La gestion des temps morts constitue dans bien des cabinets, un véritable casse-tête.
Entre les congés et les absences liées aux formations, le praticien peut être amené à s’absenter entre 7 et 10 semaines par an…alors que la secrétaire et l’assistante n’ont droit qu’à 5 semaines de congés payés annuels.
En outre, le chirurgien-dentiste doit s’adapter aux contraintes de ses patients, ce qui le conduit à réaliser des horaires à rallonge durant ses semaines de travail entraînant l’accomplissement d’heures supplémentaires par l’équipe dentaire.
Comme nous le savons tous, le droit social en France, quel que soient les secteurs d’activité est particulièrement peu flexible, forçant les entreprises à s’adapter, à faire preuve d’imagination et à utiliser le système D. Lorsque l’entente est cordiale au sein du cabinet entre praticien et assistante, tout se passe en règle générale plutôt bien, l’intelligence collective dépassant les règles parfois absurdes d’un droit du travail déconnecté de la vie économique et de ses aléas.
Mais hélas, lorsque les relations se tendent entre le chef d’entreprise et ses subordonnées puis deviennent conflictuelles, le pragmatisme et la souplesse d’en temps, qui constituaient une véritable force deviennent une véritable faiblesse face à un tribunal prud’homal peu enclin au compromis et à comprendre les particularismes du monde dentaire. L’assistante munie de ses précieux carnets de suivi fait alors l’inventaire de ses heures supplémentaires majorées à 25 %, au titre des 8 premières heures au-delà de la sacro-sainte durée légale de 35 heures, et à 50 % au-delà, et présente avec conviction la facture au tribunal, qui confirme dans la quasi intégralité des cas rencontrés, la réalité des prestations effectuées.
L’addition peut être salée et les bons moments passés à développer ensemble la patientèle et prodiguer les soins appropriés de lointains souvenirs…
Quelles solutions s’offrent au praticien pour limiter les risques et mettre en place un cadre de travail approprié à son mode de fonctionnement ?
Il convient tout d’abord de constater que chaque cabinet est unique de par sa configuration, son histoire, l’âge du capitaine, le temps plus ou moins long passé en formation, la volonté de développer son chiffre d’affaires, l’ardeur de l’équipe, le fait que le praticien exerce en solo ou est associé dans une structure de groupe.
Nous avons souhaité dans cet article faire un point sur la règlementation applicable aux cabinets dentaires pour guider les praticiens dans le maquis règlementaire, en constante évolution.
En l’état actuel des choses un salarié embauché sur la base d’un temps plein effectue 35 heures hebdomadaires généralement réparties en 4, 5 ou 6 jours de travail sur la semaine, et il peut prendre 5 semaines de congés payés par an.
quant aux chirurgiens-dentistes et orthodontistes, ils ont l’obligation d’appliquer au sein de leur cabinet la convention collective des cabinets dentaires.
Cette convention collective aborde la question de l’organisation du temps de travail par la mise en place de 2 dispositifs dont les objectifs sont les mêmes :
- déroger à l’application stricte d’une organisation du temps de travail sur une base de 35 heures travaillées par semaine
- pouvoir laisser de la flexibilité aux chirurgiens-dentistes dans l’organisation de leurs plannings
Principe de la réduction du temps de travail par journées de repos (journée de RTT)
Le principe de la mise en place d’une organisation du temps de travail avec RTT est basé sur une augmentation de la durée du travail sur les semaines travaillées pour dégager des journées non travaillées.
En effet, le salarié ne travaille plus 35 heures semaine mais 39 heures, ce qui accroît le temps de présence au cabinet lors des périodes de pointe mais ces heures supplémentaires ne sont pas rémunérées en espèces sonnantes et trébuchantes. Elles le sont par du temps libre, des jours de repos (RTT).
Exemple : l’organisation d’un cabinet nécessite la mise en place d’un horaire collectif de 39 heures hebdomadaires avec l’application de journées de RTT.
Pendant les semaines classiques, le chirurgien-dentiste fait travailler sa salariée 39 heures ; en contrepartie il lui attribue 24 jours de repos sur l’année.
Les jours de repos (dits de RTT) peuvent être pris par fraction de ½ journées, de journées entières et être attribués par semaine, quinzaine par mois ou faire l’objet de semaines complètes de repos.
Les jours de repos se traitent comme des jours de congés non pris en cas de sortie du salarié en cours d’année. En effet un salarié qui n’a pas pu prendre tous ses RTT se verra attribuer une indemnité financière compensatrice. Par contre en cas de repos RTT pris par anticipation lorsque le salarié quitte l’entreprise, l’avantage acquis est conservé par le salarié (« on ne régularise pas le surplus de RTT ») sauf cas de démission, faute grave ou lourde.
La réduction du temps de travail est applicable à tous les salariés à l’exclusion des chirurgiens-dentistes collaborateurs salariés.
Procédure de mise en place et de suivi
L’accord RTT du 18/05/2011 de la convention collective des cabinets dentaires, prévoit l’instauration de la mise en place des 39 heures hebdomadaires avec la compensation par des journées de RTT. Cette organisation du temps de travail peut donc être mise en place au sein de votre cabinet sans avoir recours à un accord d’entreprise.
Concernant le formalisme, l’accord de branche s’impose aux salariés. Nous vous conseillons néanmoins d’organiser une réunion informelle afin d’en expliquer le principe à vos salariés et de formaliser l’instauration de la nouvelle organisation par un courrier recommandé ainsi qu’une note de service affichée en interne.
Pour le suivi de l’instauration du temps de travail à 39 heures, nous vous recommandons d’instaurer un planning nominatif co-signé par les deux parties, afin de vous éviter tout recours devant les conseils des prud’hommes d’un salarié demandant le paiement des heures supplémentaires.
Quels sont les avantages du système rtt ?
La gestion du temps de travail en suivant l’organisation selon les journées de RTT permet au praticien de réaliser une économie financière sur le paiement des heures supplémentaires puisqu’il ne paie plus les majorations de salaires et les charges sociales afférentes. De plus il s’exonère également du paiement des temps morts comme pratiqué auparavant.
La rémunération du salarié est lissée. Il n’y a donc pas de variation du salaire net pour l’assistante et la secrétaire ni de charges sociales pour l’employeur.
La mise en place de semaines de 39 heures permet également au chirurgien-dentiste d’avoir des journées avec une amplitude de prise de rendez-vous plus large ce qui lui laisse plus de flexibilité dans l’organisation de son planning pour répondre aux besoins de sa patientèle.
Le chirurgien-dentiste trouve également la réponse à la gestion des temps morts pendant ses propres journées d’absence car il peut désormais avoir 16 jours de congés RTT à imposer à son salarié, le cabinet restant fermé et le salarié chez lui.
La mise en place de cette nouvelle organisation du temps de travail peut également apporter une certaine satisfaction au niveau du salarié qui gagne 24 jours de congés supplémentaires par an. Il passe donc de 5 à 10 semaines de repos par an (5 semaines de congés payés et 5 semaines de RTT). Les journées sont moins saccadées, le temps passé dans les transports optimisé et la qualité de vie d’autant améliorée. L’alignement des planètes est quasi parfait entre le soleil et ses satellites !
Quels sont les points faibles du système rtt ?
La mise en place d’une organisation avec jours de RTT impose un suivi rigoureux des heures réalisées par la mise en place d’un planning co-signé par les parties.
La prise des jours de RTT est répartie au 2/3 par le chirurgien-dentiste (soit 16 jours par an) et 1/3 par le salarié (soit 8 jours par an). Il faut donc que le salarié joue le jeu et accepte de poser ses 8 jours de RTT sur des jours d’absence du chirurgien-dentiste.
Nous parlions en préambule d’intelligence collective, elle demeure nécessaire au bon fonctionnement du cabinet !
Si mon salarié réalise plus de 39 heures hebdomadaires, les heures faites au-delà doivent être rémunérées sur la base d’un taux majoré à 25% de la 40ème à la 43ème heure ou à 50 % pour les heures effectuées au-delà de la 44ème.
Principe de la modulation du temps de travail
Le principe de la modulation du temps de travail est de calculer la durée du travail sur une année complète, la période de modulation peut se calquer sur l’année civile ou sur une autre période de l’année (exemple : exercice comptable).
La durée annuelle conventionnelle est prévue par l’accord de branche à 1587 heures + 7 heures de la journée de solidarité soit 1 594 heures de travail effectif annuel (accord du 03/12/2004 et avenant du 15/01/2016).
Si le cabinet met en place l’accord de modulation tel que prévu dans l’accord de branche, les amplitudes hebdomadaires varient entre 26 et 44 heures, sans pouvoir dépasser 40 heures hebdomadaire sur 12 semaines consécutives. Ces amplitudes permettent donc au chirurgien-dentiste d’organiser le temps de travail de ses équipes sur des durées inférieures ou supérieures à 35 heures.
1er cas : si le salarié effectue des heures au-delà de 35 mais dans la limite de 44 heures, ces dernières ne sont pas considérées comme des heures supplémentaires, elles n’ouvrent donc pas droit à majoration de salaire et ne s’imputent pas sur le contingent annuel.
2ème cas : si le salarié effectue moins de 35 heures hebdomadaires, cela ne constitue pas pour lui une absence non rémunérée.
Le but de la modulation est que les semaines dites « basses (moins de 35heures) compensent les semaines « hautes » (plus de 35 heures) sans que cela n’ait d’impact pour la rémunération du salarié puisque celle-ci est lissée sur la base de 151.67 heures mensuelles (soit 35 heures hebdomadaires).
La mise en place de la modulation du temps de travail se fait par l’organisation des semaines hautes et basses définies à l’avance sur un calendrier prévisionnel de modulation. Ce calendrier peut être amené à évoluer (il est prévisionnel).
Pour cela l’employeur doit respecter un délai de prévenance de 7 jours ouvrés (jour travaillés) en cas de modification « classique » et 2 jours calendaires en cas d’urgence ou de conditions de surcroît exceptionnel de travail.
Le calendrier de modulation prévisionnel doit être mensuel et pour chaque salarié, il doit être remis au salarié au moins 15 jours avant le début du mois suivant le début de la modulation.
Dans le calendrier prévisionnel de modulation vous devez bien entendu tenir compte des amplitudes imposées par l’accord de branche mais également de la durée journalière maximale de travail fixée à 10 heures (nous rappelons également que vous devez octroyer une pause de 20 min toutes les 6 heures de travail effectif).
En faisant le choix de la mise en place des dispositions conventionnelles relatives à la modulation du temps de travail, vous vous engagez également à diminuer le contingent annuel d’heures supplémentaires à 110 heures (au lieu de 220 heures).
A la fin de chaque mois, vous devez à ce titre faire un point sur les heures effectivement travaillées. Nous vous conseillons d’annexer ce récapitulatif au bulletin de salaire et en demander le retour signé à votre salarié.
Dans le cas où le salarié dépasse lors d’une semaine les amplitudes hautes fixées par l’accord de branche (soit 44heures hebdomadaires) alors l’employeur doit verser une rémunération majorée correspondante à des heures supplémentaires au titre du mois considéré.
En fin d’année l’employeur devra comparer le nombre d’heures de travail effectif (hors jours de congés et jours fériés) et le quota de 1 594 heures et procéder à d’éventuelles régularisations :
- Si en fin d’année le décompte des heures effectives travaillées est inférieur au décompte des heures rémunérées, l’employeur ne peut réclamer la rémunération versée par anticipation au salarié.
- A contrario si le décompte des heures effectives travaillées est supérieur au décompte des heures rémunérées, lesdites heures ne constituent pas des heures supplémentaires dans la mesure où elles sont comprises dans la fourchette haute de 44 heures / semaine (plafond du système de modulation).
Procédure de mise en place et de suivi
Tout comme l’accord RTT, l’accord de modulation du temps de travail est permis par la convention collective des cabinet dentaires via l’accord du 05/12/2003.
Pour mettre en place cette organisation du temps de travail au sein de votre cabinet, vous n’avez donc pas besoin de recourir à un accord d’entreprise.
Concernant le formalisme, l’accord de branche s’impose là aussi aux salariés. Nous vous conseillons de faire une réunion informelle afin d’expliquer le principe à vos salariés et formaliser l’instauration de la nouvelle organisation par un courrier au salarié en LRAR et une note de service affichée en interne.
Il est obligatoire de contractualiser par un avenant au contrat de travail cette modification de l’organisation du temps de travail pour les salariés à temps partiel.
Attention : si votre structure dispose d’instances représentatives du personnel, vous devez absolument les consulter avant de procéder à la modification de l’organisation collective du travail (que ce soit pour la mise en place de RTT ou de la modulation).
Quels sont les avantages du dispositif de modulation du temps de travail ?
La mise en place de la modulation permet au praticien de réaliser une économie financière sur le paiement des heures supplémentaires puisqu’il ne paie plus les majorations de salaires et les charges sociales y afférentes. De plus, il s’exonère également du paiement des temps morts comme pratiqué auparavant.
Comme dans le dispositif RTT, la rémunération du salarié est également lissée.
La mise en place de semaines de 44 heures permet également au chirurgien-dentiste d’avoir des journées avec une amplitude plus grande.
Le chirurgien-dentiste peut également trouver la réponse à la gestion de ses propres journées d’absences puisqu’il peut faire travailler ses équipes sur des semaines basses à 26 heures (soit trois jours de travail sur une semaine).
Quels sont les inconvénients du dispositif de modulation du temps de travail ?
La mise en place d’une organisation du temps de travail par modulation impose à l’employeur la réalisation d’un planning prévisionnel avec des semaines de haute et basse activité.
Les amplitudes hebdomadaires fixées dans l’accord de branche ne répondent pas à la problématique des temps morts pendant l’absence du chirurgien-dentiste puisque nous n’avons pas de semaines non travaillées.
Le chirurgien- dentiste doit pouvoir suivre, presque en temps réel, les heures effectives de son personnel pour éviter de se retrouver en fin d’année soit avec des régularisations d’heures significatives à payer en heures supplémentaires, soit à l’inverse avec un volume horaire payé par anticipation en cours d’année mais non récupérable financièrement auprès du salarié.
Conclusion
L’organisation du temps de travail au sein du cabinet dentaire est un enjeu important car elle impacte directement le niveau de productivité et de rentabilité de ce dernier.
Il est essentiel que les praticiens puissent mettre en adéquation le temps de travail de leurs salariés avec le volume de production correspondant.
La modulation du temps de travail ou la mise en place de l’accord RTT sont deux outils mis à disposition par la convention collective pour permettre aux praticiens chirurgiens-dentistes et orthodontistes d’optimiser le temps de travail de leur personnel. Si ces deux instruments ne correspondent pas à vos attentes, vous avez encore la possibilité de mettre en place un accord d’entreprise. Celui-ci sera à concevoir et élaborer de façon personnalisée mais il vous laissera la possibilité d’insérer des variantes non présentes dans l’accord de branche et donc vous permettre de coller vraiment avec la réalité de vos besoins.
La nouvelle loi travail instituée par Emmanuel MACRON, en cours d’adoption, laissera la possibilité aux TPE de moins de 11 salariés, de négocier un accord d’entreprise sans délégué syndical, qui constitue aujourd’hui une véritable contrainte.
Vous devrez donc rédiger l’accord d’entreprise propre à votre entité (tout en respectant le droit du travail et les dispositions de votre convention collective) et le soumettre par référendum à vos salariés. Si celui-ci est accepté à la majorité des 2/3, vous pourrez alors le mettre en place dans votre cabinet.
2 commentaires
Super article
Il reste encore des praticiens libéraux qui n’emploient qu’une ADQ avec qui ils travaillent en harmonie et bonne intelligence. On peut hypothéquer que ces dispositions, qui introduisent de la souplesse dans l’activité mais aussi des termes comme “référendum”, “accords d’entreprise”, … visent plutôt les centres dentaires associatifs et/ou les très gros cabinets multi-praticiens.