La reconstruction implantaire d’un édentement partiel central/latéral unilatéral est une des situations les plus complexes à gérer du secteur antérieur maxillaire. Immédiatement visible lors du sourire, elle est asymétrique et doit donc reproduire au mieux le côté adjacent. La difficulté principale réside dans la reconstruction de la papille inter-incisive.
Elle impose également la mise en place d’une temporisation permanente difficile à concilier avec les différentes interventions chirurgicales du traitement qui s’imposent.
Le défi réside dans le choix des techniques de reconstruction, de la chronologie des différentes étapes et des solutions de temporisation.
A travers un cas clinique complexe de reconstruction du secteur antérieur maxillaire, nous allons présenter les différentes étapes qui ont permis d’obtenir l’intégration fonctionnelle et esthétique de notre restauration avec un minimum d’intervention et une durée globale de traitement réduite.
Cas clinique
Mme Claudine L. âgée de 58 ans, non fumeuse et en bon état de santé général, se présente à notre consultation pour envisager le remplacement de ses incisives maxillaires 21 et 22 parodontalement compromises et inesthétiques. La patiente souffre depuis plusieurs années d’une parodontite qui semble stabilisée. Un implant a été préalablement placé en site 12 il y a 10 ans. L’examen clinique initial met en évidence un effondrement du pic osseux inter-proximal entre 21 et 22 associé à une récession gingivale de plusieurs millimètres et disparition complète de la papille.
Etape 1
Les incisives 21 et 22 sont facilement extraites sans lever de lambeau. Les alvéoles sont curetées, irriguées à la Bétadine et un matériau de comblement allogénique pur (Biobank®) est foulé (Minichetti JC, D’Amore JC, Hong AY., 2005 ; Thompson DM, Rohrer MD, Prasad HS., 2006, Wang HL, Tsao YP., 2008).
La mise en place de ce matériau a pour objectif de limiter la résorption alvéolaire post-extractionnelle et obtenir un volume osseux suffisant pour nous permettre de stabiliser un implant lors de la prochaine étape.
Un important greffon épithélio-conjonctif est prélevé au palais de manière conventionnelle.
Après avoir desépithélialisé les bords de la gencive à l’aide d’une fraise diamantée, le greffon est adapté et minutieusement suturé à l’aide d’un monofilament (Monocryl®, 6.0) ( Landsberg CJ, Bichacho N., 94).
Une empreinte est prise dans la séance et le soir même, une petite prothèse amovible sans fausse gencive est mise en place.
Il est important qu’aucune pression ne soit exercée sur le site.
La prothèse ne doit donc s’appuyer qu’en palatin avec un palais étendu.
Les apports muqueux et osseux réalisés à cette étape vont nous permettre d’optimiser au mieux le site pour la suite du traitement et réduire ainsi la durée globale du plan de traitement.
Etape 2
Après 4 mois de cicatrisation, on dispose d’une hauteur de gencive attachée suffisante pour assurer le recouvrement de la régénération osseuse qui s’impose.
Un lambeau de pleine épaisseur est levé. Une seule incision de décharge est réalisée en distal de la 24. Le défaut osseux important est mis en évidence. Un seul implant est placé en site 21. Il est important de ménager un pontique de bridge en site 22 pour obtenir un résultat esthétique et espérer recréer une papille inter-incisive. La prothèse amovible transitoire est utilisée comme guide chirurgicale. L’implant est idéalement positionné avec un axe d’émergence cingulaire pour permettre le transvissage de la prothèse.
Une membrane résorbable réticulée large (Osseoguard 30*40mm, ZimmerBiomet®) est découpée et fixée à l’aide de pins pour venir recouvrir un matériau de comblement allogénique mélangé avec une petite quantité de Bio-Oss®. Le lambeau est libéré et replacé passivement pour recouvrir totalement la ROG (Burkhardt R, Lang NP., 2010). Un soin particulier est apporté aux sutures pour assurer une bonne fermeture. Des sutures de type matelassier horizontales limitent les tensions appliquées au lambeau et participent ainsi à diminuer le risque d’exposition (De Stavola L, Tunkel J., 2014).
Etape 3 / greffe gingivale libre
Après 4 mois de cicatrisation, on peut observer un volume osseux parfaitement reconstruit autour de l’implant comme sur le site de la 22. La muqueuse est cicatrisée. On observe que la ligne de jonction mucco-gingivale a été déplacée coronairement lors du recouvrement de la membrane. Il est indispensable de la repositionner apicalement pour retrouver une hauteur de gencive attachée satisfaisante.
Un lambeau d’épaisseur partielle est réalisé en préservant les papilles présentes en distal de 11 et en mésial de 23. Un greffon épithélio-conjonctif est prélevé au palais et desépithélialisé à l’aide d’une lame de bistouri neuve (Zucchelli G, et coll. 2015 ;
Burkhardt R, Hämmerle CH, Lang NP, coll., 2015). Le greffon est adapté et intimement suturé sur le site receveur à l’aide d’un fil résorbable fin (Monocryl®6.0) (Urban I., 2017). La prothèse amovible transitoire est remise en place.
Etape 4 / Désenfouissement et mise en forme des tissus mous
Après deux mois de cicatrisation, le greffon s’est bien vascularisé et intégré au parodonte des dents adjacentes. On dispose d’un volume de gencive attaché satisfaisant et la ligne de jonction muco-gingivale est correctement positionnée.
Une petite operculisation de la muqueuse au-dessus de la vis de couverture de l’implant permet un désenfouissement minimalement invasif. La vis de couverture est retirée et une empreinte réalisée dans la séance. Un bridge provisoire est confectionné au laboratoire de prothèse.
Il est inséré quelques jours après. En supprimant la prothèse amovible transitoire, la patiente est satisfaite et bénéficie d’une temporisation confortable ce qui va nous laisser le temps de créer les profils d’émergence.
Par apports successifs de matériau composite au niveau du pontique de bridge ainsi qu’au collet de de la couronne 21, la muqueuse est déplacée et mise en forme jusqu’à obtenir une intégration esthétique en référence au côté adjacent (Vela X, Mèndez V, Rodriguez X, Segalà M, Jaime AG., 2012).
Après plusieurs mois de cicatrisation, l’aspect fonctionnel et esthétique de la restauration implantaire est validé. Les différents contrôles radiologiques confirment une bonne stabilité de l’os régénéré. La prothèse définitive peut-être réalisée.
Etape 5 / bridge définitif
Après dévissage du bridge provisoire, une empreinte est réalisée et la relation intermaxillaire enregistrée. Un arc facial de Kois (Panadent®) va nous permettre de parfaitement positionner le modèle maxillaire par rapport à la ligne bi-pupillaire.
Le bridge est réalisé en céramique zircone. Une ti-base de hauteur 3 mm est choisie pour déporter le joint entre la céramique et le pilier du col de l’implant. Un soin particulier est apporté à la confection de la portion transgingivale de la couronne transvissée et du pontique.
La prothèse va venir s’insérer pour soutenir sans compression excessive la muqueuse préalablement mise en forme.
Le bridge est transvissé dans l’implant par le cingulum. Un torque de 30 Newton est appliqué à la vis selon les préconisations du fabriquant. Le trou d’accès à la vis est obturé à l’aide d’une bandelette de téflon puis d’un matériau composite.
L’occlusion est ajustée pour assurer un bon guidage antérieur.
Etape 6 / Contrôle
Un an après la pose du bridge définitif, la patiente est revue en contrôle. La muqueuse est parfaitement stable et idéalement soutenue par la prothèse. La radiographie rétro-alvéolaire confirme également une bonne stabilité de l’os régénéré.
Si l’on compare avec la situation initiale, on peut objectiver l’importance de la reconstruction osseuse et gingivale qui s’harmonise avec l’environnement collatéral.
Discussion
Lors l’élaboration du plan de traitement de ce cas complexe, nous avons pris en compte les demandes de la patiente visant à limiter l’invasivité de notre traitement et à réduire au maximum la durée globale du traitement et particulièrement celle du port de la prothèse amovible transitoire. Dans cette perspective, plusieurs choix initiaux se sont révélés décisifs dans l’obtention du résultat final.
L’apport de tissus mous au stade des extractions a permis de corriger la perte importante de gencive initiale induite par la maladie parodontale, sans alourdir la durée du plan de traitement.
De nombreuses techniques chirurgicales ont été proposées pour fermer les alvéoles (greffon conjonctif libre ou pédiculé, greffe épithélio-conjonctive libre, lambeau déplacé en rotation ou coronairement (Degorce T.2003, 2017). Le choix d’un large greffon épithélio-conjonctif pour fermer les alvéoles a permis d’augmenter la hauteur mais aussi l’épaisseur des tissus mous sans altérer la morphologie initiale du site, afin de préparer au mieux le recouvrement de la régénération osseuse par les tissus mous (Landsberg CJ, Bichacho N., 94).
Il a été largement démontré dans la littérature et par des études cliniques (Ackermann KL., 2009) et histologiques (Fickl S, Zuhr O, Wachtel H, Bolz W, Hürzeler M., 2008 a, 2008 b), l’intérêt de combler les alvéoles d’extraction pour limiter l’alvéolyse postextractionelle.
L’utilisation d’un matériau de comblement particulaire allogénique lors du comblement alvéolaire et de la régénération osseuse guidée nous a permis d’obtenir un volume osseux conséquent avec des temps de cicatrisation réduits au regard de ceux obtenus avec les xénogreffes (Minichetti JC, D’Amore JC, Hong AY., 2005 ; Thompson DM, Rohrer MD, Prasad HS., 2006, Wang HL, Tsao YP., 2008). Il n’a pas été nécessaire d’ouvrir un deuxième site pour prélever de l’os autogène, ni de retirer du matériel de régénération comme des vis d’ostéosynthèse, une membrane non-résorbable ou une armature en titane. L’implant a pu être placé simultanément à la régénération osseuse guidée ce qui a permis de réduire le temps global de cicatrisation et éviter d’exposer l’os régénéré lors d’une réentrée.
La position de l’implant avec un axe d’émergence cingulaire permet le transvissage et laisse un volume osseux plus important en vestibulaire du col de l’implant. Lorsque l’axe de l’implant est vestibulé, la littérature montre un risque de récession plus important (Zuyderveld EG, den Hartog L, Vissink A, Raghoebar GM, Meijer HJ. 2014).
Un des problèmes importants rencontré avec toutes les techniques de reconstruction osseuse est le déplacement coronaire de la ligne de jonction muco-gingivale. Il est donc indispensable de corriger l’absence de muqueuse kératinisée vestibulaire (Degorce T.2003, 2017).
Pour réduire la durée du traitement, il n’est pas nécessaire d’attendre la fin de la période de cicatrisation de l’os régénéré (6 mois) pour intervenir, dès lors que ce dernier n’est pas exposé. Après 4 mois de cicatrisation et au préalable du désenfouissement de l’implant, un lambeau en épaisseur partiel permet d’intégrer un greffon conjonctif en vestibulaire du site (Urban I., 2017).
Une fois le bridge provisoire fixe en place, le patient déjà satisfait du résultat et il n’est plus dans une exigence de rapidité de soins. Il est alors possible de modeler progressivement la muqueuse pour essayer de créer des profils d’émergence idéaux par apports successifs de matériaux dans la portion trans-gingivale du bridge (Vela X, Mèndez V, Rodriguez X, Segalà M, Jaime AG., 12).
Après cicatrisation, la dépose du bridge provisoire permet d’objectiver les profils d’émergence et une épaisseur supérieure à 5 mm de muqueuse kératinisée obtenue après deux greffes successives. De nombreuses études montrent l’importance d’une muqueuse kératinisée épaisse et haute autour des implants pour prévenir la formation de récessions et le développement d’une péri-implantite chez cette patiente susceptible à la maladie parodontale (Rompen E, Raepsaet N, Domken O, Touati B, Van Dooren E., 2007, Zuhr O, Hürzeler M, 2013, Suarez-Lopez del Arno et coll., 2016).
Remerciements à Mr jacky Pennard – Laboratoire Ceram Fixe pour la qualité des travaux de prothèse réalisés.
Conclusion
La gestion de ce cas clinique complexe met en évidence l’importance d’une bonne gestion des tissus mous avec deux apports suivis d’une mise en forme par la prothèse transitoire, l’utilisation d’os allogénique sous forme particulaire pour éviter un prélèvement autogène et un excellent timing pour réduire au maximum la durée du traitement.
Seulement trois interventions chirurgicales et 10 mois de traitement jusqu’à la pose d’un bridge provisoire fixe, confortable et esthétique, ont été nécessaires.
Au final la prothèse est bien intégrée dans un environnement muqueux esthétique, épais et bien kératinisé qui devrait garantir la stabilité du résultat dans le temps.
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Remerciements au Dr Patrice Grange pour son aimable collaboration sur toute la coordination audio & vidéo de cet article.