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Approche clinique d’un cas « terminal » de parodontite agressive sévère

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Le 4 mars 2002, une femme de 44 ans nous est adressée par son chirurgien-dentiste traitant pour second avis. Elle aurait été informée que son cas était « désespéré » et qu’il fallait en conséquence extraire toutes les dents et réaliser une prothèse adjointe totale. La patiente est employée dans une banque, mariée, et mère d’un enfant né à terme.

L’anamnèse médicale ne retient rien de particulier excepté des céphalées d’origine vasculaire contrôlées par la prise d’un ß-bloquant. La glycémie à jeun est à 1,17g/L avec un léger surpoids mais sans antécédents familiaux de diabète de type 1 ou 2. Enfin, aucune tabagie n’est présente.

La patiente se plaint principalement de saignements au brossage, de tassements alimentaires gérés à l’aide de cure-dents, d’abcès localisé dans le secteur mandibulaire postérieur gauche traité par la prescription d’amoxicilline en novembre 2001, de mobilités dentaires et de migrations (diastèmes au niveau des dents antérieures maxillaires). La motivation majeure de la patiente est d’éviter la prothèse adjointe.

Le dernier détartrage a été réalisé en juillet 2000, apparemment sans suites cliniques particulières excepté des saignements per op. L’hygiène dentaire, rendue difficile par des mobilités douloureuses, est assurée par l’utilisation d’une brosse à dents souple et d’un dentifrice du commerce. Un traitement orthodontique à dispositif mobile a été réalisé durant l’enfance.

Il existe des antécédents familiaux de parodontite sévère (e.i. le père). Par ailleurs, le test PST1 révèle une dysfonction du gène codant l’interleukine 1ß. L’examen clinique confirme les éléments de l’entretien. On observe des mobilités généralisées plus sévères au niveau de la dent 22. La muqueuse gingivale est oedématiée et hémorragique au moindre contact (Figure 1). La plaque supragingivale est abondante et des quantités importantes de tartre supra et sousgingival sont évidentes. Il est possible qu’il existe une parafonction en réaction aux mobilités. La présence de l’inflammation sévère n’autorise aucun sondage.

Un échantillon de plaque sousgingvale, prélevé à l’aide une curette 4L/4R sur la face mésio-linguale de 36, et examiné au microscope à contraste de phase2 révèle de très nombreux spirochètes et des bâtonnets motiles (grossissement x 800).

Le bilan radiologique long-cône objective des crêtes interproximales situées au-delà de la moitié apicale des racines, des images de défauts « intraosseux » (44/45), des cratères interproximaux avec disparition des lamina dura et des atteintes probables des espaces interradiculaires interproximaux (Figure 2).

Le diagnostic suivant a été proposé : parodontite agressive généralisée cliniquement, radiologiquement et microbiologiquement active accompagnée de pertes d’attache de l’ordre de 50 % à 70 % avec un haut risque de récidive après traitement. La possibilité d’une composante occlusale a été évoquée.

La patiente est immédiatement et clairement informée de la nature infectieuse de sa pathologie et des différentes étapes du traitement parodontal : (1) contrôle de l’infection suivi de (2) l’élimination méticuleuse des spicules de tartre supra et sousgingivaux. Elle est également informée du bon pronostic et de la possibilité d’éviter la prothèse totale à la condition de respecter les prescriptions « à la lettre ». Après avoir déterminé le montant des honoraires, pour la totalité du traitement parodontal (excepté la maintenance), la patiente nous donne son accord verbal et écrit.

La patiente est d’emblée instruite – par écrit et à l’aide d’une démonstration en bouche – des soins locaux à réaliser deux fois par jour. Ces derniers consistent essentiellement en (1) l’utilisation d’un révélateur de plaque3, suivi (2) d’un contrôle mécanique de la plaque supragingivale à l’aide d’une brosse à dents Inava 15/1004 et de brossettes interdentaires5, puis (3) d’un contrôle médicamenteux à l’aide d’un mélange de peroxyde d’hydrogène à 3% et de bicarbonate de soude6 et enfin, (4) d’un bain de bouche antiseptique à base de chlorhexidine à 0,2%7. Le contrôle de la plaque sousgingivale est assuré par la prise d’une association de spiramycine (1.5M I.U.) et de métronidazole (250 mg)8 deux fois par jour pendant cinq jours.

La patiente est revue après un mois de soins locaux. Les saignements et les mobilités ont cessé.

On ne constate que peu de récessions gingivales (Figure 3). La patiente exprime sa satisfaction d’avoir retrouvé du confort notamment au niveau de la fonction masticatoire. Le diastème entre 22 (dent vitale) et 23 a « spontanément » diminué. L’échantillon de plaque sousgingivale (visuellement très peu abondante) examiné au microscope se révèle composé de filaments, de coccis et de bâtonnets non-motiles.

L’élimination méticuleuse du tartre supra et sousgingival est donc initiée en utilisant un instrument infrasonique9, une fibre optique et des loupes binoculaires10. Une attention particulière est portée à ne pas rompre l’attache épithélio-conjonctive (Charon et Mouton, 2003). Aucune anesthésie locale n’a été nécessaire. La disparition de l’oedème gingival fait apparaître des spicules de tartre sousgingival qui se situaient au départ en position sousgingivale. Le tartre coloré par la chlorhexidine est facilement visible par « translumination ». A chaque visite, l’élimination du tartre par « lithotritie » concerne tous les sites en abordant les lésions de la superficie à la profondeur. Un total de 4 heures réparties en 6 séances ont été nécessaires pour éliminer le tartre visible et décelable au toucher. Aucun surfaçage, curetage ou acte chirurgical n’ont été nécessaires.

En février 2003, toutes les lésions sont cicatrisées et le diastème 22/23 est totalement fermé (Figure 4).

Le bilan radiologique objective une amélioration très nette du niveau des crêtes interproximales avec réapparition des lamina dura et un « comblement » des défauts osseux (Figure 5). L’analyse de la flore sousgingivale à l’aide de sondes nucléiques11 indique une flore compatible avec la santé parodontale. La patiente est alors soumise à un régime de maintenance tous les six mois avec les mêmes soins locaux que ceux prescrits au cours du traitement actif.

Par souci esthétique, la patiente a décidé d’entreprendre un traitement orthodontique12 (Invisalign ™) qui s’est terminé en octobre 2006. Les examens cliniques et radiologiques montrent que le statut parodontal de la patiente continue de s’améliorer (Figures 6 et 7). À la demande du confrère orthodontiste, une contention a été réalisée à l’aide de composites collés13 au niveau des dents antérieures maxillaires et mandibulaires même si aucune mobilité pathologique n’était observée. Il est intéressant de noter que la patiente a ensuite suivi un régime alimentaire et perdu 11 kgs (indice de masse corporelle actuel : 25).

Discussion

Les parodontites sont des infections bactériennes (Slots, 1999) qui conduisent – en l’absence de traitement – à la destruction des tissus parodontaux (pertes d’attache) avec ou sans formation de poches (Charon et Mouton, 2003). Ces destructions tissulaires sont principalement dues à une réaction inflammatoire « hors contrôle » où certaines cytokines produites par l’hôte jouent un rôle majeur (Kornman et al., 1997). Elles sont classées en parodontites localisées ou généralisées, chroniques ou agressives (Armitage, 2002).

Il est aujourd’hui largement admis que le contrôle de l’infection est la toute première étape du traitement parodontal même s’il semble que la plupart des détartrages soient encore réalisés d’emblée sans diagnostic. Quand il l’est, il fait encore très souvent appel à un contrôle mécanique de la plaque par une hygiène dentaire « rigoureuse » (Egelberg, 1999). Pour cette patiente particulière, il peut être admis que l’hygiène dentaire classique (même excellente) n’aurait pas été suffisante pour contrôler de manière efficace cette infection parodontale sévère (Haffajee et al., 1997). C’est la raison pour laquelle les soins locaux ont fait appel à des antiseptiques puissants afin de rétablir une flore supragingivale compatible avec la santé parodontale (Charon et Mouton, 2003). Il est important de signaler que, quelle que 7 Corsodyl™, Beecham SmithKline, France soit la justesse des prescriptions, la collaboration étroite entre le malade et le praticien est garante du succès (ce qui a été le cas ici).

Le niveau initial des crêtes interproximales ainsi que celui de la gencive marginale permettent de déduire que les lésions étaient d’emblée profondes. En conséquence, quelle que soit la procédure de contrôle de plaque supragingivale, le biofilm sousgingival n’aurait pas pu être pris en charge avec pour conséquence une progression de la pathologie (« parodontites réfractaires »). Par conséquent, du métronidazole (auquel les spirochètes sont sensibles) a été prescrit (Slots et Rams, 1999) (Sixou, 2005).

A priori, il peut apparaître surprenant que les mobilités et les migrations aient cessé après un mois de traitement anti-infectieux sans intervention manuelle du praticien et sans contention. Cependant, il a été montré que les mobilités et les migrations sont souvent la conséquence d’une infection active et qu’elles diminuent après contrôle de l’infection (Gaumet et al., 1994) (Kerry et al., 1982). De plus, ce cas clinique confirme que le tartre per se n’est pas pathogénique (Allen, 1965) et que l’occlusion n’a joué ici qu’un rôle mineur (ce qui n’avait pas été clairement diagnostiqué à la première consultation).

Un bilan parodontal « classique » comprend obligatoirement un sondage systématique des poches parodontales (Lamster, 1995) (Mombelli, 2005). Cependant, lorsque l’infection est sévère, le sondage est douloureux, imprécis, et prend le risque de diffuser l’infection (Listgarten, 1980). Pour les mêmes raisons, les détartrages réalisés sur un terrain infecté peuvent conduire à des abcès après détartrage (« post-scaling abcess » des anglo-saxons) avec les pertes d’attache sévères qui l’accompagnent (Claffey, 1994) (Herrera et al., 2000). Aucun surfaçage (e.i. élimination du cément) n’a été réalisé car il a été montré que celui-ci n’était ni nécrosé ni imprégné profondément d’endotoxines (Moore et al., 1986) (Nyman et al., 1988). De plus, les caries étant totalement absentes, des manoeuvres de dentisterie ou de prothèse n’ont pas pu détruire le cément. Incidemment, nous avons souvent observé que les parodontites les plus agressives sont rarement accompagnées de caries. Il est probable que les bactéries impliquées dans l’étio-pathogenèse des parodontites sont peu ou pas cariogènes (e.i. production d’acide lactique) (Haffajee et Socransky, 2005) (Slots, 1999).

Au premier regard, l’examen (trop) rapide du bilan radiologique aurait pu faire croire à une destruction quasi totale et « non-traitables » des tissus parodontaux (notamment de l’os parodontal) avec décision irréversible d’extractions multiples avec les conséquences psychologiques sur la patiente. Dans ce cas, il ne s’agissait probablement pas de « pertes osseuses » mais de déminéralisation due à l’infection mais sans détachement des fibres de la surface de la racine.

L’élimination rigoureuse et « délicate » du tartre sousgingival a permis la cicatrisation des lésions avec fermeture des poches (Greenstein, 1992). Au cours des années 50 à 70, il était admis que la seule façon efficace de faire disparaître les poches parodontales était de les supprimer par chirurgie d’exérèse. Ce cas clinique illustre le fait que les lésions parodontales peuvent se fermer (Loesche et al., 2005) à la condition que la flore soit compatible avec la santé parodontale (Roberts et Darveau, 2002) et que les obstacles à leur fermeture (la plupart du temps le tartre) soient supprimés. Notre approche est très voisine de celle récemment décrite par l’équipe de Mark Quyrinen (Quyrinen et al., 1999).

Le test PST montre que les monocytes de la patiente dysfonctionnent ce qui explique la sévérité de la pathologie (pertes d’attache généralisées). Dans ce cas, il est clair que la maintenance parodontale doit être stricte.

Conclusion

Ce cas clinique illustre que les parodontites agressives généralisées peuvent être traitées avec succès avec une approche plus « médicale » que chirurgicale.

n.b. Cet article montre l’application des données des différentes chroniques publiées auparavant dans le Fil Dentaire sous le titre « La Parodontie en mouvement ».

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A propos de l'auteur

Dr Jacques Charon

Parodontiste exclusif, Lille

Dr. Frédéric JOACHIM

Parodontiste/Implantologiste, Lille

Dr. Sébastien DUJARDIN

Parodontiste/Implantologiste, Lille
Post Graduate in Periodontics, Temple University, Philadelphia, USA

Dr. Joël BEAULIEU

Dr en Médecine dentaire, Laval, QUEBEC
Formateur à l’Académie de Paro (Aix en Provence)

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