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Protocole de mise en charge et de temporisation immédiate : Les concepts de base ayant permis le changement de paradigme

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La mise en charge immédiate a été l’objet de grandes controverses à la fin des années 70 puis de nouveau à la fin des années 90. De nos jours, ces protocoles, jadis disputés et conspués, font pleinement partie de l’arsenal thérapeutique implantaire. Ils se distinguent des autres protocoles par des spécificités au niveau chirurgical, prothétique et logistique. Surtout, ils s’adressent aux implantologistes expérimentés.

Dans les années 60 à 80, le paradigme qui avait cours était celui de la fibro-intégration (Linkow et Cherchève 1970, Weiss 1988). L’interface os-implant optimale consistait en une interposition fibreuse destinée à mimer la réalité du ligament alvéolo-dentaire de la dent naturelle. La mise en charge immédiate était le protocole ordinaire et routinier des rares cliniciens pratiquant l’implantologie (Linkow et Cherchève 1970, Weiss 1988).

La force conceptuelle de l’équipe du prof. Brånemark fut de proposer un changement de paradigme, celui de passer du concept de la fibro-intégration au concept de l’ostéointégration (Brånemark et coll. 1977, 1985). Il s’agissait d’obtenir une apposition directe à l’interface os-implant, que certains appelèrent ankylose (Schroeder et coll. 1981), plutôt que de rechercher à créer à l’interface un tissu fibreux qui ne ressemblait en rien au ligament alvéolo-dentaire. Car ce dernier était certes un tissu fibreux, mais il était hautement organisé et habité de nombreux nerfs et vaisseaux en opposition au tissu interfacial obtenu autour des implants qui évoquait un tissu cicatriciel faiblement différentié.

Pour expliquer les taux d’échecs élevés des implants d’alors, de l’ordre de 50 %, et augmenter de manière significative les taux de succès des implants, les suèdois expliquèrent qu’il était indispensable de renoncer aux protocoles de mise en charge immédiate. Ils introduisirent alors le principe d’un protocole en 2 temps avec mise en nourrice des implants. Il requérait de longues périodes de cicatrisation osseuse de 3 à 6 mois à l’abri des contraintes mécaniques. Seul ce strict protocole, disaient-ils, était susceptible d’obtenir de manière prédictible l’ostéointégration responsable de la plus grande pérennité observé des implants (Brånemark et coll. 1977, 1985).
Durant les années 90, de nombreux principes considérés comme fondamentaux et conditions sine qua non de l’ostéointégration par l’école suédoise furent remis en question. Les plus fameux concernèrent le principe de différé de mise en charge et la possibilité de revenir aux protocoles de mise en charge immédiate (Szmukler-Moncler et coll. 1998, 2000).

Une grande polémique s’annoncait à l‘horizon de la discipline, à l’image de celle qui opposait les tenants des protocoles en 2 temps à ceux des protocoles en 1 temps. Il n’en fut cependant rien car, dès 1999, le professeur Brånemark et son équipe effectuèrent un véritable aggiornamento en renonçant au caractère contraignant des principes qu’ils avaient défendu durant plus de deux décennies : ils publièrent un nouveau protocole de mise en charge immédiate avec le système Brånemark Novum (Brånemark et coll. 1999). La controverse sur la mise en charge immédiate qui s’annonçait ardente fit long feu, le père de l’implantologie moderne avait parlé.

Il faut bien se rendre compte que la mise en charge immédiate introduit un facteur de risque supplémentaire dans le traitement implantaire. Cependant, il est parfaitement maîtrisable lorsque l’équipe traitante est expérimentée, lorsqu’elle a été formé spécifiquement à ces protocoles et qu’elle est prévenue contre les risques et les déboires potentiels.

Depuis le tournant du siècle, de nombreuses publications ont permis d’affiner les paramètres qui permettent de maintenir les taux de succès de ces protocoles avancés aux mêmes niveaux que les protocoles standard de différé de mise en charge (Del Fabbro et coll. 2006, Davarpanah et Szmukler-Moncler 2007; Weber et coll. 2009, Chung et coll. 2012).

Aujourd’hui, ce type de protocole est consensuellement accepté comme bien documenté et il fait partie de la “evidence-based medicine”.

Intérêts des protocoles de mise en charge immédiate

Pour le patient, l’intérêt est évident. Il reçoit une prothèse implanto-portée en l’espace de 0-72 heures au lieu des 2-6 mois classiquement nécessaires. Ce type de protocole lui permet :

  • de rétablir au plus vite ses besoins esthétiques et fonctionnels ;
  • d’accepter plus facilement la solution implantaire. Au lieu d’avoir l’impression de se soumettre à un traitement long et complexe, il lui semble simple, rapide et efficace ;
  • lors d’un édentement soudain, de soulager une détresse psychologique, trop fréquemment sous-évaluée par les praticiens.

Au niveau biologique, il devient possible :

  • dans le cas de sites guéris, où la crête osseuse est plate et les papilles ont disparu, de travailler immédiatement le profil d’émergence des tissus mous, dès la pose implantaire, pour un meilleur résultat esthétique ;
  • dans le cas de sites post-extractionnels, de mieux maintenir le capital osseux de l’alvéole et de préserver au mieux le volume de la gencive marginale et des papilles de la dent fraichement extraite (Esposito et coll. 2010 ; Sanz et coll. 2012);
  • d’exercer sur les implants des contraintes mieux définies que celles exercées par une prothèse de temporisation amovible mal ajustée, surtout chez l’édenté total.

Pour le praticien, ce protocole permet :

  • de palier l’inconfort prothétique, esthétique et fonctionnel, des solutions amovibles de temporisation;
  • de diminuer le temps total du traitement, c’est-à-dire éviter les nombreuses séances d’ajustements et de rebasage à la résine molle.

Définitions de la mise en charge immédiate

En matière de contraintes exercées sur l’implant

La définition exacte de ce qu’est une mise en charge immédiate a été largement débattue. Certains en ont une vision contraignante. Ils considèrent qu’on ne peut parler de mise en charge immédiate que si la prothèse est immédiatement mise en occlusion (Cooper et coll. 2002). Pour d’autres, le fait de reconstruire une prothèse même si elle est laissée en sous-occlusion constitue déjà une mise en charge (Szmukler-Moncler et coll. 1998).

En matière du différé de mise en charge

La définition exacte de la mise en charge immédiate quant à l’intervalle de temps qui peut s’écouler entre la pose et la mise en charge a aussi été l’objet de discussions. Les conceptions sont plus ou moins étroites. Certains considèrent qu’on ne peut parler de mise en charge immédiate que si la prothèse est délivrée lors de la même séance (Cooper et coll. 2002), d’autres le même jour (Aparicio et coll. 2002), dans les 48 heures (Cochran et coll. 2004), dans les 78 heures (Szmukler-Moncler et coll. 1998) ou même durant la première semaine (Glauser et coll. 2001).

L’exacte définition importe peu au clinicien, sa pertinence n’est qu’académique car elle ne repose pas sur des bases biologiques en rapport avec des réponses osseuses distinctes. Le praticien désire simplement connaître la viabilité et la reproductibilité de toutes les situations prothétiques, en occlusion ou en sous-occlusion, réhabilitées dans la même séance ou au terme d’une semaine ou davantage encore.

D’un point de vue sémantique, nombreux sont ceux qui certains préfèrent parler de temporisation immédiate lorsque la prothèse implanto-portée est en sous-occlusion et de mise en charge immédiate lorsqu’elle est mise en occlusion.

temporisation-immediate

Principes cliniques de la mise en charge immédiate

Pour obtenir l’ostéointégration en dépit des forces exercées sur l’implant, il est nécessaire de maintenir les micromouvements en deçà du seuil de tolérance de l’implant considéré entre 30 et 150 micromètres selon les états de surface (Szmukler-Moncler et coll. 1998, 2000). Pour ce faire, les contraintes exercées à l’interface os-implant doivent être optimisées. Il est donc utile de sérier les différents facteurs influant sur l’état des contraintes exercées à l’interface os-implant. Elles sont la résultante de l’expression des facteurs relatifs à l’implant, à l’hôte et aux forces exercées sur l’implant.

Pour optimiser cette résultante, il est simultanément nécessaire de :

  • optimiser la stabilité primaire (fig. 2) ;
  • minimiser les contraintes exercées à l’interface os-implant (fig. 3).

stabiliser-la-stabilité-des-implants

Fig. 2 : facteurs permettant d’optimiser la stabilité primaire des implants.
Fig. 3 : facteurs permettant de minimiser l’effet des contraintes exercées sur les implants.

Cependant, le praticien possède la liberté de jouer avec ces facteurs. Par exemple :

  • solidariser des implants permet d’augmenter les forces tout en maintenant le niveau des contraintes à un niveau tolérable, une prothèse en occlusion est alors envisageable ;
  • maintenir en sous-occlusion un implant non solidarisé permet d’envisager un meilleur pronostic.

Conclusion

La mise en charge immédiate a été rendue possible grâce à une meilleure compréhension de la physiologie osseuse et un aggiornamento des concepts ayant servi au développement de l’implantologie moderne selon l’école suédoise.
Quand toutes les conditions sont réunies, la mise en charge immédiate peut intéresser de nombreuses indications avec un pronostic aussi élevé que pour les protocoles de mise en charge différé. Cependant, il doit être laissé à l’équipe traitante expérimentée.
Appliqués avec circonspection, ces protocoles constituent une réponse fort appréciée par les patients en quête d’un traitement rapide. Dans certains cas, des échecs implantaires sont bien tolérés à condition de ne pas interrompre la temporisation.

Bibliographie

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18. Cet article est un extrait réarrangé de Szmukler-Moncler et coll. La mise en charge immédiate. in : Davarpanah M, Szmukler-Moncler S, Rajbaum P, Davarpanah K, Demurashvili G. Manuel d’Implantologie Clinique, Editions CdP, Rueil-Malmaison, 2012

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A propos de l'auteur

Dr. Serge SZMUKLER-MONCLER

Groupe de recherche de l’EID
Prof. ac. Université de Cagliari, Consultant Ettingen-Basel (CH)

Dr. Mithridade DAVARPANAH

Groupe de recherche de l’EID
Chef de Service de l’ORC (Oral Rehabilitation Center) de l’Hôpital Américain de Paris

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