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Pouce, tétine : que dire ? que faire ?

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Dans les années 80, les enfants suçaient plus fréquemment leur pouce qu’une tétine. Longtemps décriée dans le monde médical pour son côté peu hygiénique et abêtissant, la sucette était surtout répandue dans les milieux sociaux défavorisés. Redoutant que la succion prolongée du doigt s’accompagne d’une déformation des arcades dentaires et d’une altération de l’occlusion, l’utilisation de la tétine a alors été encouragée au motif qu’il était plus facile de se débarrasser de la tétine que du doigt [1].

L’analyse récente de la littérature démontre l’évolution progressive d’une succion prépondérante des doigts dans les années 80 à celle prépondérante de la tétine dans les années 2000 [2]. Initialement accusée de nuire à la bonne instauration de l’allaitement maternel, la tétine a été mise hors de cause dans une récente revue systématique de la littérature, pour peu que son introduction soit proposée après s’être assuré du bon démarrage de l’allaitement, au bout d’un mois [3].

Mieux encore, il a été avancé un effet protecteur de la tétine vis à vis de la mort subite du nourrisson [4]. La rédemption de la tétine était complète…

Notre étude

Pour repréciser la prévalence actuelle et le passé de succion non nutritive (SNN) chez les enfants de 4 ans (puisque les auteurs s’accordent à dire qu’il faudrait que cette habitude ait cessé avant 4 ans), pour réévaluer les facteurs de risque et relier habitudes de SNN et déformations des maxillaires, nous avons conduit une étude épidémiologique descriptive exhaustive dans les moyennes sections des écoles maternelles de la ville de Cagnes-sur-mer (5ème ville des Alpes Maritimes comprenant 9 écoles maternelles dans lesquelles sont inscrits 458 enfants en moyenne section).

Notre questionnaire, distribué à tous les parents, reprenait les facteurs de risque évoqués dans la littérature et des photos décrivant la situation intrabuccale.

N’ont répondu que les parents volontaires, ce qui amène à considérer nos résultats avec prudence puisqu’on peut imaginer que, comme dans toutes les études basées sur le volontariat, il y a un biais lié aux non réponses : ce sont les parents les plus motivés (sans doute les plus concernés) qui ont répondu. Nous avons recueilli 266 questionnaires, soit un taux de réponse de 58,1 %.

Notre échantillon se composait de 48 % de filles et 52 % de garçons. Plus de 8 enfants sur 10 ont développé une habitude de SNN. Parmi eux, 80 % ont choisi la tétine, 13 % le doigt et 7 % le « doudou » (peluche ou linge). La prévalence totale, de près de 81 %, reste très élevée et se rapproche de celle de 84 %, retrouvée dans un essai canadien [5].

La succion digitale était plus fréquente chez les filles (p=0,001), et serait encouragée par le fait que les papas soient trop occupés par une activité professionnelle intense (p=0,004)…

La recherche des facteurs de risque de la succion d’une tétine confirme le rôle protecteur de l’allaitement maternel exclusif (p<0,0001), mais aussi l’importance de la disponibilité du papa (p=0,012) et du mode de garde (la crèche collective favoriserait le recours à la sucette, p=0,002).

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Fig. 1 : Leila, 4 ans, garde sa tétine pour parler et pour sourire ! Fig. 2 : Leila montre ses dents… et sa béance antérieure

A l’âge de 4 ans, près de 80 % des enfants concernés suçaient toujours leur doigt, alors qu’environ la moitié des suceurs de tétine ou de doudous ont abandonné leur mauvaise habitude (p=0,007). La tétine souvent présentée comme facile à abandonner ne l’est donc pas tant que ça puisque près d’un enfant sur deux continuait à sucer la tétine à 4 ans (Fig. 1 et 2).

Les enfants ayant eu des habitudes de succion présentaient plus de déformations que les autres L’interposition d’un doudou serait moins délétère que la succion du doigt ou de la tétine (p<0,0001).

Ceux qui continuaient à sucer une tétine à 4 ans, présentaient plus fréquemment des déformations buccodentaires (p<0,02).

Les anomalies les plus fréquentes sont les béances antérieures et les déformations induites par la tétine sont plus complexes et plus difficiles à traiter : près de 20 % des enfants suceurs de tétines présentent des déformations intéressant à la fois le sens vertical et le sens transversal.

Ces dernières années, de nombreux travaux ont étudié les effets sur les arcades dentaires des différents types de SNN « prolongées », pouce ou tétine.

  • Pour chaque année de persistance de SNN au-delà de 12 mois, le risque de développer une béance est multiplié par 3,38 [6].
  • Les malocclusions apparaissent associées à des succions de tétine de plus courte durée que les succions digitales ; il y a une haute prévalence d’occlusion postérieure inversée chez l’enfant suceur de tétine au-delà de l’âge de 2 ans [7].
  • Une étude portant sur des enfants de 5 ans montre que, si la béance antérieure ne peut pas être associée à un mode de succion plus qu’à un autre, il y a significativement plus d’occlusions inversées postérieures chez les enfants avec tétine, et plus de surplombs incisifs augmentés chez les suceurs de pouce [8].
  • L’analyse d’un groupe d’enfants en denture mixte suivi depuis la naissance jusque 8 ans, montre l’association possible entre SNN sur une période supérieure à 3 ans et occlusion postérieure inversée. De plus, les enfants encore suceurs de tétine, ou l’ayant été entre 24 et 47 mois sont confrontés à des béances antérieures et des Classe II molaires, alors que les succions digitales, lorsqu’elles durent plus de 60 mois, provoquent plus volontiers des béances [9].
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Fig. 3 : Mekka, 11 ans, a jeté sa tétine juste après la consultation ! Elle l’avait en bouche tout le temps, sauf à l’école Fig. 4 : Mekka présente une béance très importante avec une occlusion inversée unilatérale gauche

Enfin, si le surplomb incisif augmenté et la béance antérieure pourront se corriger spontanément ou aisément, l’occlusion postérieure inversée, elle, ne peut se corriger spontanément (Fig. 3 et 4).

Pour conclure, les habitudes de SNN pourraient être prévenues par un allaitement maternel exclusif, au moins pendant les premières semaines. Nous avons également mis en évidence l’importance du rôle du papa auprès de leurs jeunes enfants à travers les habitudes de SNN.

De plus, près d’un suceur de tétine sur deux poursuit cette mauvaise habitude à l’âge de 4 ans, âge auquel les déformations sont de plus en plus importantes et difficiles à corriger.

Il semble déraisonnable de parler de sucette « physiologique » et encore plus de tétine « orthodontique » puisque, lorsqu’elle est prolongée, cette habitude de SNN est tout aussi délétère que la succion digitale. La question de l’indispensable sevrage mérite donc d’être abordée. Que le besoin de succion soit satisfait par le pouce, les doigts ou la tétine, peu importe. L’habitude de SNN doit être impérativement limitée, la tétine doit être abandonnée avant l’âge de 2 ans ! Dès lors, c’est tout le comportement de l’enfant qui en sera amélioré : il retrouve toute sa liberté de parler et de jouer…

Bibliographie

1. Cerny R. Thumb and finger sucking. Aust Dent J. 1981; 26(3):167-71.
2. Dimberg L, Bondemark L, Söderfeldt B, Lennartsson B. Prevalence of malocclusion traits and sucking habits among 3-year-old children. Swed Dent J. 2010; 34(1):35-42.
3. O’Connor NR, Tanabe KO, Siadaty MS, Hauck FR. Pacifiers and breastfeeding: a systematic review. Arch Pediatr Adolesc Med. 2009; 163(4):378-82.
4. Hauck FR, Omojokun OO, Siadaty MS. Do pacifiers reduce the risk of sudden infant death syndrome? A meta-analysis. Pediatrics. 2005; 116(5):716-23.
5. Kramer MS, Barr RG, Dagenais S, Yang H, Jones P, Ciofani L, Jané F. Pacifier use, early weaning, and cry/fuss behavior: a randomized controlled trial. JAMA. 2001 18; 286(3):322-6.
6. Romero CC, Scavone H Jr, Garib DG, Cotrim-Ferreira FA, Ferreira RI Beastfeeding and non-nutritive sucking patterns related to the prévalence of anterior open bite in primary dentition. J Appl Oral Science 2011; 19(2):161-8.
7. Scavione-Junior H, Ferreira RI, Mendes TE, Ferreira FV Prevalence of posterior crossbite among pacifier users : a study in the deciduous dentition. Braz Oral Res. 2007; 21(2):153-8.
8. Luzzi V, Guaragna M, Ierardo G, Saccuci M, Consoli G, Vestri AR, Polimeni A Malocclusions and non-nutritive sucking habits: a preliminary study. Prog Orthod. 2011; 12(2):114-8.
9. Warren JJ, Slayton RL, Bishara SE, Levy SM, Yonezu T, Kanellis MJ Effects of non-nutritive sucking habits on occlusal characteristics in the mixed dentition Pediatr Dent J.2005; 27(6):445-50.

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A propos de l'auteur

Dr. Laurence LUPI-PÉGURIER

Prévention - Santé Publique
UFR d’Odontologie Université de Nice Sophia Antipolis
Pôle Odontologie, Hôpital St Roch, CHU de Nice

Dr. Olivia RITLENG

Orthopédie Dento-Faciale
UFR d’Odontologie Université de Nice Sophia Antipolis
Pôle Odontologie, Hôpital St Roch, CHU de Nice


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Orthopédie Dento-Faciale
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Dr. Armelle MANIERE-EZVAN

Orthopédie Dento-Faciale
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