En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts.

LEFILDENTAIRE est un site réservé aux professionnels de la santé dentaire.
Si vous n'êtes​ pas un professionnel de santé, vous pouvez obtenir des réponses à vos questions par des experts sur Dentagora.fr en activant le bouton Grand Public.

Je suis un professionnel Grand Public

Anesthésie et urgence endodontique

0

« J’ai un bon dentiste, il ne fait pas mal ». En tant que professionnel, nous savons qu’une thérapeutique non douloureuse n’est pas nécessairement un gage de compétence ; mais cette réflexion, fréquemment entendue dans les conversations de salon, montre à quel point l’anesthésie est importante.

La douleur dentaire est particulière, à tel point qu’Ambroise Paré la définissait comme « la plus grande et la plus cruelle des douleurs non mortelles ». L’inflammation pulpaire est spécifique ; elle est responsable d’une surpression vasculaire au sein du parenchyme confiné dans une structure minéralisée non extensible d’une part, et de la libération de médiateurs de l’inflammation ayant une activité intrinsèque algogène d’autre part.

Dans le cas d’une inflammation irréversible, seule l’élimination partielle ou totale de la pulpe permet de soulager réellement le patient sans compromettre pour autant la suite de son traitement. Pour effectuer cet acte chirurgical, une anesthésie profonde permettant d’obtenir un silence opératoire complet, est indispensable.

Anesthésier la pulpe est difficile, et notamment lorsque celle-ci se trouve dans un état d’inflammation avancé ; pour des raisons physiologiques, le seuil d’obtention d’anesthésie d’une pulpe enflammée est très supérieur à celui d’une pulpe saine (Fig. 1).

anesthésie-des-tissus-sains

Fig. 1 : Seuils d’anesthésie des tissus sains et enflammés.

La topographie et les obstacles anatomiques limitent la diffusion des solutions anesthésiques vers la zone apicale de la dent, seule région où il est envisageable de bloquer la conduction de l’influx nerveux de l’organe pulpaire. Ainsi, obtenir une anesthésie profonde sur une molaire mandibulaire présentant une pulpite irréversible est probablement l’un des actes les plus redouté par de nombreux praticiens.

L’épaisseur de la corticale osseuse plus importante fait que la diffusion des solutions anesthésiques vers la région apicale de la dent est limitée. C’est pourquoi d’autres techniques d’anesthésie doivent être utilisées sur les molaires mandibulaires.

L’anesthésie tronculaire du nerf dentaire inférieur, dite à l’épine de Spix est souvent décrite comme la technique de choix mais reste peu utilisée en pratique. Les injections dites intraligamentaires, intraseptales ou encore intraosseuses permettent de pallier les obstacles anatomiques, mais les effets indésirables souvent ressentis par le patient après ce type d’injection (sensibilité à la percussion après une intra ligamentaire, ou nécrose osseuse après une intra septale), limitent considérablement leurs indications. Ainsi, il n’est pas rare, faute de pouvoir obtenir un silence clinique suffisant pour effectuer une pulpotomie, d’être obligé d’avoir recours à des techniques non concluantes, telles que l’utilisation de médication sédative et de différer l’acte opératoire.

L’anesthésie tronculaire mandibulaire et ses limites : une technique aléatoire ?

Plusieurs études ont cependant montré que malgré une injection appropriée, les risques d’échecs sont non négligeables (1).

Le signe de Vincent (anesthésie de la moitié de la lèvre inférieure) est souvent présenté comme un garant de la réussite de cette technique. Avec une bonne expérience, l’anesthésie de la lèvre est obtenue dans 95 % des cas (2). Cependant, il y a peu de corrélation entre anesthésie de la lèvre et l’anesthésie de la pulpe, et ce signe clinique ne peut être finalement considéré comme une preuve de bonne anesthésie de la dent. L’anesthésie tronculaire s’avère inefficace dans 17 % des cas sur une première molaire, 11% sur les prémolaires et 32 % sur les incisives (3,4).

Avant de commencer le traitement, l’anesthésie de la dent doit être vérifiée avec un test de vitalité (thermique ou électrique).

Si l’anesthésie de la lèvre est obtenue en général 5 à 9 minutes après l’injection, l’anesthésie de la pulpe apparaît en moyenne après 15 minutes et peut parfois nécessiter plus de 30 minutes (5-7).

Ces durées sont bien entendu difficilement compatibles avec un exercice en urgence. Pour palier ces défauts, une anesthésie complémentaire à effet immédiat doit être associée. L’anesthésie tronculaire prolongera l’effet obtenu pour permettre de terminer le traitement ou de profiter d’un effet analgésique post-opératoire le temps d’obtenir le relais par les antalgiques.

Outre les erreurs techniques, d’autres facteurs permettent d’expliquer ces échecs :

  • la présence de branches nerveuses accessoires. Les ramifications ou l’échec d’anesthésie des nerfs mylo-hyoïdien, buccal ou lingual sont souvent considérés comme les facteurs d’échecs. La littérature ne permet pas de définir clairement le taux d’échec lié aux aléas anatomiques ;
  • une résistance intrinsèque de certains patients à la fixation de la molécule anesthésique sur les récepteurs des canaux sodiques Tetrodotoxin-resistant (canaux TTX) (8) ;
  • l’augmentation du nombre de canaux sodiques dans la pulpe enflammée. Ces canaux étant plus nombreux, il est plus difficile d’obtenir une anesthésie profonde ;
  • l’appréhension du patient qui souffre depuis plusieurs heures ou plusieurs jours ; l’influence des facteurs psychologiques est non négligeable.

En cas d’échec de la technique, il est souvent tentant d’injecter une seconde cartouche de solution. Une nouvelle injection ne permettra pas d’obtenir une meilleure anesthésie de la pulpe.

L’utilisation de chlorhydrate d’Articaïne a souvent été controversée pour ce type d’injection sous prétexte de la toxicité potentielle de la molécule pour les fibres nerveuses. Cette toxicité reste controversée. Dans le doute, il est conseillé d’utiliser la lidocaïne par exemple pour s’affranchir du risque de paresthésie définitive. L’utilisation de vasoconstricteur (adrénaline uniquement) associé à ces molécules n’est absolument pas contre-indiquée.

Il apparaît clairement que l’anesthésie tronculaire est une technique largement adaptée à l’anesthésie des molaires mandibulaires, mais elle présente deux inconvénients majeurs :

  • durée d’installation pouvant dépasser les 30 minutes en cas de pulpite,
  • un risque d’échec non négligeable, non limité aux erreurs techniques et aux variations anatomiques, mais également associé à des facteurs physiopathologiques.

Des injections complémentaires sont donc indispensables, notamment dans le traitement d’urgence de la pulpe enflammée.

Anesthésie intraligamentaire

L’injection dans le desmodonte permet d’obtenir une anesthésie rapide de la dent concernée. Néanmoins, l’injection en force, la septicité de l’injection sont probablement responsables des douleurs post-anesthésique.

Que ce soit en odontologie restauratrice ou en endodontie, cette technique doit être proscrite.

Anesthésie intrapulpaire

Anesthésie-intrapulpaire

Fig. 2 : Anesthésie intrapulpaire. La solution est injectée en force dans l’espace endodontique afin d’obtenir une dilacération du parenchyme.

L’anesthésie de la dent est obtenue par injection en force de la solution dans l’espace endodontique (Fig. 2). L’anesthésie est obtenue non pas par le blocage de l’influx nerveux par fixation de la molécule sur les canaux sodiques, mais par dilacération du parenchyme pulpaire. Pour être efficace, l’injection doit être effectuée dans la chambre pulpaire, dès l’obtention d’une effraction, et surtout avant son ouverture complète. La douleur ressentie par le patient est intense mais fugace. Il est indispensable de le prévenir.

Une des limites de cette technique réside dans la difficulté à atteindre la pulpe avec les instruments alors que l’anesthésie est incomplète. La mise en place dans la cavité pendant 2 minutes d’une boulette de coton imprégnée de solution anesthésique permet d’obtenir une anesthésie de surface du parenchyme pulpaire et d’intervenir délicatement avec des instruments à main jusqu’à l’obtention d’une effraction.

Cette technique est efficace, mais extrêmement douloureuse. Elle ne doit être utilisée qu’en dernier recours.

Anesthésie intraosseuse

L’anesthésie intraosseuse est devenue une technique couramment utilisée par les endodontistes (9). L’injection directement dans l’os médullaire, permet, pour les dents mandibulaires, de contourner les problèmes anatomiques responsables d’échecs. Plusieurs dispositifs ont été proposés pour cette injection, mais peu permettent d’être efficace et simple d’utilisation.

Le X Tip® (Dentsply, Maillefer) est un dispositif peu coûteux permettant d’obtenir une anesthésie intraosseuse rapidement dans 86 à 91% des cas (10,11) (Fig. 3). D’utilisation simple, il reste un dispositif indispensable pour tout praticien souhaitant utiliser l’anesthésie intraosseuse de façon occasionnelle.

Exemple-d’anesthésie-intrapulpaire

Fig. 3 : Exemple d’anesthésie intraosseuse avec le X-Tip® (Dentsply, Maillefer – France).

Le développement de nouveaux dispositifs tels que le QuickSleeper® 2 (DHT – France) et des aiguilles particulièrement efficaces (Transcort S. et Ostéocentrale 30 centièmes 16 mm pour la perforation de la corticale), a participé à la démocratisation de ce type d’anesthésie.

Plus récemment encore, l’anesthésie dite ostéocentrale, permet de contourner très facilement les difficultés rencontrées dans la technique transcorticale.

Une des limites de l’injection intraosseuse peut être la durée d’anesthésie profonde obtenue. Avec une concentration d’adrénaline à 1/100 000, il est difficile d’obtenir un effet supérieur à 60 minutes. Cette durée peut être insuffisante pour accomplir le traitement endodontique dans la séance.

La rémanence anesthésique obtenue avec une tronculaire permet de bloquer plus longtemps le message douloureux jusqu’à la prise d’antalgiques par le patient.

Quelle technique utiliser ?

Incontestablement, l’anesthésie intraosseuse, non douloureuse et permettant d’obtenir une anesthésie profonde et immédiate, s’avère être la technique de choix pour le traitement d’urgence d’une molaire mandibulaire présentant une pulpite irréversible. L’effet additionnel de la tronculaire, préalablement réalisée, permettra de terminer le travail dans la séance. Ainsi, un effet immédiat sera obtenu par l’injection intraosseuse et le relais sera pris par l’anesthésie tronculaire.

Conclusion

Intervenir sur une molaire mandibulaire présentant une pulpite irréversible est souvent un casse-tête. Le praticien quant à lui, sait qu’il a peu de temps pour intervenir.

Faire patienter le patient en salle d’attente en lui demandant de remplir des documents administratifs et notamment relatifs à la douleur qui l’amène à consulter, permet souvent de placer le patient en confiance. De plus l’administration de 400 mg d’ibuprofène une heure avant d’intervenir permet à la fois de diminuer le seuil de douleur à atteindre, mais également de limiter le problème lié aux canaux TTX résistants (12) ; Par ces deux effets, les anti Cox2 permettent d’optimiser les effets de l’anesthésie (Fig. 4).

anesthésie-de-la-pulpe

Fig. 4 : L’administration de 400 mg d’ibuprofène une heure avant l’intervention permet d’abaisser le seuil d’anesthésie de la pulpe enflammée.

Lectures complémentaires conseillées

Endodontics – Colleague for Excellence Winter 2009: Taking the Pain out of Restorative dentistry and Endodontics : Current Thoughts and Treatment options to help patients Achieve Profound Anesthesia. www.aae.org/colleagues

Simon S. et Machtou P. Endodontie Volume 2 : Retraitements. Chapitre 1 L’anesthésie en endodontie. Coll. Memento Éd. CdP 2009

Bibliographie

1. Hannan L., Reader A., Nist R., Beck M., Meyers W.J. The use of ultrasound for guiding needle placement for inferior alveolar nerve blocks. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod. 1999 Jun;87(6):658-65
2. Claffey E., Reader A., Nusstein J., Beck M., Weaver J. Anesthetic efficacy of articaine for inferior alveolar nerve blocks in patients with irreversible pulpitis. J Endod. 2004 Aug;30(8):568-71.
3. Fernandez C, Reader A, Beck M, Nusstein J. A prospective, randomized, double-blind comparison of bupivacaine and lidocaine for inferior alveolar nerve blocks. J Endod. 2005 Jul;31(7):499-503
4. Nusstein J., Reader A., Beck F.M. Anesthetic efficacy of different volumes of lidocaine with epinephrine for inferior alveolar nerve blocks. Gen Dent. 2002 Jul-Aug;50(4):372-5; quiz 6-7
5. Hinkley SA, Reader A., Beck M., Meyers W.J. An evaluation of 4% prilocaine with 1:200,000 epinephrine and 2% mepivacaine with 1:20,000 levonordefrin compared with 2% lidocaine with:100,000 epinephrine for inferior alveolar nerve block. Anesth Prog. 1991 May-Jun;38(3):84-9
6. McLean C., Reader A., Beck M., Meryers W.J. An evaluation of 4% prilocaine and 3% mepivacaine compared with 2% lidocaine (1:100,000 epinephrine) for inferior alveolar nerve block. J Endod. 1993 Mar;19(3):146-50
7. Vreeland D.L., Reader A, Beck M, Meyers W, Weaver J. An evaluation of volumes and concentrations of lidocaine in human inferior alveolar nerve block. J Endod. 1989 Jan;15(1):6-12
8. Roy M.L., Narahashi T. Differential properties of tetrodotoxin-sensitive and tetrodotoxin-resistant sodium channels in rat dorsal root ganglion neurons. J Neurosci. 1992 Jun;12(6):2104-11
9. Bangerter C., Mines P., Sweet M. The use of intraosseous anesthesia among endodontists: results of a questionnaire. J Endod. 2009 Jan;35(1):15-8
10. Bigby J., Reader A., Nusstein J., Beck M., Weaver J. Articaine for supplemental intraosseous anesthesia in patients with irreversible pulpitis. J Endod. 2006 Nov;32(11):1044-7
11. Parente S.A., Anderson R.W., Herman W.W., Kimbrough W.F., Weller R.N. Anesthetic efficacy of the supplemental intraosseous injection for teeth with irreversible pulpitis. J Endod. 1998 Dec;24(12):826-8.
12. Attal N., Bouhassira D. Recent pharmacologic approaches to pain. Ann Pharm Fr. 2000 Mar;58(2):121-34

Partager

A propos de l'auteur

Dr. Stéphane SIMON

DCD, Master recherche, Docteur ès Science, PhD, Habilitation à Diriger des Recherches
Professeur des Universités (Paris Diderot, paris 7)
Praticien Hospitalier (CHU Rouen)
Directeur du Diplôme Universitaire Européen d'Endodontologie Clinique
(Paris Diderot, Paris 7)

Dr Wilhelm Pertot

Exercice limité à l’endodontie
endopertot@aol.com

Laisser une réponse