Solidement ancrée au carrefour de nombreuses disciplines, radiologie, parodontologie, chirurgie, prothèse, esthétique, phonétique, psychologie, l’implantologie dès lors thérapeutique plurielle se doit de satisfaire à de nombreuses obligations. Outre l’obligation d’information sur le diagnostic, sur la maladie ou l’infirmité dont souffre le patient, nécessité est de faire référence à l’évolution prévisible et des conséquences en cas de non traitement. Priment aussi la possibilité de techniques alternatives, le devis, le consentement éclairé avec référence à la notion de risques thérapeutiques.
Avec l’émergence d’un consumérisme médical et d’une certaine propension à la contestation et à la judiciarisation, deux notions vont s’arrimer à notre exercice : l’obligation de résultat dans le traitement et la nécessaire satisfaction des patients dont la variable d’ajustement fluctue entre le fonctionnel, l’esthétique
et la psychologie. Si l’on ajoute une qualité relationnelle variable d’un patient à un autre, une approche thérapeutique différente d’un praticien à un autre, l’acceptation d’un résultat final peut tenir d’un véritable challenge malgré tous les moyens engagés.
L’obligation de moyens
Cette obligation tire son essence de plusieurs considérations.
- Obligation morale de soigner nos patients par des soins attentifs avec science et conscience, dans les règles de l’art, ce qui suppose que l’acte médical n’est pas infaillible (Arrêt Mercier du 20.05.1936)
- Obligation de considération : il y a lieu de prendre en considération plus la personne que la maladie. C’est « l’intuitis personae » tirant son essence d’un vieil adage médical : « guérir jamais, soulager souvent, consoler toujours ».
- Obligation de diligence : qui prévoit de recevoir le patient dans des délais compatibles avec son état de santé.
- Obligation technique : délivrer nos soins compte tenu des Connaissances Médicales Avérées. (Loi Kouchner du 05.10.2002)
Tous moyens confondus, notre démarche chirurgicale implantaire vise un seul cheminement thérapeutique : le résultat prothétique.
L’obligation de résultat en prothèse
Arrêt du Tribunal Correctionnel de Metz, 13.12.1951 : « le chirurgien dentiste étant assimilé à un vulgaire poseur de prothèses, celle-ci en tant que produit fini dans sa forme et sa composition était destiné à combler des édentations. L’assimilation à un produit de consommation courante à essayer, à payer et à emporter, impliquait en retour une nécessaire obligation de résultat. Fig. 1
Arrêt de la Cour de Cassation du 25.02.1997 : l’acte prothétique va supposer deux démarches :
- une démarche intellectuelle dans la recherche du diagnostic qui, sur des bases anatomiques, physiologiques et bio mécaniques, va planifier un plan de traitement prothétique anticipant sur la séquence chirurgicale implantaire. C’est tout l’intérêt d’un montage esthético fonctionnel (Wax up ou Set up) qui, en préfigurant la future prothèse, va recevoir ou non l’aval du patient. Fig. 2
- une démarche manuelle qui, à l’aide d’un guide chirurgical, vise à la pose des implants, la prise ultérieure des empreintes et l’adaptation de la prothèse Fig. 3. Toutes ces opérations s’exerçant sur le vivant, s’inscrivent dans une entité biologique. En délaissant le domaine technique, pour le domaine purement médical, elles rejoignent l’obligation de moyens en souscrivant aussi aux règles de l’Art. Celles-ci sous entendent aussi qu’en praticiens avisés, nous ne devons pas céder aux exigences des patients par un travail inapproprié. Même avec un document de décharge écrite, notre responsabilité est engagée.
Arrêt de la Cour de Cassation du 23.11.2004 : il s’agit d’un revirement de la Jurisprudence car il prône l’obligation de résultat. « Le chirurgien-dentiste est, en vertu du contrat le liant à son patient, tenu de lui fournir un appareillage apte à rendre le service qu’il peut légitimement en attendre, une telle obligation incluant le conception et la confection de cet appareillage étant de résultat ».
Il y lieu pour nous praticiens de bien acter ce régime juridique qui en élargissant notre champ de contraintes, devient plus favorable à nos patients.
- Pose et adaptation de la prothèse. Ces notions s’appuient sur des paramètres non mesurables, la subjectivité dans le ressenti fonctionnel, la notion de corps étranger traduite pour certains par, une gêne, pour d’autres par de la douleur, pour finir par l’accord esthétique et psychologique final. L’ensemble de ces paramètres restant imprévisible.
Pour l’instant et pour ces raisons, pose et adaptation restent attachées à la notion de soins et sous entendent une obligation de moyens.
Arrêt de la Cour de Cassation du 09.12.2010 : en plus de l’obligation de sécurité attachée à tout dispositif médical de santé, la Cour de Cassation laisse percer une notion évolutive, celle de l’obligation de qualité. Fig. 4 – 5 – 6
L’esthétique
En dehors des qualités substantielles et intrinsèques des matériaux, méthodes et protocoles utilisés, sur quelles bases évaluer cette nouvelle notion ? La fonction ? Le confort ? L’accord psychologique ? Sans grille de lecture concrète et mesurable, vaste mission d’évaluation pour l’expert !
Obligation morale, soins attentifs, science et conscience, règles de l’Art, obligation de considération et de diligence, connaissances médicales avérées, tous paramètres confondus, ils pourraient tendre à satisfaire nos patients.
L’obligation de satisfaction
Elle vise à répondre aux attentes, besoins et motivations des patients. Si l’attente est liée à l’affectif, le besoin au concret et matériel (limité à avoir des dents), la motivation tire plus de la psychologie (être bien dans sa bouche) et cela peut être illimité. Si l’on ajoute à ces aléas une tendance à la revendication, la vulgarisation de l’information, un certain nomadisme médical et une carence relationnelle, force est de constater que l’implantologie peut tenir chaque fois d’un véritable challenge quant à la satisfaction finale de nos patients.
Les cas cliniques
CAS N°1
Patiente, 86 ans, refus du port d’une prothèse mandibulaire totale, instable et douloureuse sur crêtes plates et résorbées : affaiblissement de l’état général avec syndrome de glissement. Mise en place d’un bridge ostéo ancré sur 5 implants. Véritable « usine à gaz » sur le plan conceptuel mais large satisfaction de la patiente Fig. 7.
- Sur le plan fonctionnel par un potentiel masticatoire x 4.
- Sur le plan anatomique par une remise en tension et en norme de toute la musculature du visage signifiant un véritable lifting anatomique.
- Sur le plan psychologique garanti de sécurité, confort et confiance par la reprise d’une vie sociale relationnelle en maison de retraite.
CAS N°2
Patiente, 55 ans, grande fumeuse, colle et ventouse nuisent gravement au plaisir de la cigarette Fig. 8.
- Mise en place d’un bridge transvissé fixe sur 6 implants Fig. 9. Fixation obsessionnelle et récurrente non sur le dépôt de nicotine mais sur l’implant dans l’embrasure 12 et 11 occultée par de la céramique ! Fig. 10
Cas N°3
Patiente, 70 ans, perte du bridge sous des fractures dentaires Fig. 11.
- Refus d’une prothèse provisoire d’attente amovible, extraction des dents, implantation et mise en charge immédiate d’un bridge composite transvissé Fig. 12 – 13 – 14.
- Réponse de la patiente : 3 caisses de champagne millésimé
CAS N°4
Patient, 55 ans, fractures radiculaires sous bridge support d’une prothèse clipsée Fig. 15 – 16.
- Pose de 8 implants et bridge céramique transvissé Fig. 17 – 18.
- Acceptation par le patient et contestation du profil labio mentonnier par l’épouse Fig. 19 – 20.
- Réconciliation du couple par injections d’acide hyaluronique dans les lèvres Fig. 21.
CAS N°5
Patiente, 51 ans, perte des 4 incisives mandibulaires
- Pose de 2 implants Fig. 22 et bridge céramique. Dents jugées « trop grises » Fig. 23. Réfection de la teinte Fig. 24, dents jugées « trop longues » par la patiente !
CAS N°6
Patiente, 75 ans, ancien AVC, altération légère du discernement, pas de séquelles fonctionnelles, valide physiquement. Objet de la consultation : édentation mandibulaire, traitement maxillaire interrompu avec l’ancien praticien Fig. 25.
- Pose d’implants et mise en charge immédiate à 3 jours Fig. 26 – 27.
- À 90 jours, « douleurs » au bloc incisif : démontage de la prothèse transvissée Fig. 28.
- Radiographies, percussion, torque sur les implants : négatif.
En accord avec le mari :
- mise en place d’un champ opératoire.
- anesthésie locale.
- « manoeuvres mécaniques dilatoires sur les implants » pour dépose virtuelle de l’implant « douloureux ». Visualisation de « l’implant en cause » issu de notre tiroir Fig. 29.
- à 8 jours, cessation des douleurs fantômes.
- tromperie sur le produit implantaire, abus de faiblesse sur personne vulnérable, faux et usage de faux, supercherie chirurgicale mais succès et satisfaction psychologique.
Conclusion
En dehors des fautes ou maladresses avérées, erreurs de diagnostic, choix thérapeutique inapproprié, et compte tenu de la volatilité de nos appréciations expertales, il y aurait lieu de s’adosser sur deux jurisprudences qui pourraient alléger nos responsabilités :
- Obligation de résultat – Arrêt de la Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, n°12-12300 du 20.03.2013 : le résultat obtenu doit tendre vers un résultat raisonnable compte tenu de l’état antérieur.
- Obligation de satisfaction – Arrêt de la Cour de Cassation du 15.11.1972 : le produit doit donner satisfaction et remplir l’usage auquel il est destiné. Cette obligation est subjective, issue de critères variables (douleur, beauté, confort, acceptation psychologique) dépendants de la sensibilité et de la susceptibilité des patients.
Ces deux obligations qui couronnent la fi n de la thérapeutique implantaire vont peser à toutes les phases du traitement. Il y a lieu de les prendre en compte pour prévenir toutes contestations ou litiges et ce par :
- une appréciation psychologique préalable quant à l’état de motivation et de coopération du patient
- une information claire et appropriée visant à espérer un résultat compte tenu du contexte environnemental
- Le refus de céder aux exigences des patients par un travail inapproprié
- un dossier clinique conséquent incluant modèles de références, photos intra et extra orales qui, en figeant l’état antérieur, pourront servir d’arguments médico légaux
- la nécessité de prothèses transitoires d’attente qui permettront d’évaluer le concept prothétique et d’y apporter les corrections éventuelles pour la prothèse définitive
- la prise en compte d’une communication relationnelle spécifique dans la mesure où l’implantologie vise à rendre le nécessaire possible en remplaçant le naturel par de l’artificiel.
À ce prix et dans ces conditions, nous pourrions atténuer les contresens générateurs de futurs conflits.