Que d’encre a coulé au sujet de la formation continue des chirurgiens-dentistes ces dernières années ! Des dispositions réglementaires qui se veulent contraignantes (CNP cree par l’Ordre sur fond de reforme du DPC1) d’une part, et une propension incontestable de la pédagogie via Internet et les réseaux sociaux2 d’autre part. Bientôt on ne parlera plus d’encre et d’amphithéâtre tellement tout se passe et se transmet à coups de claviers, d’écrans et autres tablettes informatiques. Nul ne peut nier que nous y avons gagné en termes de rapidité, d’efficacité et d’universalité pour la transmission des données et leur actualisation permanente. Pour autant il convient de distinguer le FAIRE-SAVOIR de ces données et le SAVOIR-FAIRE avec ces données : quand le premier (faire-savoir) relève d’une forme de marketing, il s’apparente volontiers à la vulgaire réclame publicitaire s’il promotionne un second (savoir-faire) sans consistance ni valeur. Reste à déterminer quelles personnes et quelles instances sont habilitées à apprécier, voire authentifier le savoir-faire en question. Historiquement et classiquement, ce sont évidemment les instances officielles (facultés /universités) qui sont reconnues comme validantes et diplômantes. Mais si cela reste incontestable pour les formations de base à type de doctorat, de D U et spécialités officiellement admises par le Conseil de l’Ordre, les choses ont bien évolué pour le reste; à commencer par les attestations et autres certifications délivrées par nombre de sociétés ou associations cliniques / scientifiques (voire commerciales !) qui ont rapidement occupé le champ peu réglementé des spécialités non officielles (parodontologie, implantologie et endodontie essentiellement).
Que les enseignements relèvent de structures universitaires ou de sociétés /associations de formations parallèles, la balance pèse de plus en plus en faveur de la pédagogie par l’outil numérique. La tendance se fait aussi nettement vers la multiplicité et la diversification des voies d’accès. Même s’il est débattu, ce constat est factuel3. Il importe à cet égard de considérer ce que nous y avons gagné et peut-être ce que nous y perdons… Sans se hâter de tirer de trop faciles conclusions.
Au niveau des études doctorantes
- Je « m’amusais » de lire récemment les résultats d’une enquête intitulée :
Bien-être pendant les études dentaires – Les étudiants tirent la sonnette d’alarme4
Il y apparaît que les étudiants d’aujourd’hui, loin de s’épanouir pendant leur cursus universitaire, y trouvent au contraire une source de stress, de mal-être, d’indifférence, voire de désespoir pour certains d’entre eux. Je veux bien le croire, d’autant que je me souviens avoir éprouvé ces mêmes griefs quand j’étais moi-même étudiant… Sauf qu’à l’époque (une période préhistorique sans téléphones portables et ordinateurs, ni même l’idée d’Internet !) il ne venait à l’esprit de personne de mener une enquête en la matière !
- La réglementation européenne en vigueur depuis plusieurs années a changé aussi la donne de nos filières estudiantines, puisqu’il n’est plus indispensable de réussir au concours de 1ère année (le récent 3eme opus cine de Thomas LILTI5 nous en décrit si bien l’ambiance !) pour prétendre accéder aux études dentaires : il s’avère que 1/3 des nouveaux chirurgiens-dentistes qui arrivent en France aujourd’hui sont diplômes a l’etranger6…
Cependant, que sait-on de leur formation dans ces universités certes situées en Europe mais avec d’autres règles de fonctionnement que les nôtres ? « Le problème, c’est que nous n’avons absolument aucune capacité d’investigation pour savoir ce qu’il se passe dans leurs universités », explique Myriam Garnier (Secrétaire générale de l’ONCD !).
- Ces formations universitaires pour autant qu’on peut les qualifier d’officielles au regard de la règlementation européenne, ne présentent pas la même garantie d’enseignement en termes de qualité et d’efficacité clinique : dans l’Union européenne, la formation des dentistes est réglementée, avec 5 000 heures de cours obligatoires.
Cependant, un dentiste sur dix forme en Europe n’aurait jamais vu un patient, soigne une carie, extrait une dent ou fait un detartrage7 !
… Voilà qui est bien fâcheux pour les futurs patients de ces dentistes en herbe, si l’on s’en tient à cette maxime d’Albert EINSTEIN : « La connaissance ne s’acquiert que par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information ».
Au niveau des praticiens en exercice
- DENTISTE: PROFESSION A RISQUE8 titrait le magazine en ligne Remede.org en fin d’année 2016 ; il y décrit « un métier qui a bien changé ces 20 dernières années, les praticiens étant aujourd’hui vus comme les garagistes de la médecine, des escrocs, malgré des frais de fonctionnement toujours plus grands et un niveau de vie toujours plus bas comparativement à leurs aînés retraités ». L’ONCD a confirme en 2018 le mal-être des chirurgiens-dentistes9 d’aujourd’hui au regard des résultats d’une enquête qu’il a lui-même diligentée, et son Président Gilbert BOUTEILLE de déclarer : « L’ampleur du burn out est alarmante. Des réponses de fond devront émerger pour venir en aide aux praticiens en détresse… ».
- Qu’à cela ne tienne! A défaut de pouvoir gérer les causes à grande échelle, on peut recourir là encore à une association bienveillante qui dispense ses enseignements aux potentielles victimes de ce burn out10.
- Parmi les sources déclenchantes de ce mal-être, on retrouve fréquemment les sentiments d’isolement et de frustration éprouvés par des praticiens non formés pour faire face aux tâches administratives de plus en plus complexes d’une part, et non préparés à affronter une société de plus en plus consumériste qui dévalue leur statut de docteur; nonobstant la conscience de devoir s’impliquer continuellement dans les évolutions rapides d’une profession sous emprise de technologies immodérées. Ainsi, de même que l’avènement de la planète Internet a bouleversé les modes d’enseignement pour notre profession (et pour les autres) en ouvrant des voies parallèles aux voies d’accès officielles, les praticiens que nous sommes doivent s’armer à souffrir de ces mêmes voies d’accès à la connaissance dont ne se privent pas nos patients. La formule de Jacques ATTALI est sans appel : « l’internet représente une menace pour ceux qui savent et qui décident, parce qu’il donne accès au savoir autrement que par le cursus hiérarchique ».
- A l’instar de la médecine générale qui est devenue une spécialité à part entière tellement il est difficile d’être docte en tout de cette matière, il devient rarissime qu’un praticien dentiste – quelle que soit sa formation – soit en capacité de prodiguer tous types de soins dans le respect des critères d’excellence dus à son patient.
Nous sommes donc amenés à travailler en groupes ou avec des correspondants… Ce qui suppose là encore une courbe d’apprentissage puisque ces règles de fonctionnement ne sont pas non plus incluses dans le cursus universitaire de base. D’où des erreurs potentielles de communication inéluctables que ne laisseront pas passer nos patients bien informés11 par les voies du Seigneur Internet !
Pour autant, notre profession ne prend pas l’eau de tous les côtés et, tant sur le flanc des instances enseignantes que de celui des étudiants et praticiens en exercice il existe nombre de belles âmes qui croient encore en la beauté de notre art et qui se démènent sans compter pour aspirer à l’excellence, comme en témoigne le récent vibrant hommage éditorial de Stéphane VIENNOT (rédac-chef des Cahiers de Prothèse) intitulé PARTAGEURS DE SAVOIRS12 .
Sommes-nous victimes ou bénéficiaires des conséquences d’un monde qui change de plus en plus vite ? En tous cas il ne fait aucun doute que nous pouvons choisir d’en être les acteurs, pour peu qu’on veuille bien s’y impliquer un peu.
Pour ma part, ayant mal vécu-subi ma lointaine et décevante période estudiantine, j’avoue trouver une source de plaisir intarissable dans les méandres de l’Internet, avec ses possibilités quasi illimités d’apprendre encore et toujours plus. J’apprends et je progresse non seulement en exerçant mon métier (les fruits de l’expérience) mais aussi en lisant-observant-côtoyant (virtuellement et physiquement) d’autres consœurs et confrères partageurs-enseignants et passionnants.
Quant à la question évoquée plus haut sur les gains et/ ou pertes générés par l’évolution de notre vie professionnelle et nos modes pégagogiques, je me rallie volontiers à devise de Nelson MANDELA (toute modestie à part): « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends ».
Et vous ?…
Bibliogr@phie
1. http://www.ordre-chirurgiens-dentistes.fr/actualites/anneeen-cours/actualites.html?tx_ttnews%5Btt_news%5D=613&cHash=15b2a943440bd7ac2ab70e870c187fa6
2. http://www.editionscdp.fr/actualites/actualites/actualitesprofessionnelles/180918-the-facebook-based-dentistry.html?fbclid=IwAR1DKhdMjf66djYipUhHOQi35fHFCEet6RZ2wczTPJ3n4PzOPSdpjhtf-Gc
3. https://www.dentalespace.com/praticien/parolesdexperts/implantologie-de-lenseignement-a-la-pratique/
4. http://www.editionscdp.fr/actualites/actualites/actualites-professionnelles/181023-bien-etre-pendant-lesetudes-dentaires.html?fbclid=IwAR3rYolo6vMD8j4o8VW_sZCHpf8Na8dnjUtfmKMarHAb0Kh78cJUmJvtMSw
5. https://www.lemonde.fr/cinema/article/2018/09/12/premiereannee-faire-medecine-a-s-en-rendre-malade_5353771_3476.html?fbclid=IwAR15Xw14J2CHGvjQkH2ns8GuHvDlXHGmgGh1hDhPANPLl4YBR8YH6en8P64
6. https://www.europe1.fr/sante/chirurgiens-dentistes-que-saiton-de-la-formation-des-diplomes-etrangers-3448055
7. https://www.francetvinfo.fr/sante/professions-medicales/dentistes-une-profession-qui-se-forme-de-plus-en-plus-a-letranger_2416527.html
8. http://www.remede.org/documents/dentiste-profession-arisque.html?fbclid=IwAR07pKqr8L2ddu73E4TZ9g0VkWPUrhtEfACk2d-ybJ2QzJ9HBIsZ4D2Se9M
9. http://www.ordre-chirurgiens-dentistes.fr/actualites/anneeen-cours/actualites.html?tx_ttnews%5Btt_news%5D=757&cHash=3eec6cb2736d0336e0d0310ec3017d08
10. http://www.editionscdp.fr/actualites/actualites/actualites-professionnelles/181002-lutter-contrele-burn-out.html?fbclid=IwAR1dJEUuKcwosL_nIYrcqUuCmslAKizJ4ccl80fzgwivZEit6g9GL_qEIwM
11. https://www.prevention-medicale.org/Cas-clinique-etretours-d-experience/Tous-les-cas-cliniques/Chirurgien-dentiste/malentendu-traitement-rthodontique?fbclid=IwAR2AeAmezelXOTHrKYbEnponXWked0WyZBtrO4cbCgs4Do1w8k7tjpRyTc
12. https://www.prevention-medicale.org/Cas-clinique-etretours-d-experience/Tous-les-cas-cliniques/Chirurgien-dentiste/malentendu-traitement-orthodontique
Un commentaire
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A retrouver sur le site de l”UNAFOC