Les protocoles de mise en charge immédiate bousculent la chronologie classique du traitement implantaire auquel l’équipe traitante est accoutumée. D’ordinaire, l’étape prothétique proprement dite est entreprise au terme de la période de cicatrisation. Il s’agit souvent de plusieurs semaines voire plusieurs mois après l’acte chirurgical. Les protocoles de mise en charge immédiate, quant à eux, exigent la plus grande proximité entre ces étapes habituellement espacées dans le temps. Il faut donc s’adapter à cette nouvelle chronologie qui met en jeu des acteurs qui n’ont pas toujours l’habitude de collaborer au rythme de ce tempo.
La composante logistique des protocoles de mise en charge immédiate consiste donc à apprendre à maîtriser la proximité des phases chirurgicales et prothétiques en termes de concertation. La difficulté consiste à « avoir pensé à tout et avoir à penser à tout en même temps ».
Il faut organiser les tâches des différents intervenants, c’est-à-dire, le chirurgien (ou la phase chirurgicale), le praticien-prothésiste (ou la phase prothétique) et le laboratoire de prothèse. Cela consiste à déterminer avec précision la chronologie de leur intervention et son déroulement harmonieux (Szmukler-Moncler et Davarpanah 2007).
Les différentes chronologies chirurgicale et prothétique
La chronologie et la durée des interventions de chaque phase du protocole de mise en charge immédiate peuvent grandement varier selon la motivation du recours à ce type de protocole ainsi que selon la situation clinique.
Le protocole de mise en charge immédiate peut s’engager vers une chronologie d’interventions plutôt que vers une autre selon que :
- les temps opératoire et prothétique doivent se suivre immédiatement (fig. 1) ou peuvent se décaler dans le temps (fig. 2) ;
- le laboratoire de prothèse peut délivrer la prothèse provisoire avant la chirurgie (fig. 1) ou après, dans les 48-72 heures la suivant (fig. 2) ;
- la prise d’empreinte par le praticien-prothésiste a lieu avant (fig 1) ou après l’acte opératoire (fig. 2).
Les motivations premières qui orientent le traitement vers une chronologie plutôt qu’une autre constituent un ‘déterminant principal de traitement’ (Szmukler-Moncler et Davarpanah 2007). Ils sont au nombre de 4 et ils seront successivement envisagés.
1. Chronologie lorsque le déterminant principal de traitement est le confort psychologique du patient
Le facteur “psychologique” intervient dans la chronologie du traitement de manière décisive. Dans le cas d’une prothèse défaillante ou à la suite d’un traumatisme nécessitant une extraction dentaire, le patient peut émettre le désir de ne pas rester, ne serait-ce un instant, sans une solution prothétique fixe.
Ce caractère d’urgence psychologique fait que les implants doivent être réhabilités immédiatement après leur pose (fig. 1). La prothèse provisoire peut être préparée :
- au laboratoire avant l’acte implantaire (coque en résine) ;
- au fauteuil, à la suite de la mise en place des implants ;
- au laboratoire après l’acte implantaire quand il est attenant au cabinet.
Quand la prothèse n’est pas préalablement préparée au laboratoire mais au fauteuil, davantage de “temps-praticien” est nécessaire. Cette alternative de traitement est alors plus onéreuse que si la prothèse est préparée au laboratoire.
2. Chronologie lorsque le déterminant principal de traitement est le confort du patient
Le facteur “confort du patient” intervient aussi dans la chronologie du traitement. Lors du traitement d’une arcade édentée par exemple, la succession des phases chirurgicale et prothétique est susceptible d’atteindre une durée totale de 3 à 5 heures. Ces séances sont éprouvantes pour le patient. Il peut alors émettre le souhait d’éviter une longue et unique séance et lui substituer deux séances espacées dans le temps, de durées plus tolérables.
3. Chronologie lorsque le déterminant principal de traitement est le facteur économique
Les impératifs économiques peuvent aussi interférer sur le déroulement de la mise en charge immédiate. Ils peuvent influer sur la chronologie des interventions ainsi que sur les options de traitement.
Afin de limiter les coûts, la prothèse provisoire de temporisation peut être exécutée au laboratoire plutôt qu’au fauteuil. Cette exigence introduit un délai entre la pose des implants et la réhabilitation prothétique, qui peut varier entre plusieurs heures pour la confection d’une couronne unitaire et 2-3 jours pour la confection d’une prothèse totale avec armature métallique.
Une autre solution à orientation économique serait d’accéder directement à la prothèse d’usage sans transiter par une étape de prothèse provisoire (Engstrand et coll. 2001, Castellon et coll. 2004). Les coûts inhérents à la prothèse provisoire sont alors évités. Cette solution n’est envisageable que lorsque les conditions d’ostéointégration sont optimales (stabilité primaire élevée, contraintes à l’interface minimisées) et que la gestion des tissus mous ne présente pas d’impératif esthétique (Davarpanah et Szmukler-Moncler 2007).
4. Chronologie lorsque le déterminant principal de traitement est la durée de traitement
Le facteur “temps” peut aussi intervenir dans la chronologie des interventions ainsi que les options de traitement. Certains patients se déplacent loin de leur domicile pour suivre ce type de protocole spécifique. D’autres interrompent un traitement médicamenteux comme des anticoagulants pour pouvoir commencer le traitement implantaire. Aussi le protocole doit-il être exécuté dans le laps de temps le plus court. Cela implique une mobilisation et une flexibilité plus grandes des équipes.
Conclusion
La mise en charge immédiate doit être laissée à l’équipe traitante expérimentée. Elle doit pouvoir déterminer la chronologie la plus adaptée non seulement au patient mais aussi à l’équipe traitante. De plus, elle requiert de tous les acteurs intervenant dans le traitement de se familiariser au préalable avec une cadence de concertation bien plus drastique que celle auquel les protocoles classiques les ont habitués. Certains laboratoires de prothèse ne se sont pas disposés à se laisser bousculer dans certaines de leurs habitudes. Ils offriront une grande résistance à ce type de protocole qui exige de la rapidité et de la précision dans l’exécution.
L’exercice de la mise en charge exige une bonne maîtrise de la logistique chirurgicale et prothétique car “il faut penser à tout et avoir pensé à tout”. Tous ceux qui la pratiquent régulièrement pourront témoigner que “cela n’a pas toujours été évident les premières fois”. Ils pourront, cependant, aussi attester que l’acquisition de cet élément de l’arsenal thérapeutique leur a permis d’engager des patients dans un traitement qu’ils apprécient hautement, et qui de surcroît, offre une grande source de satisfaction professionnelle.
Bibliographie
1. Castellon P, Block MS, Smith MB, Finger IM. Immediate loading of the edentulous mandible: delivery of the final restoration or a provisional restoration–which method to use? J Oral Maxillofac Surg. 2004;62(9 Suppl 2):30-40.
2. Davarpanah M, Szmukler-Moncler S. Traitement de la mandibule édenté, in : Davarpanah M, Szmukler-Moncler S. Théorie et pratique de la mise en charge immediate, p 109-165. Quintessence International, Paris, 2007.
3. Engstrand P, Nannmark U, Mårtensson L, Galéus I, Brånemark PI. Brånemark Novum: prosthodontic and dental laboratory procedures for fabrication of a fixed prosthesis on the day of surgery. Int J Prosthodont. 2001;14:303-309.
4. Szmukler-Moncler S, Davarpanah M. Les différences entre le traitement classique et la MCI. in : Davarpanah M, Szmukler-Moncler S. Théorie et pratique de la mise en charge immediate, p 17-26. Quintessence International, Paris, 2007.
5. Cet article est un extrait réarrangé de Szmukler-Moncler et coll. La mise en charge immédiate. in : Davarpanah M, Szmukler-Moncler S, Rajbaum P, Davarpanah K, Demurashvili G. Manuel d’Implantologie Clinique, Editions CdP, Rueil-Malmaison, 2012