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GREFFONS TUBÉROSITAIRES ET TUNNELISATION

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Si le clinicien jugera le succès d’une intervention de chirurgie plastique parodontale d’après des critères esthétiques et fonctionnels, le patient, lui, la jugera souvent d’abord à l’aune de son ressenti postopératoire au niveau du site de prélèvement : intensité des douleurs, présence de saignements incontrôlés, durée de l’inconfort masticatoire… Le greffon et son mode de prélèvement sont donc au centre des préoccupations des chirurgiens et des patients, car ils conditionnent autant les résultats obtenus que les suites opératoires. Alors que les biomatériaux se montrent souvent moins fiables que les greffons autologues, le recours à la tubérosité semble particulièrement attractif1. Le prélèvement tubérositaire est en effet quasi exempt de complication hémorragique et douloureuse, et s’il est correctement employé, le greffon tubérositaire permet l’obtention de résultats esthétiques et fonctionnels durables.

PROPRIÉTÉS DES GREFFONS CONJONCTIFS TUBÉROSITAIRES

 ♦ ASPECTS STRUCTURELS
Au niveau de la tubérosité, la lamina propria et le tissu conjonctif sous-jacent présentent des caractéristiques structurelles quasi similaires. Constitué d’un réseau collagénique dense et fortement réticulé2 3, le greffon tubérositaire se remanie peu et constitue un matériau d’augmentation stable dans le temps. Apporté en grande quantité, il peut parfois présenter une tendance à l’expansion4 3. Dans le traitement des récessions avec du matériel tubérositaire, il convient donc de n’apporter que le volume nécessaire pour optimiser l’intégration visuelle de la greffe, contrairement au matériel palatin qui a une tendance au remaniement et à la contraction.

 ♦ CARACTÉRISTIQUES VASCULAIRES
Le réseau vasculaire de la tubérosité est réduit par rapport au palais2. Cette particularité anatomique restreint le greffon tubérositaire à un usage strictement enfoui. Toute exposition hors des limites du tunnel est par conséquent proscrite sous peine de nécrose.

 ♦ POTENTIEL DE KÉRATINISATION
Un tissu kératinisé est caractérisé par l’accumulation à l’intérieur de ses cellules épithéliales d’une protéine réticulée très résistante : la kératine. Cette accumulation protéique offre une résistance accrue aux contraintes exercées par l’environnement, qu’elles soient mécaniques, thermiques, chimiques, microbiologiques…. Un greffon tubérositaire présente un potentiel de transkératinisation5, c’est-à-dire la faculté, sous certaines conditions, d’induire la kératinisation d’un tissu non kératinisé ou d’augmenter la kératinisation d’un tissu déjà kératinisé, au travers du lambeau en dessous duquel il est placé. Cette induction biologique semble s’exprimer principalement si le lambeau se trouvant au-dessus du greffon est fin. Un lambeau épais semble au contraire faire rempart à ce processus. Si ce phénomène de kératinisation est souhaitable en secteur non esthétique en raison du renforcement produit, il doit absolument être évité en zone visible, car il s’accompagne d’un changement de teinte irrémédiable des tissus. Il en résulte qu’afin d’éviter toute pénalité esthétique, le recours aux greffons tubérositaires est à proscrire lorsque le parodonte des dents ou des implants greffés est découvert lors de l’élocution ou du sourire.

SUITES OPÉRATOIRES DES PRÉLÈVEMENTS TUBÉROSITAIRES
Les suites opératoires qui accompagnent le prélèvement tubérositaire sont minimes6 7. Du fait de la faible vascularisation de la tubérosité, les risques hémorragiques pendant le prélèvement et la phase de cicatrisation sont extrêmement limités, contrairement aux prélèvements palatins.
Par ailleurs, en termes de douleurs, le prélèvement tubérositaire passe relativement inaperçu, que le prélèvement se fasse par lambeau ou par gingivectomie. Le mode de cicatrisation, respectivement par première et seconde intention, ne semble pas influer sur les suites opératoires. Plusieurs éléments expliqueraient cette réalité, notamment la plus faible innervation de la région et sa position anatomique en dehors de la zone d’exploration de la langue et d’impaction des aliments.

Fig. 1 : arbre décisionnel pour un concept de traitement adossé à la tunnelisation. (Tunnelisation : un concept global en chirurgie plastique parodontale. Editions Quintessence).

APPLICATIONS CLINIQUES
Dans un concept de traitement publié en 2021, les greffes adossées à la tunnelisation se répartissent schématiquement en deux familles, les greffes enfouies et les greffes exposées8. Pour le clinicien, le choix d’une stratégie de greffe peut se faire sur la base de critères cliniques bien définis et facilement identifiables : hauteur gingivale résiduelle, profondeur du vestibule, épaisseur du biotype, profondeur des lésions radiculaires non carieuses (fig. 1). Ces greffes sont classiquement effectuées avec des greffons conjonctifs d’origine palatine. Cependant, dans un certain nombre d’indications, les greffons tubérositaires peuvent se substituer aux greffons palatins ou s’y combiner.
Dans la famille des greffes enfouies, les greffons peuvent se présenter sous deux formes distinctes : continues et segmentées.
Un greffon conventionnel, c’est-à-dire continu, s’étale en vestibulaire et en proximal des dents traitées. La tubérosité ne peut pas offrir de greffon suffisamment long pour se substituer aux greffons palatins dans ces indications, toutefois elle peut jouer un rôle dans la constitution d’un greffon double couche. Ce dernier est une variante du greffon conventionnel. C’est une construction chirurgicale dans laquelle à un greffon conventionnel d’origine palatine est associé localement un greffon secondaire provenant de la tubérosité. Cet assemblage permet de tirer le meilleur parti des caractéristiques tissulaires des greffons de ces différentes origines. Le cas clinque décrit en figure 2 en illustre l’usage.

Fig. 2-1 : les récessions RT1 sur les incisives mandibulaires ne sont pas problématiques en l’état car le biotype gingival est relativement épais. Cependant un traitement orthodontique est prévu. La prévisualisation des mouvements orthodontiques montre un déplacement important des incisives en vestibulaire et une forte vestibulo-version. Un renforcement du biotype dans le secteur incisif est donc souhaité par l’orthodontiste avant le début du traitement.

Fig. 2-2 : la tunnelisation est une procédure classiquement exécutée par voie endosulculaire. Cependant, lorsque les recessions sont petites ou inexistantes, cette procédure est difficile à exécuter et le risque de déchirer le lambeau est important. C’est pourquoi deux boutonnières sont ajoutées, qui permettent d’effectuer une tunnelisation « a retro », d’apical vers coronaire.

Fig. 2-3 : dans ce cas particulier de renforcement du biotype avant orthodontie, la combinaison d’un greffon palatin avec un greffon tubérositaire est intéressante. L’assemblage est réalisé avec un fil de suture résorbable. Le greffon tubérositaire est positionné au centre de manière à surépaissir et surkératiniser le biotype en regard des incisives centrales, notoirement plus sujettes aux récessions.

Fig. 2-4 : les boutonnières latérales se révèlent également indispensables à l’insertion du greffon. Il eut été impossible en effet de faire rentrer le greffon par voie endosulculaire.

Fig. 2-5 : en fin d’intervention, le couple formé par le greffon double couche et le lambeau tunnelisé est positionné coronairement à la jonction amélo-cémentaire. Les boutonnières sont refermées.

Fig. 2-6 : cicatrisation à 7 jours

Fig. 2-7 : situation après cicatrisation complète (3 mois). L’épaississent du biotype gingival est tel que le traitement orthodontique peut débuter sans risque parodontal.

A contrario, un microgreffon est un greffon dont la largeur est inférieure à celle de la face vestibulaire de la dent traitée. Cette philosophie de traitement est basée sur l’économie tissulaire et l’optimisation des résultats esthétiques. Le cas clinique illustré en figure 3 montre comment les greffons tubérositaires peuvent remplacer avantageusement les greffons palatins dans cette indication.

Fig. 3-1 : dans un contexte de biotype gingival épais, et de ligne du sourie basse, des récessions RT1 se sont développées dans le secteur antérieur maxillaire. Des lésions non carieuses sont présentes sur les incisives centrales et latérales.

Fig. 3-2 : l’emploi d’un greffon continu, c’est-à-dire s’étalant tant en vestibulaire qu’en proximal des dents traitées, présente des inconvénients notables en termes d’esthétique et de morbidité, lorsque le biotype gingival est épais au départ. Dans ce cas de figure, l’épaississement global de la gencive, et notamment de la base des papilles, par un greffon continu n’est pas souhaitable, car le risque d’un surépaississement disharmonieux est réel. En outre, cette philosophie de traitement impose de prélever de grandes surfaces palatines, ce qui augmente la morbidité de l’intervention. Quatre microgreffons sont prélevés à la tubérosité. Les photographies montrent les greffons « bruts de prélèvement » avant remaniement. Retaillés, ils viendront s’emboiter parfaitement dans les zones concaves des racines.

Fig. 3-3 : vues post-opératoires. Le couple formé par les microgreffons et le lambeau est déplacé, immobilisé et appliqué sur les dents au-delà de la jonction amélo-cémentaire par le concept de suture : Ceinture & Bretelles. La précision de ces sutures empêche toute exposition anarchique résultant de l’œdème post-opératoire. Ce niveau de précision est indispensable à la revascularisation des microgreffons tubérositaires.

Fig. 3-4 : cicatrisation à 7 jours.

Fig. 3-5 : situation à 3 ans post-opératoires. Le recouvrement radiculaire est total. Les microgreffons tubérositaires, utilisés comme mainteneurs d’espace, ne sont pas destinés à épaissir un biotype gingival déjà épais à l’origine, mais à compenser les zones radiculaires concaves. En conséquence de quoi, la vue occlusale montre un biotype harmonieux et continu. On ne constate pas d’augmentation inesthétique de la kératinisation en surface, car le biotype gingival initialement épais semble agir tel un rempart.

Dans la famille des greffes exposées, le greffon est conventionnel dans la mesure où il s’étend sur toute la largeur du site opéré.
Il est volontairement exposé au niveau des récessions gingivales traitées et enfoui par ailleurs. Il est parfois possible de recouvrir partiellement les zones exposées par déplacement latéral des tissus périphériques.
Dans les cas complexes de reconstruction gingivale visés par la famille des greffes exposées, il n’est pas toujours possible d’atteindre un résultat optimum en une seule intervention et il est parfois nécessaire
d’intervenir en deux temps pour atteindre le recouvrement et l’épaississement escompté.
Le cas clinique illustré figure 4 montre comment la tubérosité peut jouer alors un rôle stratégique dans le second temps opératoire.

Fig. 4-1 : les 31 et 41 présentent des récessions RT2. Le vestibule est très réduit. Les racines sont projetées en vestibulaire, à la fois par leur positionnement et par leur version.

Fig. 4-2 : un greffon conjonctif palatin est volontairement exposé. La transfixation du plan superficiel tunnelisé avec le greffon sous-jacent permet de fixer précisément le degré d’exposition du greffon. Il n’est pas possible de fermer latéralement le tunnel en raison de la projection des racines, de la contiguïté des récessions et de l’épaisseur du greffon.

Fig. 4-3 : cicatrisation à 2 mois post-opératoire. Le recouvrement radiculaire est total sur la 41 et partiel sur la 31, environ deux tiers de la récession est recouverte. Le recouvrement radiculaire obtenu provient exclusivement de la création de gencive par cicatrisation de seconde intention. Le vestibule buccal est approfondi. Bénéficiant des acquis de la première intervention, une seconde intervention est décidée pour parfaire et péréniser les résultats.

Fig. 4-4 : après tunnelisation en regard des incisives centrales, un greffon tubérositaire est mis en place dans le tunnel. Le choix d’un greffon conjonctif tubérositaire est justifié par son potentiel de transkératinisation et son faible remaniement dimensionnel au cours du temps. Les faibles suites opératoires d’un prélèvement tubérositaire contribuent également à ce choix.

Fig. 4-5 : le greffon tubérositaire est totalement enfoui. Le couple formé par le greffon et le lambeau est déplacé, appliqué contre les dents au-delà de la jonction amélo-cémentaire et immobilisé par le concept de suture Ceinture & Bretelles.

 

Fig. 4-6 : cicatrisation à 7 jours.

Fig. 4-7 : situation à 3 ans post-opératoires. Le recouvrement radiculaire est total en dépit de la classe de récession, qui a priori ne prédispose pas à ce type de résultat. Le vestibule buccal est approfondi et conséquemment la nettoyabilité du site grandement améliorée. La stabilité des tissus sur le long terme est aussi assurée par la création d’un biotype épais et la forte kératinisation. En ce sens, le greffon tubérositaire participe grandement à la pérennité des résultats.

CONCLUSION
La tunnelisation constitue une approche versatile et sécurisante en chirurgie plastique parodontale. L’utilisation judicieuse des greffons tubérositaires, basée sur une compréhension approfondie de leurs propriétés et de leurs indications cliniques, permet d’optimiser les résultats esthétiques et fonctionnels tout en minimisant l’inconfort pour les patients. Cette approche chirurgicale peut être étendue au traitement des récessions péri-implantaires avec néanmoins d’autres contraintes liées à l’implant lui-même.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Tavelli L, Barootchi S, Greenwell H, Wang HL. Is a soft tissue graft harvested from the maxillary tuberosity the approach of choice in an isolated site? J Periodontol. 2019;90(8):821-825. doi:10.1002/JPER.18-0615
  2. Sanz-Martín I, Rojo E, Maldonado E, Stroppa G, Nart J, Sanz M. Structural and histological differences between connective tissue grafts harvested from the lateral palatal mucosa or from the tuberosity area. Clin Oral Investig. 2019;23(2):957-964. doi:10.1007/s00784-018-2516-9
  3. Stuhr S, Nör F, Gayar K, et al. Histological assessment and gene expression analysis of intra-oral soft tissue graft donor sites. J Clin Periodontol. 2023;50(10):1360-1370. doi:10.1111/jcpe.13843
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  7. Amin PN, Bissada NF, Ricchetti PA, Silva APB, Demko CA. Tuberosity versus palatal donor sites for soft tissue grafting: A split-mouth clinical study. Quintessence Int. 2018;49(7):589-598. doi:10.3290/j.qi.a40510
  8. Ronco V. Tunneling: A Comprehensive Concept in Periodontal Plastic Surgery. Quintessence. Quintessence; 2021.

Voir la version anglaise de l’article

 

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A propos de l'auteur

Vincent Ronco

Docteur en Chirurgie Dentaire,
Post-graduate en Parodontologie
et en Implantologie
Exercice limité à la parodontologie
et l’Implantologie, 75012 Paris
Fondateur de la Tunneling Academy
(www.tunneling-academy.com)

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