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Risque d’endocardite infectieuse et implants dentaires : l’imbroglio

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Il y a quelques jours, nous avons reçu en consultation une femme âgée de 69 ans, pour avis sur l’indication de mise en place d’implants dentaires alors qu’elle avait une fuite mitrale de grade 2 sur prolapsus avec une valve épaissie, dystrophique, et dilatation auriculaire gauche. Un service de chirurgie orale parisien avait donné son feu vert et avait même programmé l’intervention alors que le dentiste traitant était sceptique, d’où sa demande d’avis.
L’enjeu était bien évidemment le risque d’endocardite infectieuse.
Le cardiologue de cette patiente s’opposait à la mise en place des implants, et cela suffisait amplement à formuler une contre-indication stricte. En effet, même les textes les plus permissifs en matière de mise en place d’implants chez les sujets à risque d’endocardite infectieuse ne passent pas outre l’avis du cardiologue traitant en lui laissant le dernier mot.
on assiste actuellement à des glissements progressifs vers une levée des interdictions de mise en place d’implants dentaires chez les sujets à risque, parfois au prix d’un distinguo laborieux entre haut risque et risque modéré.
Sommes-nous déjà dans les zones de danger du fait de ces pratiques ? Allons-nous vers des drames futurs ? En effet l’endocardite infectieuse, complication redoutable des foyers infectieux bucco-dentaires, quoique rare, est mortelle dans plus de 25 % des cas malgré tous les progrès actuels en réanimation et en infectiologie. Pour nous, les recommandations de 2002 [1] restent la référence légale en France, voici pourquoi.

‘‘La vérité sur les endocardites infectieuses est loin d’être sériée à ce jour ‘‘

2011 : des recommandations controversees et non appliquees

Les recommandations françaises de 2011 [2] ont toujours été controversées. Au cours d’une séance sur l’antibioprophylaxie en 2012 au décours du congrès annuel de la Société Française de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-faciale [3], les principales critiques avaient été évoquées : ces recommandations avaient été faites en l’absence de cardiologues pourtant principalement concernées, et après démission collective du groupe de traitement antiinfectieux du fait des problèmes de liens d’intérêt. Par ailleurs, personne n’a vérifié ces recommandations de manière pertinente, le groupe de validation étant essentiellement composé de médecins généralistes et d’internistes, bien loin de notre spécialité et de nos pratiques.

L’objectif des recommandations de 2011, clairement énoncé dans le titre était : prescription des antibiotiques en pratique bucco-dentaire. Pour ce qui concerne la prophylaxie de l’endocardite infectieuse, il s’agissait essentiellement de dire qu’en raison des bactériémies qui arrivaient tous les jours, plusieurs fois par jour, y compris lors du brossage et de la mastication, il n’était pas indispensable le plus souvent de recourir à l’antibioprophylaxie lors des actes des professionnels de la santé orale à l’instar de ce qui s’était fait en Grande Bretagne par exemple et à la suite de recommandations européennes et américaines en 2007 puis européennes en 2009. Cela peut être tout à fait compréhensible, en raison du risque d’anaphylaxie et de développement de résistances aux antibiotiques, même si le résultat à long terme semble actuellement mitigé. De nombreuses études ont en effet montré une augmentation des endocardites infectieuses dans les pays qui ont stoppé totalement l’antibioprophylaxie, amenant le National Institute of Health and Clinical Excellence (NICE), équivalent anglais de la HAS, à modifier discrètement ses recommandations en 2016 dans le sens de la réintroduction de l’antibioprophylaxie pour des actes « non routiniers »[4].

D’autre part, il n’est pas certain que les recommandations d’arrêt de l’antibioprophylaxie aient été suivies par les professionnels de santé concernés. En 2012, selon une enquête française, 87,5 % des odontologistes ne suivaient pas les recommandations et poursuivaient la prescription d’antibiotiques en prophylaxie de l’endocardite infectieuse (70% aux Etats-Unis) [5]. Une des raisons invoquées par les professionnels est le faible niveau de preuve scientifique des recommandations. Comment tirer des conclusions sérieuses quant à la prévalence de l’endocardite infectieuse avec ou sans antibioprophylaxie dans ces conditions ? La controverse est là, avec des études aux résultats contradictoires, des biais méthodologiques importants, des facteurs confondants (défaut de renseignement sur la nature du germe en cause, l’âge des patients, les comorbidités etc.). Il y a peu, j’interrogeais un éminent chef de service de maladies infectieuses en lui demandant s’il recourrait ou non à l’antibioprophylaxie là où les recommandations de 2011 l’en dispensaient pour un membre de sa famille, et sa réponse a été clairement dans le sens de l’antibioprophylaxie, ce qui témoigne de la défiance des plus avertis. De son propre aveu, la vérité sur les endocardites infectieuses est loin d’être sériée à ce jour. En tout état de cause, il ne semble pas raisonnable, en Europe, d’abandonner totalement l’antibioprophylaxie. D’un pays à l’autre, de la France avec son système universel de sécurité sociale aux pays baltes par exemple, les données de santé publique sont si différentes. Dans de nombreux pays, il sera plus efficient, pour agir efficacement sur l’épidémiologie de l’endocardite infectieuse, d’améliorer l’hygiène buccodentaire et de prévenir les infections nosocomiales.

Un raisonnement surprenant

Les recommandations de 2011 stipulaient : « chez les patients présentant un risque modéré d’endocardite infectieuse, l’antibiothérapie prophylactique précédant un acte dentaire bactériémique n’est plus recommandée ». Soit, mais est-ce à dire que d’un coup, d’un trait de crayon, ce groupe n’est plus exposé à l’endocardite infectieuse ? Pourquoi l’a-t-on fait exister pendant des décennies dans les recommandations antérieures ?

Est-ce que l’évolution de l’épidémiologie de l’endocardite infectieuse justifie véritablement un tel changement radical ?

Plus loin, dans le texte long on peut lire : « Ainsi, chez les patients à haut risque d’endocardite infectieuse, l’anesthésie intra ligamentaire, l’amputation radiculaire, l’auto transplantation, la réimplantation, la chirurgie péri apicale, la chirurgie parodontale, la chirurgie implantaire et des péri-implantites, la mise en place de matériaux de comblement et la chirurgie pré orthodontique des dents incluses ou enclavées sont contre-indiquées ou formellement déconseillées ».

Il s’agit là du groupe à haut risque dument identifié (oubliant toutefois les greffés cardiaques). Notons que la « chirurgie des péri-implantites » fait partie de ce qui est contre-indiqué, ce qui signifie qu’on lui reconnait la capacité de générer des endocardites infectieuses.

Dans le paragraphe suivant, on peut lire : « En revanche, chez les patients ayant une cardiopathie à risque modéré d’endocardite infectieuse, la Société Européenne de Cardiologie considérant que ce niveau de risque ne justifie plus une antibiothérapie prophylactique, on ne saurait continuer à contre-indiquer ces actes invasifs. Par conséquent, l’anesthésie intra ligamentaire, le traitement endodontique des dents à pulpe non vivante, y compris la reprise de traitement canalaire, l’amputation radiculaire, l’auto transplantation, la réimplantation, la chirurgie péri apicale, la chirurgie parodontale, la chirurgie implantaire, la mise en place de matériaux de comblement et la chirurgie pré orthodontique des dents incluses ou enclavées sont envisageables chez les patients ayant une cardiopathie à risque modéré d’endocardite infectieuse ».

endocardites

L’articulation logique des affirmations -il n’y a plus besoin d’antibiotiques donc on peut autoriser tel geste- nous paraît pour le moins surprenante car elle ne tient compte que du moment du geste et non de ses conséquences dans le temps. Un traitement endodontique est autorisé puisqu’il n’y a plus besoin d’antibiotiques mais quid si une infection apicale s’installait dans les jours et semaines qui suivraient, conséquence de ce même geste ? Il en va de même des péri-implantites et là, curieusement, la chirurgie des péri-implantites ne figure plus dans les gestes autorisés dans le groupe à risque modéré. Ainsi, on aura le droit de poser les implants mais pas de faire une chirurgie des péri-implantites. où est la logique ?

Et la peri-implantite ?

Car, c’est cette complication qui fait l’essentiel des motifs de contre-indication de la mise en place d’implants dentaires. On le sait, le risque de bactériémie est présent dès le geste d’insertion de l’implant, dangereux mais relativement contrôlable par les mesures d’asepsie pré et peropératoires. Il y a également la possibilité de l’infection d’un éventuel hématome

post-opératoire (fréquent en raison des classiques anticoagulants). Et puis, il y a l’épée de Damoclès d’une périimplantite, complication infectieuse toujours possible, d’autant plus qu’il semblerait que l’absence de ligament dentaire autour de l’implant favorise les bactériémies. Lorsqu’elle s’installe, la péri-implantite est impossible à traiter à part par le retrait de l’implant, à condition que l’irrémédiable ne soit pas survenu avant.

Malgré cela, quelques semaines après les recommandations de 2011, un article a été publié dans une revue odontologique française non indexée affirmant et clamant comme une victoire, la possibilité de mise en place des implants. Un autre est paru en 2017, sous forme de consensus d’experts (position paper) [6] tentant de réparer l’absence des cardiologues lors du travail fait en 2011, et se basant sur -devinez quoi- les recommandations de 2011 ! Une rectification apparaît d’ailleurs en 2018, à peine un an après, ce qui ne manque pas d’interroger et conforterait l’attentisme des professionnels de santé vis-à-vis de telles recommandations. Un autre des défauts du consensus d’experts de 2017 est l’absence de représentants de la Société Française de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-Faciale, seule société savante médicale des professionnels de la dent, là où toutes les autres, y compris la Société Française de Chirurgie orale, sont composées d’odontologistes. Loin de nous l’idée de jeter des anathèmes, le but est de souligner que rien de constructif ne peut être fait sans la participation de tous et nous appelons à la réunion de toutes ces compétences au service des patients.

Dans ces publications, de nombreux arguments sont avancés sans véritable preuve, ou alors en se basant sur des accords d’experts plutôt que sur des études à haut niveau de preuve scientifique qui manquent cruellement sur ce sujet. Ainsi de cette étude israélienne (2014), rétrospective, portant sur 13 patients suivis entre 2 et 18 ans qui n’a pas enregistré d’endocardite infectieuse chez des patients valvulopathes à haut risque d’endocardite infectieuse ayant reçu des implants dentaires (57 implants, 16 procédures d’insertion) [7], mais que peut-on conclure sur une étude unique portant sur 13 patients ?
De fait, plus personne ne sait à quoi s’en tenir véritablement.

Une necessaire evolution

Il est bien évidemment légitime de vouloir dépasser le statu quo des contre-indications et de tout faire pour que toute une partie de la population puisse bénéficier d’un des meilleurs moyens de réhabilitation orale dentaire, à savoir l’implant endo-osseux mais, rappelons-le, primum non nocere (en premier, ne pas nuire) ! De même, il est impératif d’être dans la logique de la prescription parcimonieuse et économe des antibiotiques que ce soit pour leur coût pour la collectivité, le risque d’anaphylaxie et surtout pour limiter le développement des résistances bactériennes.

Bref, il est temps de clarifier ce sujet, et de réunir une nouvelle conférence de consensus avec toutes les parties impliquées, sans exception, avec l’objectif d’aboutir dans quelques mois à un texte clair, acceptable et accepté par tous, efficient, quitte à remettre en cause, s’il le fallait, le dogme récent d’absence d’antibioprophylaxie à la lumière des données les plus récentes.

Etant donnée la faiblesse des preuves scientifiques, cela ne suffira pas. Il est indispensable de mettre en place parallèlement de larges études prospectives, multicentriques, randomisées, contrôlées pour éclairer ce sujet de l’endocardite infectieuse et de l’antibioprophylaxie en fonction des cardiopathies, des germes en cause, des comorbidités et des procédures invasives, dentaires ou autres etc. Le monde entier y trouverait intérêt.

En attendant, ce sont les recommandations de 2002 qui, légalement, restent de mise, principe de précaution oblige, car elles ont été « chapeautées » par un organisme public. Depuis, rien n’est venu justifier de manière évidente les extrapolations que les uns et les autres souhaitent et tentent de mettre en pratique dans un conflit d’intérêt légitimement supposé. Les juristes consultés ont clairement confirmé cette situation : les recommandations d’experts font peu de poids devant celles prodiguées par la Haute Autorité de Santé (HAS) ou l’Agence

Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM), organismes publics [3], c’est sous leur égide que ce dossier doit avancer, et nous les appelons à prendre l’initiative de convoquer toutes les parties pour un consensus sans ambages, il y a urgence.

Bibliographie

1. Danchin N., Duval X., Leport C. Prophylaxie de l’endocardite infectieuse. Révision de la conférence de consensus de mars 1992. Argumentaire. Méd.Mal.Infec. 2002;32:553-586.

2. ANSM (2011).Ansm.sante.fr/Mediatheque/Publications/Recommandations-Medicaments, Accès le 28 mai 2019.

3. Antibioprophylaxie. Développement professionnel continu. varon E, Stahl JP, Strady C, Gauzit R, Blanchard PY, Gachot B, Benslama L. Rev Stomatol Chir Maxillofac Chir orale. 2013 Jun;114(3):125-45.

4C. Selton-Suty, F. Goehringer, O. Huttin, S. Hénard, C. Venner, Y. Juillière et al. La prophylaxie de l’endocardite infectieuse : qu’en est-il en 2017 ? Arch Mal Coeur vaiss Pratique 2018 ;264 : 23-9.

Cloitre A, Duval X, Hoen B, Alla F, Lesclous P. A nationwide survey of French dentists’ knowledge and implementation of current guidelines for antibiotic prophylaxis of infective endocarditis in patients with predisposing cardiac conditions. oral Surg oral Med oral Pathol oral Radiol. 2018 Apr;125(4):295-303

Millot S, Lesclous P, Colombier ML, et al. Position paper for the evaluation and management of oral status in patients with valvular disease: Groupe de Travail valvulopathies de la Société Française de Cardiologie, Société Française de Chirurgie orale, Société Française de Parodontologie et d’Implantologie orale, Société Française d’Endodontie et Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française. Arch Cardiovasc Dis 2017;110: 482 94.

Findler M, Chackartchi T, Regev E. Dental implants in patients at high risk for infective endocarditis: a preliminary study. Int J oral Maxillofac Surg. 2014 oct;43(10):1282-5.

 

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A propos de l'auteur

Dr. L. BENSLAMA

Chirurgien stomatologiste et maxillo-facial Praticien de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et de l’hôpital Américain de Paris 69, rue de la Tour, 75016 Paris

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