Les protocoles de mise en charge immédiate ont été largement étudiés et ils font part actuellement de la médecine par la preuve (evidence based medicine) (del Fabro et coll. 2006, Gallucci et coll. 2009). Le patient édenté ou en voie d’édentement à la mandibule puis au maxillaire ont été les premiers à bénéficier de ce traitement que patients et praticiens considèrent comme rapide et efficace.
Les conditions de succès de ces protocoles sont bien établies et ce dernier s’obtient aisément pour peu que l’équipe implantaire y adhère rigoureusement. A la mandibule, il s’agit de mettre en place un nombre limité d’implants allant de 4 pour certains (Malo et coll. 2012) jusqu’à 6 (Gallucci et coll. 2009). Au maxillaire, les mêmes nombres sont conservés par de nombreux praticiens, quoique pour notre part, nous préférons tendre vers 8 pour offrir un meilleur soutien à une prothèse complète. Ces implants doivent être solidarisés et rechercher une stabilité primaire > 30 Ncm qui est considérée comme suffisante pour résister aux contraintes exercées sur la prothèse (Davarpanah & Szmukler-Moncler 2007, Irinakis & Wiebe 2009). L’occlusion de la prothèse qui sert à la temporisation doit être équilibrée et soigneusement réglée.
Dans le secteur antérieur, une stabilité primaire est aisément obtenue à l’aide d’implants aux dessins divers et variées. En revanche, dans le secteur postérieur où la qualité osseuse laisse souvent à désirer, il est nécessaire de recourir à des implants aux propriétés plus spécifiques, permettant l’obtention d’une stabilité primaire même dans un environnement non optimal (Davarpanah et coll. 2012).
Leur spécificité réside dans la forme du corps de l’implant et/ou de la géométrie de ses spires. Ainsi, il a été montré que des implants de forme cylindro-coniques facilitaient l’obtention d’une stabilité primaire augmentée d’environ 30 % (Testori et coll. 2003). De même, des implants présentant un dessin de spires particulier et une condensation osseuse au niveau du corps permettaient d’obtenir une stabilité primaire équivalente dans des sites dont la qualité osseuse était normale ou de faible densité (Irinakis & Wiebe 2009), de toute façon supérieure aux 30 Ncm requis pour permettre la mise en charge immédiate.
Par ailleurs, la pérennité de la prothèse implanto-portée est liée à la capacité des implants de maintenir
le capital osseux sur le long terme (Schwartz-Arad et coll. 2005). Une perte osseuse de l’ordre du millimètre est actuellement observée sans pour autant que l’on sache avec précision l’origine de cette réaction, qui peut être physiologique, inflammatoire ou biomécanique (Oh et coll. 2002, Prasad et coll. 2011, Taratakis et coll. 2012). Une des théories attribue un rôle non négligeable à la géométrie de la connexion implantaire (Norton 1996, Chu et coll. 2012) cependant que l’influence de l’épaisseur initiale de la table osseuse vestibulaire semble avoir été sous-estimée (Spray et coll. 2000, Davarpanah et coll. 2015).
Le but de cet article est de montrer le traitement d’une mise en charge immédiate à la mandibule et au maxillaire en illustrant comment les principes influent sur le choix de la géométrie implantaire à l’intérieur d’un même système.
Cas clinique à la mandibule
Situation initiale
Un patient déjà réhabilité au maxillaire à l’aide d’une prothèse implanto-portée se présente avec une mobilité notable accompagnée de douleurs au niveau de sa prothèse dento-portée mandibulaire qui couvre les trois quart de son arcade inférieure.
L’examen clinique et radiologique montre en effet que l’artifice prothétique est en fin de vie Fig. 1 à 3.
L’état des piliers naturels ne permet pas de persister dans le cadre d’une réhabilitation sur dents naturelles. Leur extraction est indiquée et une réhabilitation implanto-portée doit être envisagée. Le patient accepte cette alternative qui intéresse le secteur 4 dans sa totalité et le secteur 3 jusqu’au niveau de la première prémolaire. Une temporisation immédiate est demandée par le patient qui ne veut demeurer dans cette situation d’édentement partiel.
Choix implantaire
Il est décidé de poser 5 implants, 2 dans le secteur postérieur et 3 dans le secteur antérieur. La question
du choix de l’implant se pose plus spécifiquement pour le secteur postérieur où la qualité osseuse est faible et dispose de sites post-extractionels. Notre choix se porte sur les implants cylindro-coniques C1 (MIS, Israël). Ils présentent des spires de largeur variable où les plus apicales sont coupantes de par leur forme acérée alors que les plus coronaires de forme plus carrées exercent une compression contre les parois
de la logette osseuse préparée à l’aide du dernier foret fourni avec l’implant. Le pas de vis des doubles spires est de 1,5 mm ce qui conduit à une pose rapide à l’aide d’un moindre nombre de tours. Le col quant à lui n’est pas lisse mais structuré par la présence de micro-spires de 0,1 mm de profondeur dont le pas réduit est de 0,3 mm.
Sa connexion interne est conique, elle s’étend sur 2 mm ce qui permet une meilleure herméticité aux bactéries que les connexions internes simples (Assenza et coll. 2012). L’étendue de la connexion induit une distribution des contraintes à l’intérieur de l’implant au lieu de les diffuser en direction du tissu osseux (Chuang et coll. 2011), ce qui contribue à un meilleur maintien du capital osseux.
Phase chirurgicale
Avant de procéder à la chirurgie, un guide chirurgical délimitant le couloir prothétique est préparé à l’aide d’un matériau thermo-formé ainsi qu’un porte-empreinte individuel destiné à la prise d’empreinte post-opératoire. Les extractions sont effectuées accompagnées d’une incision crestale. Cinq implants sont posés, 2 dans le secteur postérieur (Ø 4,2 x 13 mm ; Ø 4,2 x 11,5 mm) et 3 au niveau antérieur (Ø 3,75 x 13 mm ; Ø 3,75 x 13 mm ; Ø 4,2 x 13 mm) en position crestale Fig. 4. Une stabilité primaire de 40 Ncm a été obtenue pour tous les implants.
Des piliers intermédiaires multi-units surmontent tous les implants Fig. 5. Leur usage permet de rehausser le plan de travail prothétique et d’éviter les problèmes que la divergence des implants aurait pu introduire de par leur connexion conique étendue. Les sites sont augmentés latéralement à l’aide d’un substitut osseux faiblement résorbable avant d’être suturés.
Les capuchons de protection sont posés sur chaque pilier intermédiaire et de la sorte le patient accède à la phase prothétique.
Phase prothétique post-opératoire
Le praticien-prothésiste reçoit le patient, il dévisse les capuchons de protection et les remplace par des transferts d’empreinte destinés à une empreinte à ciel ouvert. Ces derniers sont solidarisés car une empreinte de position aux silicones sera prise. Elle sera envoyée au laboratoire de prothèse pour couler un maître-modèle avec sa fausse gencive dans le but de confectionner une prothèse temporaire renforcée dans les 24 heures. Dans le même temps opératoire, le rapport intermaxillaire est enregistré et transmis également au laboratoire pour permettre la mise en articulateur des modèles.
Le lendemain, le patient se rend chez le praticien-prothésiste Fig. 6. Il dévisse les capuchons de protection et libère les piliers multi-units. Il transvisse la prothèse temporaire et affine l’occlusion Fig. 7 à 9.
Phase prothétique de la prothèse d’usage
Au terme des 3 mois de temporisation, l’ostéointégration des implants a eu lieu ainsi que la cicatrisation des tissus mous Fig. 10. Les implants sont testés cliniquement et radiographiquement et une empreinte aux silicones est prise. Le maitre-modèle permet de confectionner la prothèse d’usage. Une clé de validation en plâtre est testée en bouche afin de vérifier la fidélité de l’empreinte. La passivité de l’armature est vérifiée en bouche avant le montage de la céramique. La prothèse d’usage est prête à la pose. Elle est transvissée Fig. 11 et une radiographie de contrôle a lieu. Elle montre les implants, les piliers multi-unit ainsi que l’absence de perte osseuse crestale Fig. 12 – 13.
Cas clinique au maxillaire
Situation initiale
Une patiente âgée de 50 ans se présente avec une parodontolyse avancée. Elle demande une réhabilitation de son sourire qui présente des dents au déchaussement gingival avancé Fig. 14. Le bilan
radiographique montre une perte généralisée du soutien osseux. Il est particulièrement avancé dans le secteur des incisives centrales et prémolaires Fig. 15. Un protocole de mise en charge immédiate est convenu avec la patiente qui désire un traitement rapide et global de son maxillaire.
La ligne du sourire de la patiente est haute et la position des implants devra être apicalisée afin de dissimuler la transition gingivale de la prothèse implanto-portée sous la lèvre supérieure.
Choix implantaire
Il est décidé de poser 9 implants dont 7 participeront à soutenir la prothèse temporaire.
Les implants dans les secteurs postérieurs seront des implants cylindro-coniques (C1, MIS) de dimensions Ø 4,2 x 10, x 11,5 et x 13 mm ainsi que Ø 5 x 8 et x 11,5 mm alors les implants dans le secteur antérieur des implants au dessin particulier seront posés. Il s’agit d’implants V3 (MIS) qui présentent 3 méplats au niveau coronaire de 0,1 à 0,7 mm par rapport à la circonférence selon le diamètre utilisé et qui s’étendent sur une hauteur de 3,7 à 5 mm selon la longueur des implants Fig. 16. L’avantage de cette configuration est d’augmenter la lamelle osseuse vestibulaire résiduelle demeurant dans l’enveloppe osseuse dans le sens horizontal Fig. 17 – 18 mais aussi vertical Fig. 16. Une influence positive sur la perte osseuse post-implantaire est attendue, en conformité avec ce qui a été décrit dans la littérature (Spray et coll. 2000). Des porte-implants dédiés à cet effet indiquent la position du méplat du col implantaire Fig. 19 – 20. La dimension choisie des implants V3 est de Ø 3,9 x 13 et Ø 4,3 x 13 mm. Des piliers intermédiaires en titane multi-unit sont vissées dans les cols implantaires afin d’élever le plan prothétique et gérer les divergences inter-implantaires Fig. 21. Ils ne seront plus dévissés. Comme il s’agit d’une zone esthétique, les sites sont augmentés systématiquement à l’aide d’un substitut osseux faiblement résorbable Fig. 22 puis sont suturés (Davarpanah et coll. 2014).
Phase prothétique post-opératoire
Une empreinte à ciel ouvert est effectuée sur la tête des piliers multi-unit et le rapport inter-maxillaire est enregistré comme précédemment décrit à la mandibule.
Elle permettra au laboratoire de prothèse de préparer une prothèse provisoire renforcée transvissée en 48 h. Les Fig. 23 – 24 montrent la situation clinique et radiologique à 2 mois. À 3 mois, la cicatrisation des tissus mous est favorable pour le bon déroulement des étapes suivantes Fig. 25.
Discussion
Le souci du maintien du capital osseux initial mobilise la communauté clinique, scientifique ainsi que celles des fabricants.
Ce n’est plus l’ostéo-intégration qui est recherchée mais bien une bio-intégration esthétique du traitement implantaire.
De nombreuses questions doivent encore trouver réponse avant d’y parvenir de manière prédictive et systématique. Sur le chemin de la progression vers ce but et au fur et à mesure de la prise de conscience
de l’importance de certains paramètres qui avaient été négligés jusque-là, de nouveaux dessins implantaires ont vu le jour.
La perspective esthétique les concentre sur le col et la connectique.
Le rôle de la connexion conique a été saisi suite à la publication de nombreux travaux étudiant l’herméticité du joint implant-pilier à la diffusion des germes bactériens (Assenza et coll. 2012). De même, on a reconnu qu’une connexion conique étendue comme celle des 2 mm du C1 et du V3 ramenait les contraintes depuis
la périphérie en direction des tissus osseux péri-implantaires vers le centre de l’implant pour une meilleure dissipation (Norton 1996, Chu et coll. 2012).
La géométrie du col, quant à elle, a subi une évolution de fond. De plus en plus de systèmes implantaires ont abandonné le dessin d’un col à parois parallèles pour s’orienter vers un dessin laissant d’avantage
de place au tissu osseux au niveau de l’émergence crestale. Après le cône inversé d’amplitude variée qui intègre automatiquement un platform-shifting (Davarpanah et coll. 2012, 2015), l’implant V3 avec ses méplats s’inscrit dans cette évolution.
Il autorise la mise en place d’un gain osseux atteignant 0,7 mm au niveau de la table vestibulaire. Spray et coll. (2000) ont pu montrer que les lyses osseuses proximales péri-implantaires étaient plus faibles lorsque la largeur de la lamelle osseuse vestibulaire approchait 1,8 mm au lieu de 1,3 mm. Cela suggère que des gains de dixièmes de millimètre à l’intérieur de l’enveloppe osseuse sont susceptibles de faire la différence en termes de maintien du capital osseux crestal.
Dans les cas de mise en charge immédiate illustrant l’usage de ces implants, le capital osseux crestal initial a été maintenu Fig. 12 – 13 – 24. Il est encore trop tôt pour apporter une réponse définitive à cette problématique, cependant le résultat à court terme semble prometteur car il a été établi que ces phénomènes de lyse osseuse prennent place très tôt lors de la mise en fonction implantaire (Oh et coll. 2002, Prasad et coll. 2011, Tatarakis et coll. 2012).
RÉFÉRENCES
1. ASSENZA B, TRIPODI D, SCARANO A, PERROTTI V, PIATTELLI A, IEZZI G, D’ERCOLE S.
Bacterial leakage in implants with different implant-abutment connections: an in vitro study. J Periodontol. 2012;83: 491-497.