CONTROVERSE CLINIQUE N°2 : LA SUITE…
Dans notre précédent numéro (LFD179 – Novembre 2022), un second volet de CONTROVERSES CLINIQUES intitulé EVIDENCE-BASED DENTISTRY & ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE – Congruence synchrone OU Décalage temporel ? avait été posé par le docteur Michel Abbou suite à l’édito de sa consoeur, le Dr Frédérique d’Arbonneau, paru dans le numéro 26 de l’ID de juin 2022. On y apprend notamment que la médecine par la preuve se serait imposée dans nos Universités au tournant des années 90.
Comme convenu, voici la seconde partie de cette CONTROVERSE qui se compose :
– des réactions argumentées de 2 praticiens enseignants en exercice : Dr Jacques VERMEULEN et Dr Pascal KARSENTI.
– de l’arbitrage du Professeur Patrick MISSIKA, notamment sur les aspects juridiques de cette problématique.
Ci-après la réaction argumentée du Dr Jacques VERMEULEN
Cela représente un choix difficile L’ « L’Evidence Based Medecine* » peut m’aider, et je peux y puiser les sources d’informations qui me seront nécessaires à prendre la bonne décision thérapeutique, associé à un arbre décisionnel multi-factoriel La présence dans mon cabinet de jeunes consoeurs et confrères m’a conduit, au travers de staff (discussion) sur des dossiers complexes, à me poser une question devant leurs choix : l’EMB
et pour ce qui nous concerne « Evidence Based Dentistry » (EBD) est-elle enseignée à nos étudiants dans tous les domaines de la dentisterie ? Les programmes universitaires sont-ils au fait des dernières « EBD » ?
Lors de ces Staff , leurs réponses thérapeutiques me laisse encore à penser qu’il existe des domaines où il y a un retard de l’enseignement universitaire par rapport aux données acquises de la science.
Prenons un exemple clinique concret.
Pas plus tard que la semaine dernière, une consoeur désemparée dans ses choix, nous questionne au travers d’un groupe de praticiens sur la conduite à tenir Elle nous écrit : « Jeune de 22 ans, après ODF…faut faire quoi ? Ça bouge très légèrement … merci pour votre réponse…on sent une perte osseuse vestibulaire »
Autant de praticiens, autant de réponses différentes dont je vous livre quelques extraits :
JV (moi) : tu as 2 solutions : extraction avec Bridges Maryland avec ailettes sur canines car 11/21 fragiles OU greffes d’apposition horizontale et implants. La temporisation peut se faire avec bridge gouttière ou Maryland. Sur le long terme, la 2 a un meilleur pronostic.
GG : Contention Everstick modèle Paro, ça peut faire gagner 5 à 10 ans si le profil paro est bon. Et après, le gradient thérapeutique de Jacques est ou sera à faire.
MB : si cela bouge que légèrement, pourquoi pas ne rien faire ? Les contentions ce n’est jamais une bonne solution à long terme et les bridges ou implants tu as toujours le temps si la mobilité s’aggrave.
JPM : plus on peut attendre plus on garde d’os…
Pour ma part dans ce type de situation, j’ai pour habitude de créer un arbre décisionnel, basé sur ma connaissance, mes compétences et EBD Compétence dans le sens, suis-je capable de réaliser ce que je propose ? Sinon qui peut le réaliser à ma place et dans l’intérêt du patient.
Malheureusement, beaucoup de praticiens ne proposent que ce qu’ils savent faire et taisent les autres solutions thérapeutiques. Les praticiens ont « une boite à outils » qui datent de leurs années d’études et travaillent avec sans envisager, pour le bien du patient, que d’autres confrères puissent leur proposer autre chose avec une autre « boite à outils » et des techniques actualisées.
La notion de bénéfice/risque va guider mes choix. Des éléments décisionnels vont pouvoir m’aider, quels sont-ils ? 3D, Moulages digitaux et montage articulateur virtuel, Photographies, Wax-up Virtuel Matching 3D/DICOM
Je vous propose ci-après un arbre décisionnel, sur le cas clinique pris en exemple On constate beaucoup de « vert » et peu de « rouge » mais dans les rouges la Classe 3 orthodontique est un facteur négatif majeur pour une attelle collée Le choix implantaire sera privilégié, mais nécessitera un aménagement osseux et muqueux important. Vous devrez vous poser la question : ai-je la compétence et l’expertise pour le faire ?
Autre cas clinique, autre proposition thérapeutique
Patiente 51 ans en soin dans notre cabinet depuis 2011.
Historique : elle nous avait consulté en 2011 pour remplacer des dents absentes à la mandibule. Cette patiente a eu dans sa jeunesse, une intervention d’orthognatie mandibulaire et maxillaire.
Nous découvrons également une résorption radiculaire sur la 21, nous temporisons et mettons en place une surveillance tous les ans. A la mandibule, la présence de nombreuses vis d’ostéosynthèse et des volumes osseux très réduits, nous ont amenés à proposer à l’époque des implants de faible diamètre 3mm en 31 et 41. Après 12 ans, ces implants sont toujours présents avec des expositions de spires, mais sans conséquence
esthétique. A ce jour (2022), la lésion interne s’est agrandie considérablement et nous devons prendre une décision pour la 21 ! Je reprends l’arbre décisionnel dans un rapport bénéfice/risque.
Le rapport est nettement du côté du risque (beaucoup rouge) pour une option implantaire. J’opte pour un bridge Maryland pour remplacer la 21. Grace à l’arbre décisionnel (qui peut être uniquement intellectuel), j’ai pu prendre une option thérapeutique dont le patient sera le principal bénéficiaire.
En conclusion, avant de prendre une décision thérapeutique, une analyse s’impose. Elle tiendra compte des EMB, mais pas que… de vos compétences, de votre plateau technique et surtout de votre patient. Dans ce cas, l’option thérapeutique d’un bridge collé a été prise. Chaque patient est unique, c’est ce qui constitue une des spécificités de notre profession pluridisciplinaire.
Nous devons au cours de notre parcours professionnel acquérir une expertise dans chaque facette (spécialité) de notre « art dentaire », ceci nous permettra de connaitre les limites de nos compétences et d’être capable d’adresser le patient à plus compétent que nous si cela s’impose comme un bénéfice pour ce dernier.
Pour nous aider, l’enseignement Universitaire se doit d’être plus réactif par rapport à l’évolution technologique dans notre métier. Nous pourrons ainsi faire bénéficier nos patients de ces évolutions sans prise de risque médico-légal.