La profession dentaire change rapidement, jetant le trouble dans l’esprit de certains de nos confrères. Cependant, cette situation recèle, encore, des opportunités. La parodontologie constitue l’une d’entre elles. à une époque où plus de 50 % des enfants n’ont plus de caries, de nombreux confrères réalisent qu’il est crucial d’offrir à leurs patients de nouveaux services et de nouvelles options thérapeutiques pour maintenir, voire stimuler la vitalité de leurs cabinets. Cela leur évitera de se retrouver enfermés dans le cercle vicieux de la seule alternative de réaliser soit des actes opposables soit de la prothèse.
L’objectif de cet article est de démontrer qu’on ne peut pas réussir à développer la parodontologie dans un cabinet par hasard (la seule lecture d’ouvrages sur le sujet est insuffisante). J’ajoute qu’il s’agit d’une voie royale pour sortir de la routine et retrouver le plaisir de réaliser des traitements valorisants pour le praticien. Les maladies parodontales présentent, en France, une forte prévalence, puisqu’elles touchent plus de la moitié de la population adulte. Je vous invite à vous reporter à l’article de
Linda Jaoui de ce numéro pour de plus amples informations.
Intégrer la parodontologie dans un cabinet d’omnipratique : Une philosophie
Il est crucial de développer le réflexe « Paro », c’est à-dire être très paro-conscient lors du bilan initial.
En réalité, la préoccupation parodontale doit être présente à tous les stades du traitement : des conseils d’hygiène initiaux au scellement ou encore lors des visites de maintenance. Or, le succès de la pratique parodontale dépend étroitement de la manière de communiquer avec les patients. Celle-ci est directement liée à la conviction du praticien de la pertinence et de l’efficacité des traitements qu’il propose. En effet, comment convaincre un patient si l’on n’est pas soi-même convaincu ? Par ailleurs, il est encore plus important, dans ce type de pratique, que le patient ne se sente pas traité comme un ensemble de dents, mais véritablement comme un individu dans sa globalité.
Philosophie de traitement
- Genon et C. Romagna (dans leur ouvrage : « Le traitement parodontal raisonné ») ont défini une philosophie de traitement en trois étapes.
- élimination de la plaque dentaire
- Action locale raisonnée sur les lésions
- Maintien ou rétablissement de la fonction
Ces auteurs considèrent avec une totale attention le terrain individuel, la plaque dentaire et les surcharges susceptibles d’affecter la fonction.
Spécificité en parodontologie
L’une des difficultés spécifique réside dans la chronicité de la plupart des lésions parodontales entraînant une évolution à bas bruit, imperceptible par le patient. La plupart des signes cliniques existants sont généralement ignorés par ce dernier voire considérés comme normaux. Tout l’effort de l’équipe dentaire sera donc de rendre perceptible aux yeux du patient ce qui ne l’est pas encore.
Comment établir une stratégie ?
Introduire ou développer la parodontologie en omnipratique ne peut relever du hasard. Arriver à convaincre les patients d’accepter les traitements parodontaux est le contraire de la magie. Cela repose sur des règles précises qui font appel à la formation, à des argumentaires, des scripts, des fiches d’information, à l’évaluation des honoraires, etc. qui sont établies dans les moindres détails. C’est cette absence de rigueur qui est responsable du fait que de nombreux omnipraticiens abandonnent les traitements parodontaux après quelques essais. En réalité, la plupart « glissent » un peu par hasard vers la proposition parodontale sans avoir préalablement analysé tous les tenants et les aboutissants, donc sans véritable préparation.
C’est pourquoi je vous propose de suivre le plan d’action suivant en 5 points :
- Prenez activement la décision de réaliser les traitements parodontaux. Il s’agit peut-être de l’étape la plus délicate : prendre la décision de réaliser les traitements que vous considérez comme les plus adaptés indépendamment des remboursements liés au système de santé ! Une dentisterie de qualité est l’une des clés pour ne pas se retrouver enfermé dans le piège des remboursements et retrouver le plaisir de travailler.
- établissez la liste des actions à entreprendre avant d’introduire la parodontologie au cabinet (se former, former son assistante, acheter le matériel nécessaire, les fiches d’information, aménager la salle opératoire, contacter des confrères…).
- établissez un budget et définissez un délai de mise en place.
- Entraînez-vous à la communication sur la Parodontologie : informez et éduquez vos patients (voir paragraphe « Communication »).
- Sélectionnez certains patients existants que vous connaissez pour leur coopération et commencer les premiers traitements parodontaux avec eux (souvenez-vous que la meilleure façon d’apprendre la parodontologie est d’en faire !).
Communication, éducation et motivation du patient : technique et outils
Sans coopération du patient, aucun praticien ne peut prétendre faire aboutir son plan de traitement. Certains praticiens se retranchent derrière la gentillesse, d’autres penchent pour la fermeté. Suffit-il de passer des diapositives ? Ou de donner une fiche d’information ? Suffit-il d’expliquer complaisamment la nécessité du traitement parodontal ? Le discours technique du praticien ne paraît pas apporter la motivation souhaitée. Le discours moralisateur non plus !
Je constate d’ailleurs que l’on demande trop souvent au patient des efforts de coopération, comme si cela était naturel, évident qu’il s’adapte au traitement, voire qu’il s’implique. Je considère personnellement cette attitude comme étant contre-productive en terme de communication. La démarche me semble en effet trop moralisatrice et source de nombreux échecs. Je considère à l’inverse qu’il est de la responsabilité de l’équipe dentaire d’adopter un comportement de pédagogue et de se considérer comme responsable de l’adhésion des patients motivés aux traitements parodontaux.
Les techniques de communication
Il n’est évidemment pas question, ici, de développer exhaustivement les techniques de communication. Je me contenterai de rappeler certains points fondamentaux dans le développement de traitements parodontaux :
- L’assertivité : Il s’agit de l’affirmation positive de soi, sans prétention ni agressivité. Lors d’une première consultation, elle est de nature à rassurer le patient à propos de vos aptitudes à le traiter.
- établir la confiance : Les traitements parodontaux demandent une implication importante de la part du patient. Celle-ci ne peut exister sans une forte relation de confiance. Un moment clé pour l’établissement de cette relation est l’entretien préclinique.
Le but essentiel de cet entretien est double : 1. Faire connaissance avec le patient et explorer ces besoins ; 2. L’informer de notre conception de la réalisation des traitements dentaires.
Au cours de cet entretien, concernant la découverte du patient, l’aptitude essentielle sera l’écoute et son complément naturel l’Empathie. Je rappelle que le praticien devrait écouter 70 % du temps et parler les 30 % restants. Concernant l’information sur l’approche parodontale, je recommande de l’aborder dès cette phase du bureau : « Monsieur Martin, avez-vous eu une information récente concernant l’état de santé de vos gencives ? ». Ce faisant, le patient comprendra plus facilement lors de l’examen clinique votre examen gingival.
Enfin, un autre point clé à propos de la relation thérapeutique est ce que le psychologue Carl Rogers a dénommé « le regard positif inconditionnel » que le praticien se doit de porter sur son patient.
Comment déterminer les patients candidats à la Paro et les candidats à la maintenance ?
Dans le cadre d’un cabinet d’omnipratique, il existe schématiquement en terme de motivation à la parodontologie, plusieurs catégories de patients. Il est possible de les distinguer en fonction d’une part, de leur niveau de connaissance de leurs problèmes parodontaux, et d’autre part de leur motivation à réaliser ces types de traitement. à partir de ces critères, il est possible de déterminer les candidats potentiels à la présentation des traitements parodontaux :
Les patients de la catégorie 1 sont bien entendu les meilleurs candidats potentiels pour les traitements parodontaux.
Ceux de la catégorie 3 sont ceux qui ne sont ni motivés ni motivables. Les catégories 2 et 4 sont les plus intéressantes. C’est en fonction du patient, du moment et de sa propre motivation que le praticien décidera de l’énergie et du temps qu’il est décidé à lui consacrer.
Nous constatons, donc, que c’est à la fois la motivation du patient mais aussi celle du praticien qui aboutiront ou pas à la présentation d’un traitement parodontal.
Les candidats à la maintenance seront choisis en fonction de leur détermination et de leurs efforts démontrés durant les phases actives du traitement.
Information et éducation en santé buccale
Il est aujourd’hui démontré que les approches basées sur la seule information permettent d’enseigner des habiletés plutôt que d’améliorer les comportements. La problématique spécifique majeure à propos de l’hygiène gingivale réside dans l’absence de signes visibles par le patient.
C’est la raison pour laquelle ma préférence va aux techniques privilégiant la prise de conscience de son état gingival.
Pour les patients, voir c’est croire. En parodontologie, les notions de co-diagnostic et de co-traitement ne sont pas des concepts mais bien une réalité sans laquelle tout traitement efficient s’avère impossible. Le patient qui s’attend à jouer un rôle passif dans le traitement doit adhérer ici à l’idée de jouer un rôle actif. Un autre avantage de cette approche est de permettre d’espacer les rendez-vous de maintenance. En France, en l’absence d’hygiéniste, cette notion est critique. En effet, sans cela, le risque est grand de voir les cabinets encombrés de rendez-vous de maintenance sans véritable intérêt clinique pour le praticien et à faible rentabilité.
Organisation des séances d’éducation-information
Les séances initiales de motivation à l’hygiène buccale et parodontale sont très utiles pour déterminer le degré d’implication du patient dans la gestion de ses problèmes gingivaux. Nous recommandons, après la séance d’information générale, la technique d’information croissante en fonction des résultats obtenus et évalués par les relevés d’indice de plaque et gingival (je n’évoquerai pas les techniques de prophylaxie de la plaque dentaire ni les tests salivaires ou bactériens). Ainsi, après 3 à 5 séances, le plan de traitement peut alors être modifié, confirmé ou adapté aux possibilités du patient. Sans une véritable implication de ce dernier, inutile de s’échiner à tenter de le convaincre. Certains praticiens délèguent, après formation, cette partie informative et éducative à leur assistante.
Sous réserve expresse, bien entendu, que celle-ci ne mette pas les doigts en bouche, nous sommes favorables à une telle délégation qui libère l’omnipraticien.
Perception = Réalité
J’ai déjà indiqué que la problématique spécifique de la parodontologie résidait dans l’absence de signes cliniques perceptibles par le patient. C’est la raison pour laquelle tout élément de nature à lui permettre de visualiser ses problèmes, aura un impact immédiat sur son degré de compréhension. Ainsi, les différents colorants de plaque dentaire, la caméra endo-buccale, les résultats des différents tests, les radios panoramiques ou rétroalvéolaires sont d’excellents outils pédagogique et de prise de conscience. Signalons l’intérêt de l’utilisation d’un microscope relié à un moniteur vidéo qui présente l’avantage majeur de tangibiliser aux yeux du patient les différentes flores bactériennes présentes dans sa plaque dentaire.
Rôle des fiches d’information
Les fiches d’information pour les patients (FIP) facilitent le dialogue entre le cabinet et les patients sur des questions touchant la santé buccodentaire et les procédures parodontales. Les patients acquièrent une meilleure compréhension des soins bucco-dentaires préventifs et des différentes possibilités de traitement recommandées.
L’avantage des fiches est qu’elles sont utilisables après le départ du patient pour l’aider à mieux comprendre les informations données oralement au cabinet. Un autre avantage est l’information ainsi donnée à l’entourage du patient qui peut souvent jouer un rôle considérable dans l’acceptation ou le refus du traitement.
Conclusion
En conclusion, je rappellerai que la proposition de traitements parodontaux ne peut plus être considérée comme une option dans un cabinet d’omnipratique moderne.
Cependant, une intégration complète de cette spécialité ne peut se faire comme par magie. Je vous recommande une mise en place progressive selon le principe des 3P (Petits Progrès Permanents). Elle peut s’avérer ainsi être le premier vers un changement en profondeur du mode d’exercice traditionnel vers une dentisterie tournée vers le futur.