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LA PRÉSERVATION TISSULAIRE FACE À LA GESTION DU RISQUE

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Depuis les années 90, les systèmes adhésifs dentaires ont été énormément développés. s’appuyant tous sur le principe de l’hybridation, décrite par Nakabayashi en 1992 (1), ils ont ouvert la voie à une dentisterie plus respectueuse de la dent (2). En effet, l’adhésion a permis d’envisager de s’affranchir des principes de rétention mécanique et des préparations invasives qu’ils imposent. mais restait à savoir si cette adhésion serait suffisamment performante et pérenne pour supporter les stress fonctionnels.
Forte d’un recul clinique de plus de 30 ans (3, 4, 5), la dentisterie adhésive a aujourd’hui montré sa validité, au point de devoir être privilégiée à toute autre thérapeutique plus invasive si la situation clinique le permet (6).
Nous allons ainsi analyser les apports de l’adhésion aux tissus dentaires dans le contexte particulier de la dent fragilisée par une fêlure. Nous chercherons à déterminer si cette adhésion est systématiquement nécessaire ? suffisante ? possible ? ou si son champ d’application présente des limites.

ADHÉSION ET PRÉSERVATION TISSULAIRE
Nous savons aujourd’hui que les systèmes adhésifs permettent d’obtenir une excellente rétention (3), que ce soit dans le secteur antérieur ou postérieur, et même dans des situations n’offrant aucun encastrement mécanique. Ainsi, il n’existe aucune limite à la dentisterie adhésive et son indication est universelle ? Non. Car la rétention, bien que centrale dans l’esprit de nos patients, n’est pas le seul objectif de nos restaurations.
La finalité de n’importe quel traitement de dentisterie, une fois la symptomatologie traitée, est de pérenniser l’organe dentaire. C’est pour nourrir cet objectif central, que la préservation tissulaire est valorisée, car tout délabrement induit par le praticien est irréversible, et peut constituer une perte de chance participant à une extraction prématurée. Mais ne nous trompons pas ; la préservation tissulaire n’est en réalité pas l’objectif absolu du praticien. Elle n’est qu’une aide (certes précieuse) pour répondre à un objectif bien supérieur ; la préservation dentaire.
Ceci s’illustre tout particulièrement dans le contexte de la dent fragilisée par une fêlure, qu’elle soit symptomatique ou non.
En effet, il serait réducteur, voire dangereux pour la dent, de considérer qu’on peut se contenter de « coller pour combler, sans préparer », sous prétexte qu’on sait le faire, qu’on sait que cela tiendra et que c’est le moins délabrant. Car bien au-delà de l’objectif louable de préservation des tissus, la thérapeutique doit permettre d’assurer une protection de la dent contre un risque de propagation de la fêlure, dont l’issue pourrait être fatale dans certains cas.
La question serait en fait ; Que risque la dent  (biologiquement et mécaniquement) et que puis-je faire pour lever ce risque ?
Si le risque n’est que carieux, comme n’importe quelle dent, il faut évidemment privilégier l’approche la moins invasive possible. Si en revanche la dent est fragilisée, soit par une cavité large soit par une fêlure, l’analyse biomécanique de la dent devient fondamentale et intervient grandement dans notre choix thérapeutique, afin que la restauration prévienne le risque de fracture.

BIOMÉCANIQUE DE LA DENT
Plusieurs études ont permis de comprendre la manière dont les forces s’exerçent sur les différentes parties de la dent, en fonction du type de contrainte exercée (7,8).
Ainsi, le rôle protecteur de l’émail a bien été mis en évidence, dans sa propension à protéger la dentine coronaire en dirigeant les contraintes en direction de la racine. La présence d’une restauration, même de faible volume, rompt donc la continuité architecturale de l’émail et altère son pouvoir protecteur (7)
Par ailleurs, sur les dents intactes, la pression statique en occlusion provoque des stress essentiellement compressifs, tandis que de nombreux stress en tension sont observables dès que des mouvements fonctionnels travaillants et non travaillants sont simulés (8). Ceci explique en partie les fractures cuspidiennes parfois observées sur des dents intactes…(8)
Mais les restaurations provoquent également des contraintes supplémentaires, notamment par les variations dimensionnelles liées à la prise et aux différences de coefficients de dilatation thermique ou de rigidité par rapport à la dent (9). C’est une des raisons expliquant la forte prévalence de fêlures ou fractures sur les dents restaurées par des amalgames (10).

LES ENJEUX DE LA DENT FÊLÉE

RISQUE MÉCANIQUE
Il semble bien évident qu’une dent fêlée présente un risque mécanique accru, car la propagation de la fêlure provoquerait la perte d’un fragment ou d’une cuspide, voire de la dent si la fracture s’avère centrale et corono-radiculaire.
Ceci introduit donc l’appréhension du risque de propagation d’une part, et des conséquences de cette propagation d’autre part. En effet, le risque de propagation de la fêlure est différent selon sa cause.
Si celle-ci trouve son origine dans le caractère iatrogène d’une restauration inadaptée, alors une restauration adaptée et adhésive réduira grandement ce risque. En revanche, si la fêlure est provoquée par les stress fonctionnels s’exerçant sur les parois résiduelles, alors la fonction étant immuable, elle continuera à s’exercer et l’adhésion risque de ne plus suffire à lutter contre ce stress.

RISQUE BIOLOGIQUE
Toutes les fêlures, quelles qu’en soient leurs aspects, sont contaminées par des bactéries (11). L’orientation
de la fêlure aura ainsi un impact direct sur les structures jouxtant le trait de fêlure. En effet, une fêlure orientée en direction pulpaire constituera un risque important de symptomatologie, mais aussi de perte de vitalité pulpaire.

LES DIFFÉRENTES SITUATIONS OBSERVABLES
Faces aux fêlures observables cliniquement, 3 situations peuvent être décrites (12) :

SITUATION 1 : (FIG 1 À 4)
Il s’agit des fêlures « externes », cantonnées à une faible partie de l’émail, pouvant parfois se propager sur quelques millimètres de dentine, mais sans pénétration dans les parties profondes.

Fig 1 : situation 1 : fêlure amélaire ou pénétrant très peu dans la dentine.

Fig 2 : vue pré-opératoire. On distingue une fêlure amélaire de la crête marginale distale, mais on ne peut pas savoir si elle pénètre dans la dentine.

Fig 3 : après dépose de l’amalgame, on constate que la fêlure pénètre sur quelques milimètres dans la dentine mais s’arrête très vite.

Fig 4 : un composite direct a été réalisé.

Que risque la dent ? Souvent centrales, elles sont limitées à la crête marginale et sont donc très éloignées de la pulpe. Le risque biologique est ainsi très faible.
D’un point de vue mécanique, le risque de propagation reste lui aussi très limité si le volume résiduel de dentine coronaire est bon.
La thérapeutique juste ? L’apport de l’adhésion en technique directe suffira à renforcer les structures en présence.

SITUATION 2 : (FIG 5 À 9)
Il s’agit de fêlures cuspidiennes obliques, voire parfois presque horizontales. Ces fêlures, forcément contaminées par des bactéries comme toute fêlure, sont pourtant toujours claires et « propres », et généralement asymptomatiques. Ainsi, le postulat avancé est que ces fêlures sont essentiellement iatrogènes (provoquées par une restauration inadaptée, peu ou pas adhésive), et non fonctionnelles. En effet, une fêlure fonctionnelle est systématiquement sollicitée lors des cycles masticatoires, ce qui provoque a minima un appel de nutriments participant à la coloration de la fêlure et à l’activité bactérienne, ainsi qu’à des symptômes plus ou moins forts lors de la mastication.

Fig 5 : situation 2 : fêlure dentinaire oblique d’une cuspide

Fig 6 : on constate une fêlure impliquant le cuspide mésio-linguale de 37.

Fig 7 : la restauration en composite direct peut être entreprise. Si des inlays avait été prévus, il aurait été opportun de recouvrir la cuspide concernée, sans chercher à éliminer la fêlure, afin de réduire les stress notamment liés à la pression provoquée par
l’évacuation du matériau de collage.

Fig 8 : vue post-opératoire

Fig 9 : recall à 5 ans. La situation est stable.

Que risque la dent ? Le risque mécanique de propagation de la fêlure est ainsi assez faible dès lors que la restauration est adaptée et adhésive. D’autre part, en cas de propagation, l’orientation oblique de ces fêlures rend la dent « soignable » et ne nous expose donc que peu à un risque fatal.
Le risque biologique en est subséquemment abaissé.
En effet, le trajet de ces fêlures ne menace absolument pas la pulpe.
La thérapeutique juste ? L’adhésion à la cuspide impliquée permet de limiter grandement le risque de propagation de la fêlure. Là encore, la découverte d’une fêlure oblique isolée ne changera pas la thérapeutique initialement envisagée. Ainsi, si un composite direct était envisagé, la découverte peropératoire d’une fêlure oblique à la jonction entre le fond et la paroi axiale de la cavité ne modifiera pas le choix thérapeutique. En revanche, si un inlay ou un onlay était prévu, la cuspide concernée par la fêlure oblique sera systématiquement recouverte.

SITUATION 3 : (FIG 10 À 16)
Dans ces situations, nous sommes face à des fêlures transversales pénétrant sur la moitié ou plus de la largeur de la dent, voire traversantes de mésial à distal. Plus ou moins colorées selon leur ancienneté, c’est généralement dans ces situations que l’on retrouve une symptomatologie, bien que celle-ci ne soit pas systématique. Ceci appuie l’implication majeure de la fonction masticatoire dans l’étiologie de ces fêlures, ce qui augmente en soit le risque mécanique.

Fig 10 : situation 3 : Fêlure dentinaire profonde et transversale impliquant plus de 50% de la largeur de la dent.

Fig 11 : vue pré-opératoire.

Fig 12 : après dépose de l’amalgame, on constate une fêlure profonde et très colorée, renseignant sur son ancienneté et sur les stress s’exerçant en permanence sur cette fêlure.

Fig 13 : il est impératif de recouvrir toutes les cuspides afin d’éviter toute tension fonctionnelle sur la fêlure. Des tissus sains sont sacrifier pour permettre de suppléer la grande menace mécanique qui pèse sur la dent.

Fig 14 : vue après préparation, puis protection dentinaire à l’aide d’un adhésif (Optibond FL (Kerr)) et d’une fine couche de composite fluide (Tetric Evo Flow (Ivoclar)).

Fig 15 : vue le jour du collage, avant et après assemblage de la pièce en céramique Disillicate de Lithium.

Fig 16 : radio post-opératoire. On observe la couche de composite sous la restauration en céramique.

Que risque la dent ? La situation centrale de ces fêlures constitue une menace très forte, en ce qu’une propagation engendrerait la perte de la dent.
De même, son orientation en direction pulpaire constitue un vecteur bactérien exposant la dent à un fort risque de perte de vitalité.
La thérapeutique juste ? Pour ces raisons, l’impératif sera de parer ces 2 menaces en limitant au maximum les tensions autour de la fêlure pour empêcher sa propagation et stopper la diffusion des bactéries et des nutriments au sein de la fêlure. Il n’est alors plus question de préservation « maximale » et le recouvrement cuspidien s’impose.

CONCLUSION
Les fêlures sont une illustration parfaite de la balance que nous devons gérer entre la préservation tissulaire et la réduction du risque. L’adhésion soulève souvent cette problématique du risque, mais essentiellement dans celui du décollement de la restauration, notamment quand la préparation est peu, voire pas rétentive du tout. En réalité, la perception du risque doit se faire plutôt en appréhendant la dent restaurée et en s’interrogeant sur les menaces qui pèsent sur elle, car c’est ainsi que l’on apportera la thérapeutique juste, tout en s’inscrivant dans la philosophie préservatrice de la dentisterie moderne.
Ainsi, l’adhésion trouve toute sa place dans ces traitements, mais les principes de protection mécanique de la dent par recouvrement à l’aide d’un matériau rigide, voire de cerclage, viendront suppléer au renforcement adhésif dans les cas de forte menace.

BIBLIOGRAPHIE

1. ROULET J-F., DEGRANGE M. – Adhesion. The silent revolution in dentistry. Chicago : Quintessence Publishing Co., Inc., 2000.- 303p.
2. NAKABAYASHI N., KOJIMA K., MASUHARA E. – The promotion of adhesion by infiltration of monomers into
tooth substrates. J Biomed Mater Res. 1982; 16:265-73
3. VAN MEERBEEK B, PERDIGÃO J, LAMBRECHTS P, VANHERLE G. – The clinical performance of adhesives. J Dent. 1998; 26(1):1-20
4. MANTE FK, OZER F, WALTER R, ATLAS AM, SALEH N, DIETSCHI D, BLATZ MB. – The current state of adhesive dentistry: a guide for clinical practice. Compend Contin Educ Dent. 2013; 34 Spec 9:2-8.
5. DIETSCHI D, MAGNE P, HOLZ J. – Recent trends in esthetic restorations for posterior teeth. Quintessence Int. 1994; 25(10):659-77
6. TIRLET G, ATTAL JP – Le gradient thérapeutique. Inf Dent. 2009 Numéro Spécial,n° 41/42, 2561-2568
7. MILICICH G, RAINEY JT – Clinical presentations of stress distribution in teeth and the significance in operative
dentistry. Pract Periodontics Aesthet Dent. 2000; 12(7):695-700
8. CLARK DJ, SHEETS CG, PAQUETTE JM – Definitive Diagnosis of Early Enamel and Dentin Cracks Based on Microscopic Evaluation. J Esthet Restor Dent. 2003; 15(7), 391‑401.
9. FUSAYAMA T, SHIMIZIU M, HOSODA H, HORIBE T – Early and transversal measurements of amalgam expansion. J Dent Res. 1964; 43:194-206
10. SEO DG, YI YA, SHIN SJ, PARK JW – Analysis of Factors Associated with Cracked Teeth. JOE. 2012; 38(3):288-92
11. RICUCCI D, SIQUEIRA J, LOGHIN S, BERMAN LH – The Cracked Tooth: Histopathologic and Histobacteriologic Aspects. JOE. 2015; 41(3),343-52
12. DIETSCHI D, CHERON R – Dental cracks ; Invasivité minimum ou risque minimum ? ADF. 2018

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A propos de l'auteur

Romain Cheron

Diplômé de la faculté de
chirurgie dentaire de Paris V
Ancien Assistant Hospitalo-
Universitaire de Biomatériaux
et Prothèse – Paris V
DEA de Génie Médical
et Biomatériaux – Paris XIII
(laboratoire du Pr Michel
Degrange)
Co-dirigeant et formateur
pour la société DentalClub
Exercice libéral à Genève

Dr. Anthony ATLAN

Diplômé de la faculté de
chirurgie dentaire de Paris V
Master en ingénierie de la santé
et des biomatériaux- PARIS XIII
Ancien assistant hospitalouniversitaire
à l'URB2I - Paris V
Co-dirigeant et formateur pour
la société DentalClub

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