Lors du congrès de l’ADF 2009, Gil Tirlet et Jean-Pierre Attal nous proposaient un concept thérapeutique pratique et raisonné : « le gradient thérapeutique ». L’appliquer consiste pour le praticien à répondre à la demande esthétique du patient en commençant par le traitement le moins mutilant, le plus à gauche de l’axe horizontal (Fig. 1). Ils nous proposaient d’appliquer ce principe d’économie tissulaire quel que soit l’âge du patient mais plus particulièrement pour les plus jeunes d’entre eux. (10)
Dès les années 1990, M. de Rouffignac et J. de Cooman se sont intéressés à la restauration de lésions dentaires à l’aide de facettes partielles de céramique collées sans préparation. Cette technique esthétique, restauratrice et ultra conservatrice a donc aujourd’hui près de 20 ans de recul (2).
Au travers des cas cliniques présentés nous proposons une solution thérapeutique post-traumatique chez deux jeunes patients, à l’aide de pellicules de céramique collées, encore appelées mini-facettes ou « chips » de céramique.
Cas clinique n°1
Ce jeune patient de 10 ans se présente en consultation avec ses parents préoccupés par l’aspect inesthétique de ses incisives centrales résultant d’un traumatisme survenu dans son plus jeune âge (Fig. 2). La 11 présente une hypoplasie amélaire attribuée à une impaction dans le germe de la dent définitive de la 51 temporaire non rhyzalisée. L’angle distal de la 21 est fracturé, la 32 antagoniste est légèrement égressée. La dyschromie est réduite à la zone hypoplasique sur la 11. Les deux dents sont asymptomatiques, leurs tests de vitalité sont positifs, les tests de percussion et palpation sont négatifs. L’examen radiographique ne révèle aucune lésion radiculaire ou endodontique.
Cas clinique n°2
Pierre 7 ans, s’est fracturé l’angle mésial de la 31 en jouant dans la cour de l’école. La dent a été restaurée plusieurs fois à l’aide de matériaux composites directs. La pérennité de ces restaurations n’a jamais excédé quelques mois (Fig. 3).
La dent présente une fracture amélo-dentinaire en biseau et une hyperesthésie dentinaire, mais aucun autre signe clinique ou radiographique.
Ses parents souhaitent une restauration confortable pour leur fils, esthétique et si possible plus durable.
Choix thérapeutiques
Les choix thérapeutiques qui s’offrent à nous, selon les principes dictés par le gradient thérapeutique, consistent en un collage de matériau composite direct, un collage de pellicule de céramique, ou encore la réalisation de facettes complètes en composite ou en céramique.
Compte tenu de la faible étendue des lésions et de notre proposition de thérapeutique tout aussi esthétique mais moins mutilante et dont nous avons pu montrer, photographies à l’appui, la fiabilité aux patients, nous avons rapidement écarté, avec l’accord enthousiaste de ces patients, la solution des facettes complètes. Le collage de composite direct est la solution la plus souvent retenue dans ce genre d’indication, principalement pour des raisons économiques. Pourtant, dans l’optique d’un remplacement biomimétique de la surface d’émail perdue, ces matériaux présentent des problèmes majeurs :
- leur faible module d’élasticité d’un huitième à un quart de celui de la céramique (80MPa) et de l’émail en fait des matériaux trop élastiques (5,7)
- leur importante expansion thermique, leur rétraction de prise (9)
- la faible stabilité de leur teinte et surtout du poli de surface dans le temps (3).
En revanche, parmi les matériaux dentaires modernes, il est aujourd’hui indéniable que la céramique est celui qui reproduit le mieux les caractéristiques de l’émail, en terme de propriétés de surface, de module d’élasticité, résistance à la fracture, dureté et expansion thermique (1,4,7,8).
Notre choix thérapeutique s’est donc orienté vers la réalisation de mini-facettes de céramique collées : – sur la vestibulaire de la 11 et l’angle de la 21, après une améloplastie légère de la 32 pour le cas n°1 – sur l’angle de la 31 dans le cas n°2.
Protocole opératoire
Dans les deux cas, la préparation est exclusivement limitée à la zone lésée. Les zones dyschromiées sont éliminées sur la 11 dans le cas n°1. Sur la 21 aucune préparation n’est nécessaire. Une abrasion de l’émail permet néanmoins de mettre à nu les prismes et de faciliter le collage. Pour la 11 dans le cas n°1 et la 31 du jeune Pierre, les préparations sont effectuées avec une fraise boule à grain moyen afin de démarquer la limite et de la biseauter pour faciliter l’intégration de la reconstitution et l’affinement optimal de la céramique (Fig. 4). La 21 du cas n°1 est abrasée à l’aide d’une fraise flamme à grain fin. De telles préparations ne sont possibles qu’avec des aides optiques nécessaires depuis la préparation jusqu’au polissage.
Au laboratoire, le céramiste travaille également sous aide optique. Ce type de reconstitution demande beaucoup de technicité. Les pièces sont réalisées en léger sur-contour pour permettre de travailler la céramique feldspathique sans trop de risque de fracture. La périphérie des restaurations fait appel à une céramique translucide qui prendra la teinte de la dent sousjacente. Le continuum morphologique sera obtenu lors du polissage (Fig. 5). La préhension de la pièce nécessite des sticks enduits de cire collante de type Pic n stic® (Fig. 5).
La stabilité primaire des pièces est cruciale : il ne doit y avoir qu’un seul placement possible. Les débords créés en laboratoire favorisent la stabilité primaire. Les pâtes d’essai fournies par différents systèmes de collage tel que Variolink® facilite le choix du matériau d’assemblage qui influence considérablement le rendu esthétique final pour des pièces aussi fines.
Un champ opératoire est alors mis en place. La digue unitaire est proscrite afin de conserver une vision d’ensemble lors du collage. Le protocole de collage est mis en oeuvre suivant les indications du fabricant. La mini-facette est positionnée à l’aide d’un nouveau stick. Les excès de colle sont éliminés à l’aide d’un pinceau fin enduit d’adhésif non chargé. La colle peut alors être photo-polymérisée (Fig 6). L’occlusion statique et dynamique est réglée à l’aide de fraises diamantées à grain fin. La position de bout à bout est contrôlée (Fig.7 et 8).
La séquence d’instruments Diacéram® Komet permet d’éliminer les sur-contours et excès de colle (Fig. 6 et 7). L’intégration esthétique est excellente. Les propriétés biomimétiques de ces pellicules de céramique collées nous ont permis de créer un véritable « émail artificiel ». Le cas n° 2 a deux ans de recul, le cas n°1 plus de 5 ans (Fig. 8 et 9).
Conclusion
Les mini-facettes de céramique collées sont indiquées pour restaurer une partie de tissu perdu (clivage de pans d’émail par fracture ou abfraction), pour augmenter la quantité de tissu existant afin d’améliorer l’esthétique (fermeture de diastème) ou de restaurer la fonction (pointe canine). Ce type de reconstitutions est par essence conservateur car l’épaisseur de préparation voire même la nécessité d’une préparation dépend intégralement du volume final de la reconstitution.( 8) C’est pourquoi les mini-facettes s’étendent sur l’axe du gradient thérapeutique, depuis l’absence totale de préparation jusqu’à la préparation pelliculaire (Fig. 1).
Aujourd’hui nous avons suffisamment de recul pour affirmer la fiabilité de ces structures. Leur préparation est assez simple, en revanche elles demandent une grande dextérité et une bonne collaboration entre le praticien et le laboratoire. De nos jours, les paramètres d’économie tissulaire, d’esthétique et de fonction ne sont plus antagonistes. L’utilisation de méthodes de diagnostic appropriées peut permettre au praticien d’améliorer l’esthétique et la fonction tout en préservant ou même en renforçant l’intégrité de l’organe dentaire.
Bibliographie
1. Andreasen FM et coll. Endod dent traumatol 1992. 8 : 30-35
2. De Rouffignac M, De Cooman J. Mini collages en céramique. Cahiers de Prothèse 1991 ;76 :8-16
3. MacedoG et coll, J Esthet Restor Dent 2006 ;18 : 310-311
4. MacPherson LC., Smith BG Br Dent J 1995 ;178 : 341-344
5. Magne P, Douglas WH. Dentin bonding optimization and biomimetic recovery of the crown. Int J porthodont 1999; 12: 111-121
6. MagneP, Douglas WH. J Esthet Dent 1999 ;11(1) : 5-15
7. Magne P, Hodges JS, Parodontie et dentisterie restauratrice 2000 ; 20 (5) : 440-457
8. Magne P., Magne M. Eur J Esthet Dent 2006 ;1 :10-19
9. Reeh ES, Ross GK, dent mater ; 1994 :10 : 247-252
10. Tirlet G., Attal, JP. Le gradient thérapeutique : un concept médical pour les traitements esthétiques. L’Information Dentaire Spécial Esthétique 2009 ; 91 : 2561-2568.