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Mon rendez-vous avec le Docteur Xavier Riaud

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Dr P. Pirnay : Votre dernier ouvrage aborde un sujet original et poignant : l’engagement des chirurgiens-dentistes sous l’Allemagne hitlérienne. Parfaitement documenté, il est très riche sur le plan historique et humain. Sa lecture par un confrère appelle cette question : qu’aurais-je fait à leur place dans les camps de concentration ?… Alors je vous la pose aussi : « comment auriez-vous réagi à la place d ’un chirurgien-dentiste allemand ? »

Dr. X. Riaud : Après 10 ans de recherches sur le sujet, une certitude s’impose à moi. Je n’aurais jamais adhéré à pareille idéologie. Je n’aurais pas collaboré. Je n’aurais pas commis d’exactions. Et si l’occasion m’en avait été donnée, j’aurais sauvé des vies. Serais-je pour autant entré en résistance ? Résister c’est accepter l’idée de souffrir si l’on était capturé, voire de mourir pour son idéal. C’était accepter également le risque de faire souffrir ses proches, voire de leur faire encourir des représailles. En aurais-je eu le courage et la détermination ? Je ne sais pas. Je suis profondément admiratif de ces hommes et de ces femmes qui ont fait don de leurs vies en entrant en lutte contre l’oppresseur nazi.

Dr P. : On ne peut pas comparer l’incomparable, mais y aurait-il matière à étudier la situation des chirurgiens-dentistes français sous le régime de Vichy ?

Dr. X. R. : Cela a déjà été fait. Henri Morgensterm, La spoliation des dentistes juifs en France (1940/1945), Jean Touzot (éd.), Paris, 1997-1998, ouvrage à compte d’auteur. Article à paraître dans le Vesalius (revue de la Société Internationale d’Histoire de la Médecine) de décembre 2005.

Xavier Riaud, Trois destins tragiques de chirurgiens-dentistes : M.Bernard Holstein, Mme Danielle Casanova et le Dr René Maheu pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Dr P. : Votre ouvrage permet d’appréhender les enjeux de l’éthique médicale. Selon vous, dans notre système de santé moderne comment les jeunes chirurgiens-dentistes et médecins français demeurent-ils les garants du respect de la valeur humaine ?

Dr. X. R. : Malgré les difficultés et les contraintes qui oppressent chaque jour davantage notre profession, je pense que perpétuer et défendre une vision humaniste de l’approche de la relation praticien-patient reste la seule manière véritable d’appréhender la pratique médicale. C’est à travers le respect de l’homme, le respect de la vie, et non d’une logique comptable, que les praticiens médicaux demeurent exemplaires.

Dr P. : L’étude et la recherche en histoire semblent pleinement s’intégrer dans votre parcours de chirurgien-dentiste. Quelles leçons de l’histoire retenez-vous lors de votre exercice clinique ?

Dr. X. R. : L’humilité. Art Spiegelmann a dit : « l’homme n’est qu’une goutte d’eau dans le flot de l’éternité ». Il a raison. Faire un pèlerinage à Auschwitz m’a fait comprendre combien l’homme n’est que peu de choses. Un État peut décider au nom d’une idéologie délétère de détruire des vies. Ainsi, celles de millions d’individus se sont achevées dans des chambres à gaz, parce qu’un homme l’avait décidé.

La transposition de l’humilité de l’historien dans mon exercice au cabinet est simple. Elle réside dans l’approche des gens. Rester humble quand une personne qui ne sait pas écrire vous demande de le faire pour elle. Qui suis-je pour porter un jugement ? Rester humble face à un échec thérapeutique, ce n’est pas toujours facile. Pourtant aucune science n’est infaillible encore moins un homme.

Dr P. : Quel est votre plus agréable souvenir dans votre exercice de praticien ?

Dr. X. R. : Trois en fait. Lorsque le Pr Olivier LABOUX de la Faculté Dentaire de Nantes, à la suite de la parution de mon premier livre, m’a demandé de rejoindre l’équipe des enseignants en tant qu’attaché parce qu’il souhaitait que j’apporte une contribution personnelle à l’enseignement de l’odontologie aux étudiants.

La deuxième, lors de la dernière réunion du Département d’O.C., en septembre dernier où j’ai annoncé la parution de mon deuxième livre et où mes confrères m’ont reconnu et regardé en tant qu’historien de la profession dentaire. Je signalerais aussi ma fierté d’avoir été sollicité par un étudiant de 6ème année pour figurer dans son jury de thèse,… bien évidemment en rapport avec l’histoire de notre métier. Je n’ai jamais été plus heureux que lorsque j’ai eu le plaisir de présenter mes travaux à la confraternité. Son regard est essentiel pour moi.

Dr P. : Et celui d’une expérience que vous aimeriez partager avec nos confrères ?

Dr. X. R. : Lorsque j’ai soutenu ma thèse d’exercice « Pathologie bucco-dentaire dans les camps de l’Allemagne Nazie (1941-1945) », en 1997, un déporté nommé Louis Jolivet à fait 300 km avec des perfusions dans les bras pour être présent ce jour là, à mes côtés. Je lui ai serré la main droite, de la gauche il tenait son sac de perfusion.

Lors de mes recherches pour cette thèse, j’avais promis aux déportés de poursuivre mes investigations pour en faire un livre. Lorsque ce fut chose faite, en avril 2002, « La pratique dentaire dans les camps du IIIe reich » éd.L’Harmattan, j’ai été leur présenter mon travail lors de leur assemblée régionale en octobre. Après l’exposé, les déportés sont venus me voir et m’ont dit simplement :

« Merci, vous avez tenu parole. » Mais, dans leurs regards, on pouvait bien lire davantage…

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A propos de l'auteur

Dr. Xavier RIAUD

Docteur en chirurgie dentaire
Lauréat de l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire
Historien - Doctorant en Histoire des Sciences et Techniques
Auteur du livre «Les dentistes allemands sous le IIIème Reich», éd. L’Harmattan (sept. 2005)

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