Dr Philippe Pirnay : Vous êtes une passionnée de sculpture depuis dix ans et exercez aussi en cabinet. Or, la sculpture comme la chirurgie dentaire sont des arts manuels… En quoi sontils complémentaires dans votre exercice ?
Dr Chantal Goossens : L’un est très stricte car tenu par des obligations et contraintes que vous connaissez et là il n’est pas question de rêver, ni de perdre son temps. J’aime mon métier, mis à part les contraintes administratives. C’est à chaque patient un parcours thérapeutique différent, une création différente, et des liens se créent toujours avec chaque personne et chaque famille que je soigne maintenant depuis 24 ans.
L’autre est « l’antithèse », c’est-à-dire un jardin secret où tout est permis car l’imagination n’a pas de limite. Je peux même dire que la sculpture est ma drogue. Chaque création me donne un énorme plaisir personnel, mais aussi des angoisses lorsque je ne trouve pas ce que je cherche ; et c’est ça aussi qui est stimulant : la recherche, même si elle est difficile !
Dr P.P. : Vous avez enseigné la morphologie dentaire à la Faculté de chirurgie dentaire de Reims. Cette discipline a-t-elle été à l’origine de votre désir de sculpter ? D’où vient ce talent qui vous a permis de remporter de nombreux prix : celui du Sénat, du Conseil général, la Grande Médaille d’Or au MCA à Cannes ?
Dr C.G. : Non, je crois bien que je suis née avec ça dans la peau car ma mère me disait encore la dernière fois qu’à trois ans je sculptais déjà l’argile ou toute autre matière que je trouvais. Je ne sais pas rester sans rien faire de mes mains, même en vacances !
Dr. P.P. : « Cool », « Paranoïa », « Fantasme », « Le monde à l’envers », « La femme girafe » sont autant de noms que vous avez fait porter à certaines de vos oeuvres. Comment choisissez- vous les thèmes de vos sculptures ?
Dr C.G. : Certainement plus par l’humour, car j’aime beaucoup rire mais aussi faire passer certains messages.
Dr. P.P. : Vous sculptez la pierre, le bois et la résine pour les grands formats. Quel message votre oeuvre véhicule-t-elle ?
Dr C.G. : Les messages de la vie courante ou de certains vécus, mais aussi de mon imagination. La sculpture est aussi un moyen de provoquer ! Souvent, la sculpture est ressentie différemment d’une personne à l’autre. Par exemple, « Le chemin de l’espérance » retrace les enfants qui attendaient que je les consulte ou les soigne en Afrique lorsque je pars en mission chirurgicale avec le Lions Club. Regardez bien les visages de ces enfants : ils sont tous entrain de rire, ils sont taquins, pas tristes mais certainement insouciants, alors que l’ensemble général de la sculpture dérange. Certains parlent de génocide ou Tchernobyl, mais n’osent jamais prononcer ces mots ! C’est vrai, cette sculpture est tout à la fois ! Tout ce que chacun ressent !
Dr. P.P. : Vous organisez avec le Lions Club des expositions d’artistes au profit de « Enfance et Santé » pour les enfants atteints de cancers et de leucémies. Vous avez aussi effectué pour vos œuvres de nombreuses expositions. La prochaine, du 22 novembre au 2 décembre à Paris sera au Grand Palais pour le grand Salon des Artistes Français. Comment organisez-vous votre passion avec votre exercice au fauteuil ?
Dr C.G. : Pas facile, je n’ai pas assez d’une journée pour tout faire et je n’aurai de toute façon pas assez d’une vie pour réaliser tous mes projets ! Je cours partout, mais c’est passionnant et finalement j’aime ça !
Dr P.P. : Quel est votre plus agréable souvenir dans votre exercice de praticien ?
Dr. C.G. : Un patient m’a dit un jour en revenant d’une de mes expositions : « En voyant vos sculptures, je suis rassuré, je vous confie mes dents les yeux fermés et vous fais entièrement confiance. »
Dr. P.P. : Et celui d’une expérience que vous aimeriez partager avec nos confrères ?
Dr C.G. : Développer des rencontres artistiques, professionnelles ou autres mais agréables, détendues, avec le sourire et dans de bonnes intentions d’esprit. Les plaisirs de la vie ne sont pas incompatibles avec notre profession, d’autres pays savent bien le faire !
