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PROTOCOLES ÉMERGENTS ET DONNÉES ACQUISES DE LA SCIENCE : QUELLE CONDUITE ADOPTER ?

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La question de la conformité aux données acquises de la science est essentielle dans l’appréciation de la responsabilité médicale. on définit un protocole émergent comme une connaissance médicale actuelle qui n’a pas encore fait l’objet d’un consensus scientifique. une mise en oeuvre qui ne répond donc pas aux critères de conformité posés par le législateur et qui peut engager la responsabilité d’un praticien au regard de son obligation de moyens. Bien que la faute technique soit appréciée à la date des soins,
le praticien mis en cause peut néanmoins invoquer pour sa défense des recommandations émises postérieurement à cette date. l’évolution des connaissances médicales est donc admise autant que le libre choix par le praticien du traitement qu’il juge le plus approprié au cas de son patient.
Ainsi, l’application d’un protocole émergent doit se justifier par une analyse rigoureuse du rapport bénéfice-risque, une compétence professionnelle et une information renforcée auprès du patient.

Mots clés : données acquises de la science, responsabilité médicale, faute technique, connaissance médicale actuelle, protocole émergent, bonnes pratiques

INTRODUCTION
La notion de données acquises de la science est une notion essentielle car elle sert de référentiel professionnel, déontologique et juridique.
En effet et bien que la loi Kouchner du 4 mars 2002 conditionne l’obligation de moyens au respect des connaissances médicales avérées, la mission qui est confiée par le magistrat à l’Expert comporte toujours cette même question clé pour engager la responsabilité du praticien :
« Les soins ont-ils été attentifs, consciencieux,  diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ? »
A priori, en cas de litige, la mise en oeuvre d’un protocole thérapeutique qui ne répond pas aux standards du référentiel doit être considérée comme une faute.
Dans quel champ faut-il considérer un protocole émergent, un écart irrémédiable à la norme ou une évolution scientifique qui trouvera une justification future ? Comment évaluer sa mise en oeuvre ? Quelle conduite à tenir pour le praticien ?

DONNÉES ACQUISES ET PROTOCOLES ÉMERGENTS
Les données acquises de la science sont définies comme des techniques
• ayant fait l’objet d’études cliniques multicentriques
• ayant fait l’objet de publication dans une revue scientifique avec comité de lecture
• enseignées dans des facultés de médecine et de chirurgie dentaire
• faisant l’objet d’un consensus de la communauté scientifique
Il est admis qu’ une connaissance médicale doit être validée par un niveau de preuve scientifique suffisant ou par une pratique devenue classique, pour passer du statut de connaissance médicale actuelle à celui de connaissance médicale acquise ou avérée.
Et par définition, un protocole émergent relève de la connaissance médicale actuelle qui n’aurait pas, du fait de son innovation, pu faire l’objet d’un consensus scientifique.
Les données acquises ou les connaissances médicales avérées renvoient donc à des normes validées par l’expérimentation et la communauté scientifique. Elles constituent dès lors un standard de référence. C’est sur cette base que les juges apprécient l’existence d’un éventuel manquement du praticien susceptible d’engager sa responsabilité.
Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 5 avril 2018 (Cass. 1ère Civ. 5 avril 2018, n°17-15.620) permet de considérer que si la faute est appréciée au regard des données acquises de la science à la date des soins ; le professionnel de santé peut se servir de données postérieures pour prouver le caractère approprié des soins.
Admettre ainsi l’évolution des données acquises, c’est admettre que le référentiel standardisé peut avoir des limites.
L’élaboration de guide de bon usage de soins ou de recommandations de bonnes pratiques est une des missions de la HAS comme le précise la loi du 13 aout 2004 relative à l’Assurance maladie (article L. 161-37 ) .
Les recommandations de bonne pratique (RBP) étant définies comme des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans les circonstances cliniques données.
Leur rédaction aboutit à un texte de synthèse des connaissances et des pratiques à partir des données de la littérature scientifique et de l’avis d’experts.
La démarche consiste à identifier les niveaux de preuve scientifique fournis par la littérature et à formaliser des recommandations prenant en compte les informations compilées.(1)
Les recommandations sont classées en grade A, B ou C selon les modalités suivantes : (2) (Fig.1).
Grade A : la preuve scientifique est établie au moyen d’études de niveau 1(essais cliniques randomisés en double aveugle, méta-analyse d’essais comparatifs randomisés, analyse de décision basée sur des études bien menées)
Grade B : la présomption scientifique est établie au moyen d’études de niveau 2 (essais comparatifs randomisés de faible puissance, études comparatives non randomisées bien menées, études de cohortes)
Grade C : le niveau de preuve scientifique est faiblement établi au moyen d’études de niveau 3 (études de cas témoins) ou de niveau 4 (études comparatives comportant des biais importants, études rétrospectives, séries de cas, études épidémiologiques descriptives)
Dans un document publié en 2013 par le collège de l’HAS (3), il est précisé que si cette gradation des recommandations est bien fondée sur le niveau de preuve scientifique, il ne présume pas obligatoirement du degré de force de ces recommandations.
En effet, on trouve des situations où malgré l’absence des données scientifiques, il existe néanmoins un consensus médical. Dans ce cas, des recommandations de grade C ou fondées sur un accord d’experts pourront apparaître comme fortes.
La hiérarchisation des RBP est donc indépendante de leur gradation et est fondée autant sur le niveau d’évidence scientifique que sur l’interprétation d’experts, néanmoins les RBP devront explicitement distinguer les réponses soutenues par l’évidence scientifique de celles qui ne le sont pas.

Il faut garder à l’esprit que si les recommandations de bonnes pratiques de la HAS sont une aide précieuse, elles ne constituent pas une obligation à suivre systématiquement au pied de la lettre .
En 2017, la présidente du collège de la HAS admettait le caractère évolutif de la médecine en précisant toutefois le risque judiciaire à ne pouvoir justifier une attitude qui s’éloignerait des bonnes pratiques.
Ainsi, on le voit, il est admis un champ d’action possible pour le praticien qui conjugue recommandations, expérience et savoir-faire dans le choix de la thérapeutique qui lui semble la plus appropriée.
Ce choix se fonde sur une balance bénéfice /risque et doit être fait en concertation avec le patient par une information loyale et claire.

Fig. 1 : grade des recommandations (Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations –ANAES- 2000).

PROTOCOLES ÉMERGENTS : CONDUITE À TENIR
Dans quelles conditions peut-on mettre en oeuvre un protocole qui n’apparaît pas encore en tant que connaissance médicale avérée ?
L’exemple de la prise en charge d’un patient présentant une canine incluse interférant avec le site d’implantation est une illustration de la problématique.
Les situations cliniques de ce type sont rares du fait de la prise en charge orthodontique précoce qui permet un réalignement de la dent ectopique dans 100 % des cas. Néanmoins, pour les patients qui ne sont plus éligibles à un tel traitement, le traitement implantaire conventionnel qui suppose l’extraction de la dent incluse peut nécessiter la mise en oeuvre de protocoles complexes qui présentent une morbidité importante, mais qui, largement étudiés dans la littérature, sont considérés comme fiables et prédictibles (4).
Une prise en charge « non conventionnelle » est proposée en 2009 (5) dont l’évaluation ne peut prétendre à une assise scientifique puissante compte tenu du peu de situations cliniques concernées autant que de leur singularité. Cette proposition qui présente l’avantage de réduire considérablement le gradient thérapeutique inhérent à la prise en charge conventionnelle repose sur le concept d’intégration minérale ou de dento-intégration (6)(7) qui en l’état des connaissances actuelles, sans consensus d’expert encore publié, doit être considéré comme un protocole émergent.
Quelle conduite adopter en 2023 face à une telle situation clinique ?
Pourra-t-on reprocher à un praticien d’avoir extrait la dent incluse plutôt que de l’avoir transfixée ?
Primum non nocere ! L’article R.4127-40 du Code de la santé publique rappelle :
« Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié. »
De ce point de vue, dans le cas d’une canine incluse, chez un patient de plus de 30 ans pour lequel la traction orthodontique est un échec annoncé (8), il faut considérer que certaines situations d’ankylose bicorticale contre indiquent l’extraction du fait du délabrement mutilant que cela impliquerait et imposent le choix d’une alternative thérapeutique pour traiter l’édentement canin.
L’abstention de tout traitement chirurgical et le recours à une prothèse amovible est toujours possible, mais répond rarement à la demande du patient. Une réhabilitation prothétique fixée nécessite l’analyse de la valeur intrinsèque des dents piliers et s’il s’agit de dents saines et indemnes de toute restauration, le choix qui impose un délabrement de ces dents doit être discuté et mis en perspective avec l’alternative implantaire.
Même si le niveau de preuve scientifique est faible, l’analyse de la littérature renseigne sur le protocole et les situations d’échec (9).
On se rend compte que si technicité et compétence sont requises, l’absence de douleur post opératoire et la stabilité clinique des cas traités confèrent à cette approche conservatrice une place légitime dans le champ des solutions thérapeutiques. (Figs. 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9)

Fig. 2 : canines incluses bilatéralement chez une patiente de 60 ans.

Fig. 3: Analyse pré-implantaire en 13 Ankylose et ancrage bicortical contre-indiquent l’extraction. La situation intra osseuse de la canine permet une bonne accessibilité et un ancrage trans-radiculaire franc, ce qui représente une situation favorable au regard de la littérature et de l’expérience acquise.

Fig. 4 : Analyse pré-implantaire en 23 Ankylose et ancrage bicortical contre-indiquent l’extraction. L’axe prothétique impose un protocole qui multiplie les facteurs de risques en terme de qualité d’ancrage et de complexité d’intervention.la situation est considérée comme peu favorable.

Fig. 5 : Analyse pré-implantaire en 24 une implantation associée à un protocole de ROG est possible. L’alternative à l’implantation trans corono-radiculaire est complexe mais codifiée par la littérature scientifique.

Fig. 6 : contrôle en 13 On note l’absence de symptomatologie clinique et l’intégration esthétique et fonctionnelle de la couronne céramo-céramique scellée sur faux moignon transvissé en zircone.

Fig. 7 : Contrôle radiographique en 13 Le jour de la pose de la prothèse d’usage.

Fig. 8 : Contrôle radiographique en 23 et 24 Le choix de réaliser une extension mésiale reste un compromis qui pourra être argumenté comme le protocole le moins invasif et dont l’échec pourra être repris sans perte de chance pour la patiente.

Fig. 9 : Contrôle radiographique en 13 5 ans après la pose de la prothèse d’usage.

La réflexion doit donc porter sur les alternatives thérapeutiques et interroger le rapport bénéfice/ risque au regard de l’âge et de la compliance du patient, mais surtout au regard de l’analyse préimplantaire qui validera la pertinence du traitement.
L’axe prothétique étant matérialisé et superposé aux données osseuses du CBCT, il est nécessaire d’évaluer la complexité de l’intervention pour en cerner les risques.
On étudiera notamment l’accessibilité à la dent incluse permettant d’y effectuer un ancrage mécanique stable, mais également la nécessité d’une régénération osseuse guidée vestibulaire ce qui, le cas échéant viendrait compliquer le protocole et ne correspondrait plus aux situations proposées dans les études de référence.
Compte tenu des connaissances actuelles, un expert pourrait trouver alors imprudent la mise en oeuvre d’un tel protocole et le praticien se voir reprocher de n’avoir pas recouru à des moyens fiables.
Dans ce contexte où la littérature scientifique n’a pas encore fait l’objet d’un consensus, il est nécessaire de s’assurer que le patient a bien compris les enjeux du traitement et le bénéfice attendu. Dans tous les cas, le risque d’échec et /ou de complication doit être évoqué et les conditions d’une ré-intervention doivent être définies clairement.
Il est recommandé de faire un courrier récapitulatif à l’attention du patient qui précisera le motif de la
consultation, les éléments de diagnostic, les différentes solutions thérapeutiques et leur bénéfice/ risque.
Pour autant, même si une information renforcée est portée et que le patient a consenti clairement au protocole, une faute technique peut toujours être imputée, si l’expert considère que le praticien à failli à son obligation de moyens.
Son analyse portera sur les éléments démontrant la rigueur de la réflexion ayant conduit à la mise en oeuvre du protocole, sur la qualité de la prise en charge chirurgicale et post chirurgicale, sur l’expérience du praticien et sa formation.

POUR CONCLURE

Un praticien a le libre choix du traitement, qui lui semble le plus approprié au cas de son patient, tant qu’il reste dans le champ de conformité défini par son obligation de moyens.
La loi Kouchner encadre cette obligation par le respect des connaissances médicales avérées donc éprouvées
scientifiquement ce qui n’est pas le cas des protocoles émergents. Pour autant, l’évolution du référentiel est admise et le professionnel de santé doit pouvoir argumenter et justifier de sa décision. Ainsi, même si les avis des experts peuvent diverger sur le point de la conformité aux données acquises de la science, ils pourront converger sur l’analyse des différents éléments ayant conduit à la décision thérapeutique, la compétence dans la mise en oeuvre du protocole autant que la capacité à assurer le suivi post opératoire. C’est la synthèse de toutes les questions posées dans la mission d’expertise qui fondera in fine la décision du juge.
Une jurisprudence récente permet dorénavant de considérer que si la faute doit être appréciée au regard des connaissances médicales avérées à la date des soins, la référence à des données acquises postérieurement à la date d’exécution pourra être invoquée pour démontrer le caractère approprié de la prise en charge.
Dans tous les cas, on ne saurait déroger au devoir d’information qui doit permettre au patient d’adhérer au traitement en lui exposant clairement les enjeux et les bénéfices attendus de la mise en oeuvre d’un protocole dont la prédictibilité n’a pas encore été démontré scientifiquement.

BIBLIOGRAPHIE

1- P. Simonet, P. Missika, P. Pommarède
Recommandations de bonnes pratiques en odonto-stomatologie
Espace ID-2015
2- A.N.A.E.S.
Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations. Janvier 2000
3- H.A.S
Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonnes pratique : état des lieux.2013
4- Pieri F1, Aldini NN, Marchetti C, Corinaldesi G.
Esthetic outcome and tissue stability of maxillary anterior single-tooth implants following reconstruction with mandibular block grafts: a 5-year prospective study.
Int J Oral Maxillofac Implants. 2013 Jan-Feb;28(1):270-80

 

5-Davarpahah M, Szmukler-Moncler S
Unconventional implant placement. 2: placement of implants through impacted teeth. Three case reports.
Int J Periodontics Restorative Dent. 2009 Aug;29(4):405-13.
6-A.Labidi, S.Bekri, L.Mansour,  S. Ghoul-Mazgar
Implants Placement in Contact with Dental Tissue: A Potential Paradigm Shift?  Systematic Literature Review
Eur J Dent. 2019 Oct; 13(4): 642–648
7-F. Schwarz .I. Mihatovic .V. Golubovic . J. Becker
Dentointegration of a titanium implant: a case report
Oral Maxillofac Surg (2013) 17:235–241
8-Becker A, Chaushu S.
Success rate and duration of orthodontic treatment for adult patients with palatally impacted maxillary canines.
Am J Orthod Dentofacial Orthop 2003;124: 509–14

9-Davarpanah M, Szmukler-Moncler S, Rajzbaum P
Unconventional implant placement. V: implant placement through impacted teeth; results from 10 cases with an 8- to 1-year follow-up
Int Orthod. 2015;13(02):164–180

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