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Nocivité des techniques d’éclaircissement sur dentsvitales entre mythes et réalités

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L’éclaircissement dentaire sur dents vitales fait l’objet de questions récurrentes quant aux éventuels effets indésirables sur les tissus dentaires et sur la santé en général.

De nos jours, et face à l’engouement de la population, les industriels proposent des dispositifs en vente libre (OTC pour « over the counter » products) comme des bandes éclaircissantes … Face à cette multitude de produits de différentes concentrations et face aux différentes techniques mises à disposition du chirurgien-dentiste, une mise au point est nécessaire pour mieux comprendre les protocoles d’éclaircissement sur dents vitales et pouvoir ainsi mieux les intégrer dans sa pratique quotidienne.

Quelle technique ?

Trois principales catégories peuvent être décrites : l’éclaircissement au fauteuil, l’éclaircissement ambulatoire avec gouttières individuelles, et les OTC (bandes, gels, vernis…).

Malgré un coût plus modeste, les OTC ont une efficacité discutable et leur utilisation est déconseillée sans diagnostic préalable de l’étiologie de la dyschromie. L’éclaircissement au fauteuil permettait au praticien d’utiliser des concentrations d’agents éclaircissants plus élevées (jusqu’à 38 % de peroxyde d’hydrogène). Les résultats de cette technique étant directement liés à la concentration en peroxyde d’hydrogène (H202) et à son temps d’application, il était souvent nécessaire de réaliser deux à trois séances de 40-50 minutes pour obtenir un résultat similaire à un éclaircissement ambulatoire de 2-3 semaines (Perdigao 2016). La réglementation européenne actuellement en vigueur ne permettant plus au chirurgien-dentiste d’utiliser des concentrations de peroxyde d’hydrogène supérieure à 6 %, la technique d’éclaircissement au fauteuil perd de son intérêt. La technique ambulatoire consiste à faire appliquer par le patient des concentrations plus faible de H202 (jusqu’à 16 %) de façon quotidienne pendant une période définie à l’aide de gouttières personnalisées. Cette technique moins onéreuse, plus « douce », et nécessitant un temps de fauteuil moindre, semble plus à même à s’intégrer dans la pratique courante du chirurgien-dentiste.

En termes de longévité, les deux techniques sont satisfaisantes, avec une absence de récidive à 2 ans pour l’éclaircissement ambulatoire (pas de différence entre peroxyde de carbamide 10 ou 16 %) et entre 9 mois et 2 ans pour la technique au fauteuil (Perdigao 2016).

Quels produits ?

Depuis le 31 octobre 2012, la réglementation européenne classe les produits d’éclaircissement dentaire contenant ou libérant du H202 dans la catégorie des produits cosmétiques (au sens de l’article L.5131-1 du code de la santé publique).

Selon cette réglementation, les produits contenant ou libérant moins de 0,1 % de H202 sont disponibles en vente libre. Les produits contenant ou libérant entre 0,1 et 6 % de H202 ne sont utilisables que chez l’adulte sur prescription du chirurgien-dentiste. Par ailleurs les produits contenant ou relargant plus de 6 % de H202 sont retirés du marché.

Les produits à base de peroxyde de carbamide possèdent l’avantage d’assurer un relargage progressif de H202 grâce à la dégradation du peroxyde de carbamide en urée et H202 (CO(NH2)2.H2O2 → CO(NH2)2 + H2O2). Le peroxyde de carbamide est donc à privilégier, car il évite les effets indésirables d’un relargage trop massif de H202. Avec le peroxyde de carbamide, le relargage lent et progressif de H202 permet d’appliquer le produit entre 1 à 8h par jour et cela sur une relative longue période de 1 à 4 semaines (Sulieman 2008).

dose-quotidienne-de-peroxyde-d-hydrogene

Tableau 1 : dose quotidienne de peroxyde d’hydrogène ingérée par kg de poids corporel et par jour en fonction des concentrations en peroxyde (d’après Dahl et Pallesen 2003).

Mode d’action

Trois étapes sont habituellement décrites : la diffusion, l’interaction et la modification de la couleur/surface (Kwon 2015).

La diffusion et la pénétration de l’agent éclaircissant dans les structures dentaires est régi par la seconde loi de diffusion de Fick, et dépend notamment de la concentration en H2O2, de la surface de contact (quantité et qualité), mais également du temps d’application et de la température.

Lors de la phase d’interaction avec les structures dentaires, le H2O2 va se cliver et produire des radicaux libres (ions hydroxyles, radicaux perhydroxyles et anions superoxydes), des molécules d’oxygène et des anions perhydroxyles. La théorie la plus répandue expliquant l’interaction de ces molécules avec les tissus dentaires consiste à dire que ces molécules actives vont venir cliver les doubles liaisons des pigments ou chromophores, contenus dans la portion organique de l’émail et de la dentine et responsables des colorations. Cela va modifier les propriétés d’absorption de la lumière et modifier la perception de la couleur de ces pigments (Minoux et Serfaty 2008)

La dernière phase consiste à mettre en évidence les modifications du substrat dentaire qui conditionne l’effet optique de l’éclaircissement. Si le changement de couleur est principalement influencé par l’effet de H2O2 sur la dentine, l’altération de la micromorphologie de l’émail semble également influencer sur l’éclaircissement avec une déprotéinisation, une déminéralisation et une oxydation de sa couche la plus superficielle. (Kwon 2015)

Toxicité / Complications

Effets systémiques et toxicité

Les effets indésirables fréquemment décrits sont est à corréler directement avec les concentrations en H2O2 utilisées et avec ladurée du traitement. L’une des caractéristiques majeures du H2O2 est sa capacité à libérer des radicaux libres lors de sa dégradation.

Les radicaux libres sont souvent considérés comme toxiques, carcinogènes, ou vecteur de pathologies dégénératives en cas de diffusion par voie systémique (Minoux et Serfaty 2008). Or l’environnement buccal, et plus particulièrement la salive, contient des peroxydases aidant à contrer les éventuels effets néfastes d’une diffusion non contrôlée de H2O2. Si le patient applique 500 mg de peroxyde de carbamide 10 % dans une gouttière, cela correspond à 17 mg de H2O2 (Sulieman 2008).

Or, la cavité buccale est capable de décomposer plus de 29 mg de H2O2 par minute. A noter par ailleurs que le corps humain produit, via l’activité phagocytaire de certaines cellules de la défense de l’hôte, environ 6,5 g de H2O2 en 24h. L’étude de référence de Weiner et al. (2000) évalue la dose pour laquelle aucun effet secondaire est observé, ou NOAEL (pour Non-Observed Adverse Effect Level), chez la souris et expose la valeur seuil de 26 mg par kg de masse corporelle et par jour.

L’extrapolation de ces résultats chez l’Homme fait qu’un facteur de sécurité de 100 est appliqué par rapport aux doses précédemment calculées (Dahl et Pallesen 2003), ce qui revient à fixer la NOAEL à 0,26 mg par kg de masse corporelle et par jour. Cette valeur est uniquement dépassée lorsque 900 mg de peroxyde de carbamide à 22 % sont appliqués dans la gouttière, et n’est pas dépassée lorsque 500 ou 900 mg de peroxyde de carbamide à 10 ou 15 % sont appliqués (tableau

1). Cela explique certainement la réglementation visant fixer la limite de peroxyde d’hydrogène appliqué ou relargué à 6 % maximum (soit environ 18 % de peroxyde de carbamide). A ces concentrations de H2O2 relativement faibles, les éclaircissements sur dents vitales réalisés en ambulatoire n’entraînent pas de risque de toxicité systémique chronique.

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Figure 1 : gouttière avec réservoirs et une limite venant recouvrir la gencive marginale (à gauche) ; gouttière sans réservoir dont la découpe suit les contours cervicaux (à droite)

Effets sur les muqueuses, les dents et les restaurations pré-existantes

Les tissus mous

Le contact avec les tissus mous peut générer des brûlures de nature chimique aboutissant à des ulcérations de la muqueuse, mais également des récessions gingivales. Ces complications peuvent être évitées en réduisant la concentration en H2O2, en favorisant un relargage progressif (préférer l’utilisation de peroxyde de carbamide) et en réalisant une gouttière adaptée.

Deux possibilités s’offrent au praticien concernant la réalisation des gouttières (Fig. 1) : la confection de gouttière avec réservoirs centrés sur les faces vestibulaires des dents à éclaircir, ou la réalisation de gouttières sans réservoir dont la découpe suit précisément le contour des dents à 0,5 mm de la limite cervicale.

La deuxième option permet au patient d’éliminer immédiatement les excès de produits avec une brosse à dent (Fig. 2), prévenant les effets néfastes d’une exposition prolongée au H2O2. Les gouttières avec réservoirs sont appréciées car elles permettent d’y apposer davantage de produit éclaircissant ; mais possèdent l’inconvénient de relarger davantage de H2O2 dans la bouche du patient sans pour autant permettre une augmentation de l’effet éclaircissant (Perdigao 2016).

Concernant les OTC, leur défaut majeur vient de leur manque d’adaptation au support dentaire et gingival du patient comparé à l’utilisation d’une gouttière thermoformée personnalisée. L’effet combiné d’une gouttière mal adaptée et d’une diffusion du produit sur les tissus mous est cytotoxique pour les fibroblastes gingivaux même à faible concentration en H2O2 (3 %). (Perdigao 2016).

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Figure 2 : élimination des excès à l’aide d’une brosse à dent ou d’une compresse immédiatement après la mise en place de la gouttière chargée de produit éclaircissant.

Les tissus durs

Concernant les tissus durs, le peroxyde d’hydrogène diffuse facilement au sein de l’émail et de la dentine. Il provoque une déminéralisation de surface qui est réversible avec l’application du fluoride de sodium. Une étude utilisant le microscanner à rayon X a montré que l’utilisation de peroxyde de carbamide à raison de 8h par jour pendant 15 jours provoque une déminéralisation amélaire sur une profondeur de 50 micromètres (Kwon 2015). D’autres études corrèlent ces modifications de la phase minérale à une diminution de la résistance mécanique de la dent, à une modification du ratio calcium/phosphate, et à des modifications au sein même des cristaux d’hydroxyapatite.

L’application d’une solution contenant 0,2 % de fluor pendant 1 minute après chaque utilisation de peroxyde de carbamide est suffisant pour prévenir les changements structuraux de l’émail (Perdigao 2016). Les sensibilités dentaires sont un des effets secondaires les plus fréquemment rencontrés car une étude portant sur l’application de peroxyde de carbamide à 10 % pendant 6 semaines a révélé que 52 % des patients décrivaient des sensibilités dentinaires (Haywood VB et al. 1994). Ces sensibilités sont réversibles et peuvent être prévenue en utilisant des gels éclaircissant contenant des agents désensibilisants (Sulieman 2008).

Un bilan préopératoire reste essentiel pour écarter les risques liés à l’application du produit éclaircissant sur des zones d’émail hypominéralisées, sur des plages d’exposition dentinaire ou sur des lésions carieuses.

Les restaurations

Le contact du produit éclaircissant avec des restaurations directes ou indirectes préexistantes peut provoquer une modification de la rugosité et de la dureté de ces dernières, et une libération de mercure pour les restaurations à l’amalgame (Minoux et Serfaty 2008). Un polissage préalable des anciennes restaurations minimise cet effet. En cas de marge infiltrée, il est préférable de reprendre l’obturation défaillante ou de réaliser une protection de la zone avec une résine composite fluide.

Pour des raisons esthétiques, les restaurations définitives seront réalisées après l’éclaircissement, en respectant un délai de 7 à 15 jours post éclaircissement pour anticiper la légère récidive et pour éviter l’inhibition de prise relative à la présence d’oxygène résiduel dans les tissus.

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Figure 3 : éclaircissement ambulatoire au peroxyde de carbamide à 10 % (de haut en bas) : situation initiale ; après 3 semaines d’éclaircissement du maxillaire ;

Bibliographie

1. Dahl J, Pellesen U (2003) Tooth bleaching – a critical review of the biological aspects. Crit Rev Oral Biol Med 14 : 292-304
2. Haywood VB, Leonard rH, Nelson CF, Brunson WD (1994) effectiveness, side effects and long-term status of nightguard vital bleaching. J Am Dent Assoc 125 : 1219-1226
3. Kwon sr, Wertz PW (2015) Review of the mechanism of tooth whitening. J Esthet Restor Dent 27 : 240-257
4. Minoux m, serfaty r (2008) Vital tooth bleaching : biologic adverse effect- a review. Quintessence Int 39 : 645-659
5. Perdigao J (2016) Tooth whitening – an evidence-based perspective. Springer International Publishing
6. sulieman ma (2008) An overview of tooth-bleaching techniques : chemistry, safety and efficacy. Periodontol 2000 48 : 148-169

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A propos de l'auteur

Dr. Francois Reitzer

Docteur en chirurgie Dentaire
Assistant Hospitalo Universitaire en Odontologie
Conservatrice – Endodontie Faculté de chirurgie

2 commentaires

  1. Pour ceux comme moi ayant effectués un blanchiment du temps ou la réglementation n’était pas en vigeur, donc au fauteuil avec un produit a 35% , y a-t’il d’autres effets secondaires ? À j+3 4 ans et plus ?

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