Les troubles musculo squelettiques (TMS) regroupent un large éventail de douleurs associées à des pertes de mobilité du rachis et des membres. L’évolution des TMS est insidieuse. Les premiers symptômes sont occasionnels, ils évoluent jusqu’à devenir quotidiens et handicapants dans les activités professionnelles et personnelles. Il existe une grande variété de structures pouvant être atteintes : ligaments, tendons, muscles, nerfs, capsules articulaires, bourses séreuses et vaisseaux.
Les TMS sont la première cause de maladie professionnelle indemnisée. Dans le régime général, ils représentent 70 % des limitations au travail. Le secteur dentaire est particulièrement exposé à cette problématique. De nombreuses études ont démontré les risques élevés encourus par les chirurgiens- dentistes et leurs assistantes. La CARCDSF indique que 28 % des cas d’invalidité et d’inaptitude au travail sont liés à des problèmes ostéoarticulaires et plusieurs études menées en France et à l’étranger indiquent que 65 à 85 % des professionnels (dentistes, hygiénistes, assistantes) seraient touchés par les TMS durant leur carrière.
S’il existe des facteurs individuels de survenue des TMS (âge, poids, traumatisme physique, pathologie rhumatismale, trouble hormonal), l’influence des facteurs professionnels est prépondérante (port de charges, gestes répétitifs, mauvaises postures). Pour comprendre la survenue des TMS, il est nécessaire de considérer ces troubles comme plurifactoriels. Bien qu’un antécédent traumatique tel qu’une chute ou un accident peut prédisposer une articulation ou une zone du corps à être plus fragilisée, c’est en réalité le quotidien qui influence la survenue ou non de ces troubles. Les habitudes de vie, la sédentarité, l’alimentation vont amener le corps à être plus ou moins résistant face aux contraintes qu’on lui impose. Le métier exercé peut représenter des efforts non négligeables surtout quand celui-ci est pratiqué dans des conditions inappropriées avec des mauvaises postures ou des gestes répétitifs inadaptés et néfastes pour le corps. Ainsi, le terrain propice à la survenue des TMS est l’association d’un corps rendu fragile avec des habitudes quotidiennes nocives.
Il existe de multiples zones du corps pouvant être touchées par les TMS. Dans le milieu dentaire, le rachis, ainsi que les membres supérieurs (épaules, coudes et poignets) sont les plus exposés.
“ 65 à 85 % des professionnels (dentistes, hygiénistes, assistantes dentaire) seraient touchés par les TMS durant leur carrière ”
Pour comprendre les dysfonctionnements biomécaniques pouvant survenir dans le corps quand on exerce un métier dit sédentaire comme dans le milieu dentaire, nous pouvons utiliser l’image du voilier. Lorsque nous maintenons des postures statiques, le corps se comporte de la même façon qu’un voilier lequel pour garder son mât droit va compter sur sa coque qui ne doit pas tanguer et sur ses voiles dont les tensions doivent être équilibrées. Dans le corps, pour que la colonne vertébrale reste droite, c’est le bassin qui va jouer le rôle de la coque, les muscles antérieurs et postérieurs au rachis représentant les voiles. Les muscles qui vont nous intéresser sont donc ceux responsables de la posture, en d’autres termes les muscles profonds, proches du rachis et des articulations.
Dans le milieu dentaire, les postures de travail vont favoriser l’utilisation des chaines musculaires antérieures au détriment des chaines postérieures. Cette asymétrie va favoriser les déséquilibres de tensions sur le rachis et sur les membres sources de maux.
Le rachis lombaire
La posture assise prolongée peut provoquer l’apparition de trois types de lésion lombaires que sont les lumbagos, les hernies discales et les sciatiques.
LE LUMBAGO: ce trouble très fréquent se caractérise par une douleur en barre horizontale dans le bas du dos lors des mouvements de flexion du tronc. Typiquement lié à une hyper sollicitation musculaire, le muscle psoas, reliant le rachis lombaire au membre inférieur, est sollicité dans les mouvements de flexion de hanche. En posture assise prolongée, ce muscle peut se léser et se contracturer entrainant une tension dans la colonne vertébrale. En suivant l’image du voilier, le muscle psoas qui est un muscle antérieur va obliger les muscles postérieurs du dos tels que les muscles paravertébraux à se contracter pour équilibrer les tensions musculaires sur le rachis. Ces muscles vont ainsi s’inflammer et entrainer la douleur.
L’HERNIE DISCALE : deux vertèbres s’articulent entre elles par trois articulations : une antérieure (le disque lombaire) et deux postérieures (les articulations inter-apophysaires postérieures AIAP). La position dos vouté favorise l’appui sur le disque lombaire. Pour imager son fonctionnement, nous pouvons le comparer à un ballon de baudruche sur lequel nous appliquons une pression verticale. Si cette pression est bien équilibrée, le disque va s’aplatir uniformément. Si la pression se fait de manière asymétrique, tel un ballon de baudruche, le disque va s’aplatir d’un côté et se gonfler de l’autre pour sortir de son logement créant un conflit avec les racines nerveuses émergeant du rachis lombaire. Une telle situation peut survenir par exemple si un praticien ou une assistante se positionnant dos vouté se fait surprendre par un geste brusque d’un patient sur le fauteuil déstabilisant ainsi légèrement l’appui sur le disque.
Pour se prémunir des hernies discales, il est recommandé de favoriser l’appui sur les AIAP par une bonne cambrure lombaire afin de diminuer l’appui sur le disque. Cette posture est d’ailleurs appliquée dans le sport de haut niveau comme par exemple l’aviron ou l’haltérophilie, où les athlètes favorisent une posture lombaire cambrée pour verrouiller le dos et éviter les blessures.
LA SCIATALGIE : cette douleur se caractérise par une atteinte du nerf sciatique créant des irradiations ou des paresthésies face postérieure de la jambe et le long du mollet. Son proche cousin la cruralgie, douleur de la face antérieure présente un mode d’apparition semblable.
Une mauvaise posture peut favoriser l’apparition de ces symptômes. Au fil de la journée, en position assise, nous pouvons avoir le bassin qui glisse sur le siège. On se retrouve rapidement assis sur le sacrum et non plus sur les ischions. Le poids du corps en appui de façon prolongée sur cette zone va favoriser la mise en tension de certains muscles profond du bassin comme le muscle piriforme pouvant entrer en conflit avec le nerf sciatique avoisinant.
Le rachis cervical
Souvent d’origine musculaire, les cervicalgies dites communes engendrent initialement des limitations rotatoires du cou. Négligées lors des premiers symptômes, elles peuvent évoluer en torticolis chronique avec une incapacité totale de mouvement. Dans certains cas, les muscles incriminés entrent en conflit avec le réseau nerveux du plexus brachial et entrainent des névralgies cervico brachiales. Ces douleurs apparaissent suite à une asymétrie de tension dans les muscles du cou. Les muscles antérieurs étant trop sollicités, une tentative d’équilibration par l’intermédiaire des muscles postérieurs va se mettre en place. Les symptômes vont se faire ressentir sur les muscles trapèzes en arrière du cou car moins résistants sur le long terme. Dans le milieu dentaire, ces cervicalgies sont liées aux positions de tête en flexion voir pire en inclinaison et rotation. Ces mauvaises habitudes pour les cervicales, souvent utilisées pour mieux voir en bouche sont très néfastes et peuvent entrainer des effets irréversibles sur le long terme. Il est cependant possible de trouver de nouveaux réflexes posturaux pour s’en prémunir.
Les membres supérieurs
Que ce soit les épaules, les coudes ou les poignets, ces articulations sont particulièrement sollicitées dans la pratique dentaire. Les épaules sont des articulations très instables demandant un fort travail musculaire des muscles de la coiffe des rotateurs pour permettre le maintien de la posture tout au long de la journée.
Une mauvaise position d’épaule, c’est-à-dire les coudes décollés du corps, soit en élévation latérale soit en élévation antérieure, entraine une hyper sollicitation des muscles de la coiffe des rotateurs. Il en résulte une asymétrie de tension de ces muscles source de pathologies évolutives tel que les tendinites, les calcifications, les bursites voire les ruptures de coiffe. Particulièrement handicapantes et sources d’incapacité de travail, ces douleurs peuvent être évitées avec de bonnes postures de travail.
Les coudes et les poignets ont en commun le partage des insertions tendineuses des muscles qui font fonctionner les doigts. Ces muscles très sollicités lors des efforts de serrage et de travail en bouche peuvent entrainer des pathologies d’insertion telles que les tendinites au niveau des coudes ou des syndromes du canal carpien. Ces symptômes rendent impossible tous les travaux de force et de précision avec les mains.
L’arthrose
Une articulation fortement sollicitée va tendre à augmenter ses surfaces de contacts pour mieux en répartir les pressions. Appelé « bec de perroquet » ou « ostéophyte » sur les imageries rachidiennes, ce processus dégénératif qu’on nomme « arthrose » et pouvant se produire sur différentes zones du corps est souvent retrouvé chez les professionnels du dentaire sur le rachis ainsi qu’au niveau des épaules. Ce stade ultime des TMS est la suite logique de contraintes inappropriées appliquées pendant trop d’années sur une articulation.