La première molaire permanente (PMP) est une dent « pilier » de l’appareil manducateur. Malgré les multiples démarches de santé publique de prévention et d’hygiène bucco-dentaire, comme la campagne « MT Dents », à l’âge de 6 ans, au moment de l’émergence des PMP, 37 % des enfants présentent une cariosusceptibilité [1].
La PMP est une dent à risque carieux du fait de :
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la situation postérieure sur l’arcade
À l’inverse des incisives, l’environnement familial méconnaît cette molaire, car elle est difficilement observable sans un bon éclairage et un miroir buccal
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la précocité d’émergence
Cette molaire permanente est souvent négligée, car elle n’est pas précédée par la chute d’une dent temporaire. Précoce, asymptomatique, lente dans son émergence, elle conserve longtemps un capuchon muqueux distal, source de rétention alimentaire
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l’immaturité de l’émail
Lors de son émergence, la structure amélaire est encore fragile, aggravant les risques de lésions carieuses
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la morphologie occlusale complexe
La surface coronaire est importante. La face occlusale se caractérise par des sillons nombreux et souvent anfractueux. De ce fait, le nettoyage de cette dent, sensible à la plaque bactérienne, nécessite une attention particulière
La PMP est une dent « sensible » aux anomalies de structure
L’Hypominéralisation Incisivo-Molaire (MIH), dont la prévalence est élevée en Europe (entre 3 et 20 %) est une dysplasie typique de la PMP [7]. Elle présente la caractéristique d’une destruction plus ou moins sévère, variable selon les quadrants chez un même individu. Au même titre que la pathologie carieuse, les MIH posent le problème d’une stratégie thérapeutique globale [3].
Cette PMP « compromise » pose une double problématique :
- en denture mixte, la restauration coronaire est délicate dans les cas de grande perte de substance, de par la faible hauteur de couronne, et la fragilité des parois résiduelles dans un contexte de forces occlusales importantes
- le pronostic à long terme de la thérapeutique pulpaire d’une dent de 6 ans (apexogénèse ou apexification) est incertain : l’immaturité radiculaire (diamètre canalaire important, large delta apical) pose la question de la finesse des parois, et du déficit de longueur radiculaire
Décision thérapeutique
Quelle stratégie adopter face à une dent de 6 ans compromise : conserver, temporiser ou extraire ? Chaque décision est à moduler en fonction du contexte bucco-dentaire, de l’environnement familial et de la situation socio-économique. Ce choix nécessite une concertation pluridisciplinaire [2].
Restaurer
PMP avec pulpe vivante
La conservation et la restauration d’une PMP sont indiquées, lorsqu’une reconstitution coronaire fiable et pérenne est possible.
PMP présentant une nécrose
Plusieurs critères sont alors à prendre en compte :
- le degré d’immaturité radiculaire (gestion délicate de l’apexification sur une molaire)
- la présence d’une infection périodontale
- la coopération de l’enfant, et la compréhension des parents vis-à-vis de la thérapeutique engagée
Temporiser
Parfois, la difficulté à trouver d’emblée la thérapeutique « idéale » nous conduit à temporiser, dans la mesure où une solution transitoire stable peut être proposée [6] :
- l’importance de la présence des troisièmes molaires peut nous autoriser à différer la décision d’extraction chez un enfant très jeune, lorsque les germes ne sont pas encore visibles sur le cliché panoramique
- à la demande de l’orthodontiste, afin de ne pas perturber sa logique de traitement
- jusqu’à la fin de croissance, avant réhabilitation prothétique ou implantaire
- En attente de l’amélioration de l’hygiène orale
Extraire
L’extraction des PMP n’est pas un choix évident, dans la mesure où « la dent de 6 ans » préfigure les rapports maxillo-mandibulaires. L’orthodontiste est une aide précieuse à la décision. Il faut tenir compte des critères suivants.
La perte de substance, l’état pulpaire
La gravité de la pathologie infectieuse installée (image apicale étendue, atteinte de la furcation) prime devant tout autre critère (équilibre des arcades, croissance maxillo-faciale). Est-il raisonnable de pratiquer un « acharnement thérapeutique » au pronostic réservé, dans un contexte parodontal défavorable (Fig. 1) ?
La susceptibilité carieuse
Témoin de la coopération de l’enfant et des parents, elle doit inciter à un certain pragmatisme lorsqu’un changement de comportement s’avère illusoire.
Le stade d’édification radiculaire de la seconde molaire permanente et la présence du germe de la troisième molaire
Lorsque le germe de la seconde molaire est au stade 7 de Nolla (édification du premier tiers radiculaire), ce qui correspond environ à 8-10 ans d’âge dentaire :
- au maxillaire, le germe présente à l’origine un axe à orientation distale. Il y a migration mésiale et redressement pendant le trajet d’éruption intra-osseux
- à la mandibule, l’axe initial du germe est légèrement mésio-versé. Il y a translation du germe vers la zone occupée primitivement par la PMP, mais avec une légère version
- la présence des germes des troisièmes molaires est également à prendre en compte, sans pour autant être un critère absolu
Lorsque ces deux critères sont réunis, l’extraction d’une ou plusieurs PMP induit une mise en place naturelle des deuxième et troisième molaires en lieu et place des premières et deuxième molaires. C’est le compromis idéal. Toutefois, un traitement multi-attache est souvent requis pour corriger les axes et les rotations [4] (Fig. 2).
Une extraction plus tardive de la PMP entraine une bascule spontanée de la deuxième molaire permanente : une prise en charge orthodontique s’avère nécessaire, qu’il y ait ou non préservation de l’espace. La mésialisation orthodontique de la deuxième molaire est alors plus difficile, en particulier à la mandibule (os mandibulaire compact, translation dentaire de grande amplitude) (Fig. 3).
Le nombre de PMP atteintes
La classe d’Angle et la typologie du patient
Le praticien doit sensibiliser les parents à la nécessité d’un traitement ODF pour équilibrer au mieux croissance faciale et occlusion, et que l’extraction des molaires génère et complique le traitement orthodontique [5].
La coopération
Un enfant qui refuse les soins dentaires n’est plus éligible pour un traitement. Le manque de motivation pour l’hygiène bucco-dentaire et l’absence de changement de comportement alimentaire contre-indiquent l’orthodontie, qui nécessite une motivation au long cours.
Conclusion
Il n’existe pas de protocole universel pour répondre à notre question. Chaque cas est unique mais en revanche, les critères de décision sont multiples. Et lorsqu’il s’agit d’extraire, le duo « dentiste/orthodontiste » est indispensable.
Bibliographie
1. Bourgeois D, Roland E, Desfontaine J. Caries prevalence 1987-1998 in 12-year-olds in France. Int Dent J. Août 2004 ; 54 (4) : 193-200.
2. Gill DS, Lee RT, Tredwin CJ. Treatment planning for the loss of first permanent molars. Dent Update. Aug. 2001 ; 28(6) : 304 308.
3. Jälevik B, Klingberg GA. Dental treatment, dental fear and behaviour management problems in children with severe enamel hypomineralization of their permanent first molars. Int J Paediatr Dent. Janv 2002 ; 12(1) : 24 32.
4. Jälevik B, Möller M. Evaluation of spontaneous space closure and development of permanent dentition after extraction of hypomineralized permanent first molars. Int J Paediatr Dent. Sept 2007 ; 17(5) : 328 335.
5. Ong DC-V, Bleakley JE. Compromised first permanent molars : an orthodontic perspective. Aust Dent J. March 2010 ; 55(1) : 2 14 ; quiz 105.
6. Sayagh M, Maniere-Ezvan A, Vernet C, Muller-Bolla M. Therapeutic decisions in the presence of decayed permanent first molars in young subjects : a descriptive inquiry. Int Orthod. Sept 2012 ; 10(3) : 318 336.
7. Weerheijm KL. Molar-Incisor-Hypomineralisation : site specific or a world wide problem ? Eur Arch Paediatr Dent 2008 ; 9 : 165.