L’émergence des jumeaux numériques révolutionne la pratique dentaire, en offrant une approche innovante pour le recueil, l’analyse des données cliniques et les projections thérapeutiques. (1)
Il est l’aboutissement de dizaines d’années de progrès technologiques qui permettent désormais l’exploration du corps humain sous tous ses aspects : des tissus mous au squelette osseux en passant par l’organe dentaire.
A cette analyse de tissus statiques s’ajoute désormais la cinématique mandibulaire, laquelle permet de reproduire les mouvements de la mâchoire et ainsi animer le jumeau numérique par les mouvements réels du patient.
C’est la superposition de ces données acquises par différents matériels qui aboutit au jumeau numérique du patient, offrant ainsi à l’équipe thérapeutique des possibilités diagnostiques jusque-là inégalées. (2)
L’interdisciplinarité est ainsi grandement facilitée car chaque spécialité peut alors analyser et échanger sur un même support.
Plus encore, il est possible d’ajouter des simulations prothétiques qui seront testées au plus près du réel : on passe alors du jumeau numérique à l’avatar du patient.
Voir Vidéo n°1 : la manipulation de relation centrée est enregistrée sur le patient, puis le jumeau est créé avec les bases osseuses mettant en évidence les mouvements mandibulaires et surtout la cinématique articulaire.
CONFECTIONNER SON JUMEAU
La réalisation débute par la collecte de données précises à partir d’examens secondaires : images radiographiques en 3D (fichiers DICOM), modèles numériques des arcades (fichiers .STL ou .PLY), facescan (fichiers .OBJ ou .PLY) et animation cinématique (fichiers .XML)
La qualité initiale des données et la qualité de leur superposition sont les éléments déterminants du résultat final. Et évidement, il existe une variabilité dans la qualité des jumeaux numériques : une belle image à l’ordinateur n’est pas forcément juste, il faut savoir critiquer et analyser chaque examen secondaire.
Techniquement, ces dernières années, c’est la superposition des données DICOM (issues des examens radiographiques) et des STL (volume 3D des arcades dentaires) qui a facilité grandement l’application de ces techniques en chirurgie dentaire, notamment par la généralisation des chirurgies guidées, statiques (guides fixes) ou dynamique (navigation chirurgicale).
Voir Vidéo n°2 : une photographie en 2D est utilisée ici pour objectiver le rapport à la face. Les jumeaux sont construits selon les possibilités de chacun. Nous voyons les arcades pré-opératoires et les simulations en blanc des propositions de restauration, les mouvements sont les déplacements réels de la mandibule.
Le déploiement de cet arsenal concerne maintenant toutes les disciplines dentaires et de nouvelles applications sont proposées en permanence.
Récemment, la transformation de la nature des fichiers permet une meilleure convergence des données, et ainsi la transformation des DICOM en STL permet d’obtenir des pièces osseuses en 3D faciles à utiliser.
La segmentation automatique des DICOM permet maintenant d’individualiser des zones anatomiques améliorant encore grandement le maniement de tous ces outils.
Actuellement, le déploiement des intelligences artificielles au service des jumeaux numériques est une accélération phénoménale de cette évolution. Elles ajoutent en plus les analyses et les comptes rendus des
examens radiographiques.
AU CABINET
Différentes plateformes permettent aux chirurgiens-dentistes de créer eux même leurs jumeaux, en général ce sont des plateformes d’acquisition de scan faciaux, on peut citer ici Meditsmile® ou Rayface®® ou Romexis®. Ces applications sont en constant développement et il faut absolument précisément les explorer avant de s’engager vers un outil quel qu’il soit.
Il est aussi possible de réaliser la convergence de ces données en ligne, et de bénéficier de l’aide de l’IA pour gérer les fichiers et leur superposition avec la plateforme en cloud de Relu®.
Cette interface est un lien entre les cliniques et les laboratoires et elle se connecte avec de nombreuses solutions digitales en 3D.
Enfin, à notre connaissance, le dispositif le plus avancé qui est aussi le plus ancien et le plus complet, est Modjaw Tech In Motion®. En plus de proposer la construction du jumeau numérique, il permet surtout l’acquisition et le replay de la cinématique mandibulaire. On aboutit ainsi à un jumeau numérique en 4D, c’est à dire des volumes 3D animés par le déplacement temporel de l’arcade mandibulaire. (3)
L’interface se présente ici comme une plateforme numérique intuitive qui permet l’analyse diagnostic et la projection vers les laboratoires de prothèse.
Cette plateforme permet également de présenter aux patients les expositions de plan de traitement et ainsi recueillir leur plein consentement.
AU LABORATOIRE
Le rôle des laboratoires de prothèses a profondément évolué et ils sont la solution majeure pour réaliser ces jumeaux numériques pour les chirurgiens-dentistes qui ne souhaitent pas consacrer du temps à leur établissement.
Les logiciels de CAO dentaire, tels que, entre autres, Exocad® ou 3Shape® ou Nemotec® ou ZirkonZahn® permettent la réalisation des jumeaux numériques. Ils intègrent également la lecture des mouvements mandibulaires (fichiers .XML) enregistrés par exemple par Modjaw®, ou Zebris® ou Itaka® ou Prosystom®.
Notons que de plus en plus de cabinets intègrent à leur pratique la présence d’un prothésiste informatique ou infothésiste. Cela permet de gagner en fluidité sur toutes les étapes pré-cliniques et faire le lien avec les laboratoires de production.
INTÉRÊTS DIAGNOSTIQUES
Les jumeaux numériques présentent des intérêts diagnostiques majeurs. En intégrant des outils d’analyse avancés, les professionnels de la santé dentaire peuvent effectuer des évaluations précises et rapides.
La modélisation 3D permet d’observer des anomalies sous différents angles, offrant ainsi une meilleure compréhension des problématiques dentaires, cela est majeur sur le plan esthétique. (4)
Lorsque la cinématique mandibulaire est utilisée, c’est un pan entier de la chirurgie dentaire qui change de monde. Car cela simplifie la compréhension des rapports occlusaux, qu’ils soient statiques ou dynamiques. Ce qui était de l’ordre d’une spécialité complexe devient accessible au plus grand nombre et surtout pénètre le désormais célèbre workflow.
INTÉRÊTS THÉRAPEUTIQUES : DU JUMEAU À L’AVATAR
Grâce à la possibilité d’anticipation des résultats, les praticiens peuvent simuler divers scénarios de traitement. Cette approche préventive, souvent désignée sous le terme d’« avatar », permet de superposer les dessins diagnostiques au jumeau numérique, illustrant ainsi les résultats potentiels des projets futurs.
En visualisant les effets des traitements proposés, les chirurgiens-dentistes peuvent personnaliser leurs approches, augmentant ainsi l’efficacité et la satisfaction des patients. Et lorsqu’il s‘agit de préparer en amont les transformations orales, les traitements sont plus précis et plus rapides et in fine plus confortables pour les patients et les équipes soignantes. (5)
EVOLUTIONS ET PERSPECTIVES
Les scanners faciaux sont pour l’instant figés. La technologie d’enregistrement dynamique existe, elle est utilisée dans le cinéma, elle n’est pas encore appliquée couramment en médecine. Il faut bien séparer ici les simulations artificielles par IA qui simulent les mouvements des lèvres et les enregistrements réels.
Il en est de même pour les mouvements de mâchoires, si certaines applications extrapolent des mouvements en fonction d’analyses volumétriques et de données statistiques, elles ne sauraient être pertinentes pour des diagnostics individuels médicaux.
L’analyse du jumeau par des IA d’interprétation des données et en guide de diagnostic sera certainement la prochaine évolution significative.
CONCLUSION
Le jumeau numérique est une somme des diagnostics secondaires, lesquels portent bien leur nom. Ils sont secondaires à l’examen clinique qui prévaut. Si les examens secondaires n’ont jamais été aussi proches de la réalité qu’en ce moment, les thérapeutes doivent maîtriser ces outils et garder leur sens clinique et surtout être critique vis à vis des images proposées.
En termes de justesse et de précision, nous devons connaitre les limites de nos outils pour les utiliser au mieux. Ces limites prises en considération, l’adoption des jumeaux numériques en dentisterie, facilitée par des technologies telles que Modjaw Tech in Motion, transforme les pratiques diagnostiques et thérapeutiques. En combinant précision, anticipation et communication, ces outils numériques ouvrent de nouvelles perspectives pour l’avenir de la dentisterie, rendant les soins plus efficients et adaptés aux besoins individuels des patients.
BIBLIOGRAPHIE
1. Vallée A. Digital twin for healthcare systems. Front Digit Health. 2023 Sep 7;5:1253050.
2. Conejo J, Dayo AF, Syed AZ, Mupparapu M. The Digital Clone: Intraoral Scanning, Face Scans and Cone Beam Computed Tomography Integration
for Diagnosis and Treatment Planning. Dent Clin North Am. 2021 Jul;65(3):529-553.
3. Felenc S, Lethuillier, Jaisson M. Apport du digital aux choix fonctionnels et esthétiques: l’intérêt de la dentisterie 4D. QDRP 2018;12(4):335-346.
4. Coachman C, Calamita MA, Sesma N. Dynamic Documentation of the Smile and the 2D/3D Digital Smile Design Process. Int J Periodontics Restorative Dent. 2017 Mar/Apr;37(2):183-193.
5. Joda T, Zarone F, Ferrari M. The complete digital workflow in fixed prosthodontics: a systematic review. BMC Oral Health. 2017 Sep
