Dr Philippe PIRNAY : Vous avez effectué des fouilles notamment en Egypte, au Soudan, en Libye… Comment est apparue cette passion pour l’archéologie ?
Dr. Francis JANOT : Elle vient de l’adolescence, période dans laquelle mes lectures étaient déjà orientées vers les civilisations anciennes et leurs « mystères ». Il ne faudrait pas oublier l’attrait qu’exerçaient sur moi tous les objets merveilleux que les archéologues mettaient au jour. J’ai toujours ressenti une très forte attraction pour l’étude du passé.
Dr. P.P. : Votre parcours est évidement atypique puisque vous vous consacrez exclusivement à cette discipline. Pensez-vous avoir ouvert une voie pour d’autres chirurgiens-dentistes qui pourraient être intéressés par ces recherches ?
Dr. F.J. : L’intérêt et la demande sont forts dès le cursus universitaire en odontologie. En effet, un nombre grandissant d’étudiants s’intéressent à la paléontologie, à l’anthropologie, à l’archéologie et naturellement à l’apport de notre discipline dans les sciences humaines. Les thèses qui englobent ces matières en sont le meilleur exemple. Il ne manque plus qu’un enseignement dispensé dans nos Facultés.
Dr. P.P. : La mission du chirurgien-dentiste dans une équipe d’archéologues est-elle limitée à l’étude des restes osseux, en particulier le crâne et les dents, ou s’intègre-t-elle plus globalement dans la recherche archéologique ?
Dr. F.J. : L’archéologue-dentiste, après une formation supplémentaire, se sert continuellement de ses connaissances odontologiques et anatomiques pour attribuer le sexe et l’âge au décès des squelettes retrouvés dans les tombes. D’autant plus qu’ils ont subi, la plupart du temps, les outrages irréversibles des pilleurs.
Dr. P.P. : Quelles ont été vos principales découvertes ?
Dr. F.J. : En 1995, il m’a été possible de conclure sur la valeur symbolique, jusqu’alors inexpliquée depuis plus d’un siècle, d’un hiéroglyphe nommé « incision ». La découverte la plus émouvante sur le terrain fut sans conteste la série de tombes inviolées dans la nécropole de Saqqara en 2003. Plus récemment, j’ai retrouvé dans les papyrus égyptiens anciens le nom de deux instruments d’embaumement utilisés dans les phases de purification de la cavité buccale. Répliqués puis expérimentés sur un cadavre, cela m’a permis de décrire une série de gestes techniques anciens absolument nouveaux.
Dr. P.P. : Quels sont vos regrets et vos projets en matière de recherche archéologique ?
Dr. F.J. : La joie de la découverte est toujours associée au regret de devoir perturber de manière irréversible les gestes funéraires perpétrés, il y a plusieurs siècles. J’aimerais maintenant participer à la fouille de tombes de la Chine ancienne pour entrevoir d’autres rituels mis en place par les hommes afin d’acquérir l’immortalité.
Dr. P.P. : Quelle expérience aimeriez-vous partager avec nos confrères ?
Dr. F.J. : Il est malheureusement impossible de faire partager l’émotion qui submerge celui qui pénètre le premier dans un caveau de l’Ancien Empire, oublié de tous depuis 2 500 ans. Pourtant, le coeur bat très fort… Je sais maintenant ce qu’a dû ressentir Howard Carter au moment de pénétrer dans le caveau du roi Toutânkhamon. La momie présente sur le premier degré de la pyramide du roi Pépy Ier m’a apporté un autre moment de bonheur… lorsque les marques révélatrices de sa profession étaient présentes sur ses incisives supérieures. Associées au matériel archéologique retrouvé, il est possible de formuler une hypothèse concernant sa profession. Sans l’odontologie médico-légale, il m’aurait été impossible de progresser autant dans l’intimité de cette femme décédée au IVe siècle après J.-C.