionnels ainsi que la littérature scientifique pour décrire et pallier au mieux ces situations d’échecs. Mais, à ma connaissance, aucune d’entre elles ne concerne la sauvegarde de la prothèse fixe implanto-portée :
- soit cette dernière est unitaire et s’avère derechef caduque du fait de la dépose de l’implant en situation d’échec irrécupérable ;
- soit elle est plurale et scellée… ce qui impose le plus souvent sa destruction (partielle ou totale) pour déposer l’implant échoué et reconsidérer l’ensemble de la situation clinique ;
- soit elle est plurale et transvissée ; elle ne peut alors persister cliniquement que si les autres implants encore en place sont suffisamment fiables et bien répartis pour espérer un bon pronostic (ce qui suppose que plus d’implants que nécessaire aient été posés en première intention).
Pourtant, la prothèse fait bien partie de l’ensemble réparateur que nous avons instauré et, à ce titre, ne mérite-t-elle pas qu’on tente de la récupérer dans le cadre de la gestion de l’échec implantaire ?
On comprend bien le non-sens a priori de cette suggestion, puisque même si elle représente le projet fondateur de l’étude pré-implantaire, la prothèse est finalement réalisée sur mesure en fonction de tous les paramètres qui découlent de l’acte chirurgical implantaire, notamment: – spécificité de la connectique implantaire ; – topographie de la plateforme prothétique implantaire dans les 3 sens de l’espace. Autant de bonnes raisons qui nous font sourire (en coin) lorsque le patient à qui nous promettons de gérer au mieux sa situation d’échec nous demande si on pourra tout de même récupérer sa prothèse… C’est ce type de situation critique qui m’a conduit à réfléchir sur la possibilité d’une approche méthodique, rigoureuse et reproductible (non opérateur-dépendante) pour donner satisfaction au patient d’une part et minimiser notre sentiment de frustration d’autre part. J’ai ainsi conçu une technique qui s’avère opérationnelle dans de nombreux cas. J’ai affiné sa mise en œuvre clinique avec la complicité de mon ami-confrère Franck Lasry et nous en avons détaillé les tenants et aboutissants dans un article (accessible en ligne) fraîchement publié dans une revue internationale (5).
MATÉRIELS ET MÉTHODE
Toute réalisation prothétique sur implant(s) implique la réalisation d’un modèle de travail, qu’il soit physique ou numérique. Ce modèle reproduit la situation clinique en bouche et permet alors la confection de la construction prothétique dans le respect des données anatomiques et topographiques d’une part, ainsi que des caractéristiques du ou des systèmes implantaires impliqués. C’est à partir de ce modèle de travail que nous serons en mesure d’élaborer un index en résine capable de figer la topographie initiale d’émergence tridimensionnelle de l’implant ou des implants en situation d’échec. Il est recommandé que l’intervention de remplacement implantaire immédiat ait lieu le plus précocement possible à partir du constat d’échec afin de minimiser le risque de perte osseuse continue, consécutif au phénomène de désostéointégration. Le principe du protocole GuidedRescue repose en effet sur l’idée d’une repose implantaire non seulement guidée par un index en résine, mais aussi facilitée par la préexistence une loge osseuse qu’il faudra juste nettoyer et dégranuler avant la repose d’un implant plus large et / ou plus long mais présentant la même configuration en terme de récepteur prothétique. Le guide ne sert alors qu’à s’assurer du bon repositionnement de la nouvelle tête implantaire pour être conforme et compatible avec la prothèse fixe d’usage. Les étapes de préparation et la mise en œuvre clinique sont illustrées dans les figures 1 à 11.
Après dépose de la prothèse fixe existante (transvissée), la technique Rescue avec prothèse en conservation va consister en les étapes suivantes.
Ce guide chirurgical a été réalisé à partir du modèle de travail qui avait été utilisé pour la confection de la prothèse ; le principe consiste à s’ancrer sur des repères fixes préexistants au moment de la réalisation prothétique, repères qui doivent être identiques et persistants au moment du remplacement de l’implant en situation d’échec. Ici, le repère idéal nous est fourni par l’implant adjacent (en 24) à partir duquel nous indexerons une clé en résine (Duralay©); le repérage tridimensionnel de l’ancien implant 25 est obtenu en connectant sur sa réplique (dans le modèle en plâtre) un surgi-guide de la trousse Cortex utilisé habituellement pour la mise en place d’implants à l’aide d’un guide chirurgical. Ce surgi-guide présente le double avantage : – de s’inscrire parfaitement dans l’hexagone interne de l’implant déposé (Alphabio-Tec©) du fait de la compatibilité prothétique des systèmes d’implants à hexagone interne ;
- d’arborer une hauteur de 9 mm, autorisant ainsi une assise conséquente pour le guide en résine (Fig. 6, 7 et 8).
Sur le plan chirurgical, il faut rapporter à ce stade un point important : suite à la dépose de l’implant en échec et au curetage de la loge implantaire déshabitée, cette dernière présente alors un diamètre plus important que lors de la pose de l’implant en première intention. En seconde intention, il convient donc de choisir un implant plus large et/ou plus long pour assurer une bonne fixité primaire ; le réexamen de l’étude radiologique 3D initiale peut être utile pour le choix de l’implant le plus approprié. Dans le cas qui nous intéresse, nous remplacerons l’implant spiralé Alphabio-Tec© 3.3 X 10 par un implant spiralé Cortex Dynamix© 5 X 8… Et l’insertion sera réalisée directement (sans forage préalable) en exploitant la propriété auto-taraudante de ce type d’implant (Fig. 9 et 10).
DISCUSSION
Cet article indique les prémices d’une nouvelle voie d’abord des échecs implantaires. Quelques points importants méritent d’être mentionnés.
- Les protocoles d’implantations par indexation ne sont pas nouveaux ; ils sont utilisés depuis longtemps, notamment dans le cadre de chirurgies d’implantation immédiate et d’optimisation du berceau prothétique en zone esthétique (6, 7). L’originalité de la technique illustrée ici se rapporte : – à l’adaptation de ces protocoles pour récupérer la prothèse impliquée dans l’échec implantaire d’une part, – au recours à un insert usiné disponible et fiable pour assurer la reproductibilité de la technique, non-opérateur dépendante d’autre part.
- La méthode d’indexation présentée ici met en scène des implants à connexion hexagonale interne ainsi qu’un insert chirurgical long (trousse surgi-guide de Cortex©) que nous avons utilisés dans le cadre des premières applications cliniques de ce concept de préservation prothétique. Le principe peut parfaitement être décliné et adapté : – en recourant au guide chirurgical qui aurait éventuellement été utilisé lors de la mise en place originelle de l’implant qui se trouve en situation d’échec, – avec d’autres systèmes implantaires que ceux à connexion hexagonale interne, à partir du moment où les connexions prothétiques de l’implant initial et de l’implant remplaçant sont compatibles.
- Comme souligné dans un précédent article(5) , la question de torquer immédiatement ou non la prothèse au niveau du ou des implants remplaçants n’est pas encore tranchée, faute d’étude comparative et de recul clinique en la matière.
- Avant de se lancer « tête baissée » dans un tel protocole de remplacement implantaire, il convient évidemment d’essayer de déterminer la ou les causes probables de cette situation d’échec(8, 9) ; les mêmes causes conduisant aux mêmes effets, il est préférable d’y remédier à l’occasion de cette nouvelle procédure clinique (Fig. 12).
CONCLUSION
Sauver la prothèse existante en dépit de l’échec implantaire est un challenge appréciable, surtout pour le patient. La technique Guided-Rescue a le mérite de trouver sa justification dans de nombreuses situations cliniques, que l’échec objectivé soit unitaire ou plural. Ce premier article dans une revue scientifique française vient compléter les principes énoncés en 2020 dans une revue internationale (5) . La validité de ce protocole devra se confirmer via son utilisation par d’autres praticiens-opérateurs, dans le cadre de diverses situations d’échecs et avec le recours à différents systèmes implantaires. Des études multicentriques et multi-systèmes seront susceptibles de conforter nos premiers résultats avec des statistiques significatives. C’est également à l’aune de données physiologiques et biologiques d’une part ainsi que de mesures comparatives randomisées d’autre part, que nous devrons préciser certaines recommandations cliniques, notamment en termes de torque prothétique immédiat ou différé au niveau des implants de remplacement.
BIBLIOGRAPHIE
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- ABBOU M : Traiter et conserver ou extraire et remplacer ? Dental Espace.com – Paroles d’experts du 17-04-2017
- BRANEMARK PI, ZARB GA, ALBREKTSSON T: Tissue-Integrated Prostheses: osseointegration in Clinical Dentistry. Quintessence Publishing Co., 1985; Chicago, USA.
- ALBREKTSSON T, ZARB G, WORTHINGTON P, ERIKSSON AR: The long-term efficacy of currently used dental implants: a review and proposed criteria of success – J Oral and Maxillo-fac Implants, 1986; 11-25
- ABBOU M, LASRY F: Guided rescue technique for the replacement of failing implants while preserving the existing prosthetic construction – Part 1: first cases carried out according to the proposed protocol with the ins and outs of the clinical challenge. Int J Dentistry Res, 2020; 5 (2): 71-75
- ABBOU M: Emergences implanto-prothétiques en zone esthétique : alternatives cliniques au stade prothétique. Alternatives Quintess. Int 2001; 9: 53-64
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- PRANSKUNAS M, POSKEVICIUS L, JUODZBALYS G, KUBILIUS R, JIMBO R: Influence of Peri-Implant Soft Tissue Condition and Plaque Accumulation on Peri-Implantitis: a Systematic Review – J Oral and Maxillo-fac Implants, 2016; 7 (3): e2
- ABBOU M, BESSADE J, LECONTE C, KHAYAT P, ROMAGNA C, TANIMURA R, VALENTINI P: Péri-implantites… La faute aux implants, aux implanteurs ou aux implantés ? Péri-implantites – Colloque SICT MIEUX du 11-01-2018