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IMPRESSION 3D, LÉGISLATION, ENVIRONNEMENT ET BIOCOMPATIBILITÉ : UN MESSAGE DE PRUDENCE…

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INTRODUCTION
L’impression 3D en cuve de résine, la plus répandue et la plus utile en dentisterie donne parfois l’impression qu’elle n’a pas de limite dans nos propositions thérapeutiques. Cependant, elle pose un certain nombre de problématiques éthiques et sanitaires pour la sécurité de nos patients, nos collaborateurs et la nôtre. Ainsi, se cache déjà un certain nombre de problématiques législatives et éthiques bien identifiées avec des solutions simples à appliquer.
L’objectif de cet article est d’aborder un certain nombre de ces problématiques afin que l’impression 3D en bac de résine soit sûre, c’est à dire écologiquement responsable au service de notre plaisir d’exercice et respectueuse de la santé de nos patients.

LES OBLIGATIONS RÉGLEMENTAIRES
Pour tous les éléments produits par impression 3D n’allant pas en bouche, comme la réalisation de modèles dentaires ou de fausses gencives implantaires, la législation ne soumet le chirurgien-dentiste à aucune réglementation particulière. Cependant, ces situations représentent assez peu d’indications de l’impression 3D en dentisterie, hormis peut-être pour les orthodontistes. Pour les dentistes qui souhaitent se lancer dans l’impression 3D d’éléments prothétiques fixes ou amovibles utilisés en bouche (ce qui inclut les guides chirurgicaux et les plans de libération occlusaux), il est une obligation réglementaire de se déclarer comme fabricant de prothèses auprès de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé
(ANSM). Il s’agit d’une simple déclaration sur l’honneur, accompagnée de quelques précisions qu’il convient d’adresser par courrier électronique (figure 1). Elle permettra de certifier la conformité des éléments produits, ce qui implique des changements significatifs en termes de responsabilités (1). La figure 1 présente ce document de référence à remplir et envoyer à l’ANSM pour tout praticien souhaitant faire de la conception et fabrication assistée par ordinateur de dispositifs médicaux sur mesure (DMSM).

Fig. 1 : document de référence disponible sur le site de l’ANSM.

Contrairement à la pratique courante des soins dentaires (à l’exception de l’esthétique), où les praticiens sont tenus à une obligation de moyens envers leurs patients (c’est-à-dire, faire leur possible pour assurer le succès du traitement sans garantir un résultat), la fabrication de DMSM par impression 3D (ou avec une usineuse, la législation étant la même pour les praticiens réalisant de la CFAO directe soustractive) exige que le praticien garantisse la qualité du produit final. Il s’agit d’une obligation de résultats sur la qualité de fabrication, et non d’une garantie de résultat pour l’acte thérapeutique lui-même (ce qui limite tout de même la responsabilité du praticien). En cas de problème dû à une procédure incorrecte de fabrication du DMSM, le praticien peut être tenu pour responsable (1).
En outre, les praticiens doivent mettre en place un suivi de contrôle qualité et de traçabilité pour les éléments prothétiques produits. Pour chaque DMSM, les dentistes doivent créer une fiche de déclaration semblable à celle utilisée par les prothésistes dentaires, indiquant leur identité, les spécifications techniques des matériaux employés et les normes respectées pendant la fabrication. Cette fiche doit être remise au patient et conservée pendant 10 ans par le praticien. Pour faciliter le respect de ces normes essentielles dans la pratique quotidienne, divers outils sont disponibles, tels que le logiciel en ligne CFAO3D, développé par un dentiste.
En regard de tous ces éléments, il est légitime de se poser la bonne question : « Que signifie cette obligation de résultats sur le DMSM produit ? ». Elle pourrait même se poser d’une autre façon bien qu’il n’y ait pas encore de jurisprudence à notre connaissance concernant la production de DMSM par impression 3D en dentisterie : « Si jamais il se produisait un problème quelconque avec mon élément imprimé (allergie, toxicité…) : comment justifier qu’il était conforme ? »
Alors que la réglementation européenne est floue et semble s’appliquer différemment d’un pays à l’autre, s’intéresser à l’Australie semble être un bon exemple de respect de l’obligation de résultats. Ainsi, la législation Australienne considère que la qualité finale des dispositifs médicaux est certifiée par l’ensemble de la chaîne de production, car chaque maillon de celle-ci (résine biocompatible, imprimante, post-traitement) est considéré comme interdépendant et susceptible d’affecter la qualité du produit final. Cette approche est appelée MDPS (Medical Device Production System).
Ainsi, en considération de l’éthique professionnelle et de l’obligation de résultats concernant les DMSM fabriqués, il parait judicieux de recommander l’application du principe de précaution maximal, à l’instar de la législation australienne et de recommander l’utilisation de profils d’impression de résines biocompatibles certifiés par une marque d’imprimante donnée et de réaliser le post-traitement (rinçage à l’alcool isopropylique et post- polymérisation) avec des dispositifs de la même marque dont les temps spécifiques sont précisés par le fabricant. La figure 2 montre un exemple de simplification non acceptable cliniquement et législativement si cet élément était destiné à un patient.

Fig. 2 : exemple de porte empreinte réalisé avec une résine non biocompatible (Model V2, Formlabs) pour la réalisation de travaux pratiques. Si celui-ci avait été destiné à un patient, il aurait fallu choisir une résine biocompatible correspondant à la bonne
indication (chaque fabricant propose des résines pour porte-empreintes
individuels) et suivre rigoureusement les étapes de post-traitement. Bien que cela puisse être tentant économiquement d’utiliser ces matériaux non biocompatibles, il faut pourtant
scrupuleusement sélectionner une résine biocompatible pour une utilisation intra-buccale, de surcroît associée à une chaine de post polymérisation validée par le même fabricant pour garantir notre obligation de résultats dans la fabrication du DMSM.

LE RESPECT DE L’ENVIRONNEMENT ET LA LIMITATION DE LA TOXICITÉ
Il est fréquent d’avancer que l’impression 3D évite le recours au plâtre, à l’origine de salissures dans les laboratoires de prothèses, mais aussi les maladies pulmonaires liées à des inhalations en cas de mauvaise protection. Cependant, l’impression 3D, bien que plus technologique a également son lot d’éléments à prendre en compte afin d’être utilisée en toute sécurité (allergie, toxicité…) et dans le respect de l’environnement.

L’ASPECT SÉCURITAIRE
Alors que les allergies au plâtre existent de façon extrêmement rares et sont causées par des composés résineux adjoints ou des additifs, les allergies aux résines diméthacrylates comme les résines d’impression 3D(2) ou les résines composites conventionnelles sont plus communes et parfaitement décrites. Afin de les limiter, il convient de porter des gants à toutes les étapes de la manipulation éventuelle des résines d’impression, tout comme à toutes les étapes du post-traitement. L’impression 3D en cuve de résine est également à l’origine de la libération dans l’air de différents agents sensibilisants (composés résineux) ou irritants (composés résineux ou isopropanol)(3,4). La chaine d’impression doit donc être placée dans un environnement ventilé, ou idéalement sous une hotte aspirante. La figure 3 montre une installation sécure d’une chaine complète d’impression.

Fig. 3 : exemple d’une chaine complète d’impression installée de
manière sécure. Il s’agit ici de la chaine Formlabs.

L’ASPECT ENVIRONNEMENTAL
L’extrême majorité des résines utilisées pour imprimer des DMSM actuellement en dentaire se nettoient après l’impression à l’aide d’alcool isopropylique (également appelé Isopropanol) à 99 %. Au fil du temps, le solvant accumule des résidus de résine provenant des impressions successives. Il devient alors impératif de le remplacer pour maintenir l’efficacité du processus de nettoyage. Cependant, éliminer l’alcool isopropylique saturé de résine dans les eaux usées est non seulement nocif pour l’environnement, mais également une pratique strictement interdite par la loi, même si elle est malheureusement courante.
Deux solutions peuvent être mises en oeuvre simultanément pour réduire l’impact environnemental de ces déchets :
♦ la décantation de l’alcool isopropylique saturé. En raison de la différence de densité entre l’alcool et les résidus de résine non polymérisée, une sédimentation se produit naturellement dans le conteneur d’alcool isopropylique. En éliminant la partie la plus saturée qui se trouve au fond du récipient, il est possible de récupérer de l’alcool avec moins de saturation en résine, prêt à être réutilisé. Cette méthode est cependant compliquée à mettre en oeuvre en pratique, bien qu’elle soit très séduisante en théorie.
♦ le recyclage de l’alcool isopropylique saturé. Certains centres de recyclage proposent l’élimination correcte d’alcool isopropylique saturé. Dans le cas des particuliers, comme nous utilisons généralement de faibles quantités de solvant, nous pouvons profiter de cette option de recyclage. Pour cela, il faut garder les récipients d’achat pour les ré-emplir avant de les amener à la déchetterie.
Acheter des bidons de 5 ou 10 L plutôt que des bouteilles d’1 L peut donc s’avérer un choix judicieux pour faciliter l’élimination future de l’alcool isopropylique saturé (figure 4).

Fig. 4 : isopropanol à 99 % en bidon : un tel conditionnement
permet de faciliter l’élimination à la déchetterie par re-remplissage
lorsque celui-ci est saturé.

Il serait cependant souhaitable que les fabricants et distributeurs s’engagent dans la mise en place de systèmes de collecte de ces déchets. Ils pourraient également explorer des moyens de recyclage industriels pour ces solvants, visant à réduire notre impact environnemental global.

UTILISER LA TECHNOLOGIE À BON ESCIENT ET LAISSER LE TEMPS DE L’ÉVALUATION SCIENTIFIQUE
Comme pour toute technologie émergente, il y a toujours une phase de croissance et d’emballement avant qu’elle devienne mature (5).
Les auteurs de cet article sont tous utilisateurs quotidiens et convaincus de l’impression 3D, avec en notre possession plusieurs imprimantes, de différentes technologies et de marques différentes que nous jugeons complémentaires et indispensables à notre pratique. Pour autant, nous continuons à utiliser l’usinage pour la fabrication de DMSM, voire les techniques conventionnelles dans certaines indications.
Quelle est donc la place raisonnable actuelle de l’impression 3D de DMSM ? Cette place raisonnable peut être trouvée en pondérant le rapport bénéfice-coût-risque habituel dans notre profession.
Aujourd’hui, le potentiel disruptif de l’impression 3D dans notre pratique est évident (6). Cependant un certain nombre de problématiques (dégradation (7), composition en monomères (6), propriétés mécaniques (8)) sont toujours en cours d’évaluation, notamment pour les indications d’usage de longue durée comme les éléments prothétiques d’usage fixes ou amovibles amenés à persister plusieurs années en bouche où des alternatives usinées existent, sont pleinement évaluées et faciles à réaliser. En revanche, la possibilité pour les gouttières de bruxisme (i.e. plan de libération occlusal) de réaliser en quelques minutes de design, des gouttières qualitatives, réglées sur articulateur virtuel à des coûts acceptables avec la CCAM, rend l’indication pratiquement classable
comme « pleinement validée ».

Lorsqu’on récapitule, indication par indication, le gain clinique, économique en rapport avec le faible recul clinique de la technologie d’impression 3D en cuve de résine, le diagramme en figure 5 peut être obtenu. Il est à noter qu’une indication jugée prématurée n’empêche pas le recours à l’impression 3D dans l’indication abordée. Cette dernière peut être souhaitable dans des cas bien identifiés, mais ne parait pas à systématiser pour tous nos patients en pratique routinière.

Fig. 5 : diagramme récapitulatif, indication par indication, de l’intérêt de systématiser l’impression 3D. Ce diagramme est par nature évolutif au fur et à mesure des développements extrêmement rapides dans cette industrie.

CONCLUSION
L’impression 3D apparait comme une technologie efficace et sûre lorsque les règles législatives, sécuritaires et environnementales élémentaires, propre à cette technologie sont appliquées. Elle est déjà pleinement efficace et validée dans un grand nombre d’indications et émerge comme un complément parfait à un scanner intra-oral. Le développement de nouvelles formulations résineuses, l’optimisation de l’ergonomie d’utilisation (gestion des vapeurs, protocolisation de l’élimination des déchets) et de la recherche permettra sans nul doute sa popularisation dans la majorité des cabinets dentaires d’ici quelques années avec des indications prothétiques validées.
Pour le moment, les prothèses amovibles et fixes d’usage imprimées en bac de résine ne semblent donc pas à généraliser, bien qu’elles puissent être utiles dans certaines indications et contextes financiers.

BIBLIOGRAPHIE
1. Maret-Comtesse D, François P, Grosgogeat B. La réglementation des dispositifs médicaux sur mesure issus de la chaîne numérique. Profession Assistante Dentaire. 2023. 20(2):31-37
2. Bowers LN, Ranpara AC, Roach KA, Knepp AK, Arnold ED, Stefaniak AB, et al. Comparison of product safety data sheet ingredient lists with skin irritants and sensitizers present in a convenience sample of light-curing resins used in additive manufacturing. Regul Toxicol Pharmacol. 2022;133:105198.
3. Chan FL, House R, Kudla I, Lipszyc JC, Rajaram N, Tarlo SM. Health survey of employees regularly using 3D printers. Occup Med (Lond). 2018;68(3):211‑4.
4. Mohammadian Y, Nasirzadeh N. Toxicity risks of occupational exposure in 3D printing and bioprinting industries: A systematic review. Toxicol Ind Health. 2021;37(9):573‑84.
5. Kessler A, Hickel R, Reymus M. 3D Printing in Dentistry-State of the Art. Oper Dent. 2020;45(1):30‑40.
6. Della Bona A, Cantelli V, Britto VT, Collares KF, Stansbury JW. 3D printing restorative materials using a stereolithographic technique: a systematic review. Dent Mater. 2021;37(2):336‑50.
7. Karao lano lu S, Aydın N, Oktay EA, Ersöz B. Comparison of the Surface Properties of 3D-printed Permanent Restorative Resins and Resin-based CAD/CAM Blocks. Oper Dent. 2023;48(5):588-98.
8. Othman A, Sandmair M, Alevizakos V, von See C. The fracture resistance of 3D-printed versus milled provisional crowns: An in vitro study. PLoS One. 2023;18(9):e0285760.

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A propos de l'auteur

Dr. Philippe FRANCOIS

- MCU-PH en biomatériaux, Université Paris Cité
- Hôpital Bretonneau, AP-HP, 75018 Paris
- Membre de l’unité de recherche en biomatériaux innovants et interfaces URB2i

Dr. Jean-Pierre ATTAL

Praticien libéral
Maître de Conférences des Universités
Praticien hospitalier
Responsable du pôle clinique de l'URB2i
Président de la Société Francophone de Biomatériaux Dentaire (SFBD)

Pr Elisabeth Dursun

PU-PH en odontologie
pédiatrique, Université Paris Cité
Hôpital Henri Mondor, AP-HP,
94000 Créteil
Membre de l’unité de recherche
en biomatériaux innovants et
interfaces URB2i

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