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Réflexions à propos de la relation praticien/patient en parodontie clinique

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Il est admis aujourd’hui que la « communication » entre les différents acteurs de l’exercice de la médecine dentaire est une des clés (sinon « la » clé) du succès d’une pratique libérale. Le but de cet article est de présenter les aspects particuliers des rapports humains engagés au cours de l’exercice de la parodontie dans un cadre libéral

La perception qu’ont les patients de leur « déchaussement » et celle que les praticiens ont des maladies parodontales est différente de celle qu’ils peuvent avoir de la maladie carieuse.

Par conséquent, au cours du traitement parodontal, il est possible que le ressenti et le comportement des patients comme des chirurgiens dentistes présentent également des aspects particuliers.

À notre connaissance, il n’existe pas d’enseignement formel traitant de ce sujet au cours des études universitaires. Les praticiens apprennent donc très souvent, « sur le tas », comment se comporter vis à-vis des patients en tirant les leçons de leurs succès ainsi que de leurs échecs relationnels. Cette méthode est efficace, mais nécessite de la patience et du temps avec l’acceptation des frustrations avant que les « choses » ne s’améliorent de manière significative.

C’est probablement la raison pour laquelle un certain nombre de confrères et intervenants non médicaux proposent des stages, des séminaires, des conférences, à l’extérieur des cabinets dentaires et quelquefois in situ dans l’espoir d’améliorer la fameuse « communication » entre les praticiens et les patients. Au cours de ces formations, la relation traitant/traité est abordée sous l’aspect des « relations humaines » parmi d’autres sujets comme l’organisation ou la gestion.

Le but de cet article est de partager une expérience singulière (agréable et désagréable) acquise pendant plus de 30 ans d’exercice de la parodontie clinique libérale s’agissant du comportement possible avec les différents partenaires impliqués au cours du traitement parodontal. Il ne s’agit en aucun cas de dicter ce qu’il faut faire – ou ne pas faire – car aucun des auteurs1 n’a la qualification requise pour s’arroger une telle compétence.

Les émotions et sentiments

Le vécu des dents perdues par carie est sans aucun doute très différent de celui qui est associé à la perte d’une dent (extraite ou expulsée), souvent « intacte », à la suite d’une destruction des tissus parodontaux. Ceci est vérifié par le fait que certains patients viennent consulter pour des mobilités dentaires ayant entraîné la perte d’une ou plusieurs dents qu’ils ont quelquefois conservées dans une sorte de cercueil (coton hydrophile, boîte à bijoux, Kleenex, etc.) comme s’il était possible de la réimplanter, de la « ressusciter ». Souvent, ils nous la montrent avec un sentiment de tristesse en disant : « C’est dommage docteur, elle n’avait pas de carie ». Ils savent pourtant qu’elle est perdue à tout jamais en sachant, à leur su ou leur insu, qu’une des plus grandes douleurs de l’existence est la perte de l’être aimé. Il apparaît donc très important de valider la souffrance, sans flagornerie, obséquiosité ou compassion feinte avant d’expliquer qu’elle peut toujours être remplacée par le divin implant.

Une bonne partie des patients vivent le déchaussement comme l’inexorable tribut à payer au temps qui passe. Certains malades interprètent même cette perte comme étant le signe de la décadence de la même façon que l’on perd ses cheveux. On ne pourrait rien y faire en quelque sorte. Ceci est d’autant plus ancré si les parents ont, eux aussi, vécu ce douloureux épisode.

À l’exception des situations d’urgence, le patient a en général entamé avec lui-même une longue négociation avant de prendre la décision de prendre rendez-vous. Cette décision a été prise parce que les symptômes, réels ou imaginaires, qu’il a observés l’handicapent et l’empêchent d’avoir une vie « normale ».

D’autre part, le manque de formation en parodontie génère quelquefois un sentiment de peur chez certains praticiens lorsqu’ils sont confrontés aux maladies parodontales. Ceci est encore plus vrai en début d’exercice et lorsque les parodontites sont sévères chez des sujets jeunes. On se rend compte facilement que si les deux partenaires de la relation médicale en parodontie sont encombrés par la peur, il est fort possible que ces deux peurs se nourrissent l’une de l’autre avec le risque de perte de confiance réciproque et de gestes irréversibles réalisés sous le coup de l’émotion.

Pour exercer une profession médicale, il semblerait que la compassion2 soit l’une des premières qualités requises pour pouvoir l’exercer pendant des dizaines d’années. Tout se passe donc comme s’il fallait trouver la distance et la place appropriée par rapport au patient afin de rester efficace. En d’autres termes, le praticien se doit d’être assez près pour ne pas être indifférent et assez loin pour ne pas souffrir lui-même. L’expérience montre qu’il faut quelquefois de longues années avant d’y parvenir.

En premier lieu, les quelques minutes dévolues à l’écoute compassionnelle permettent d’instaurer un dialogue de qualité, médicalement humain, en validant la souffrance, puis en rassurant le malade et enfin en expliquant les raisons pour lesquelles le parodonte a été réduit et les différentes solutions thérapeutiques pour résoudre le problème.

La bouche est dévolue au plaisir de manger, de sourire, d’embrasser, de séduire, de respirer3. Chaque fois que ces plaisirs s’éloignent ou disparaissent, le patient demandera avec force au professionnel de les retrouver le plus rapidement possible.

Cependant, il existe des cas particuliers telles que les parodontites chroniques de l’adulte qui peuvent être asymptomatiques et quelquefois spontanément résolutives après une poussée active. C’est alors au praticien qu’incombe le rôle difficile d’annoncer la mauvaise nouvelle alors même que le patient ne souffre pas d’handicap majeur4. À des fins pragmatiques, nous proposons alors une attitude « négociatrice » en finissant les phrases par un point d’interrogation en les commençant par « Qu’est-ce que vous en pensez si.. ? », « Est-ce que vous m’autorisez à… ? », « Est-ce que vous souhaitez que l’on parle de vos gencives ? ». Si la réponse est « oui », il est possible de poursuivre le dialogue et d’avancer dans la négociation. Si en revanche la réponse est « non », nous proposons de répondre : « Si un jour vous souhaitez en parler, nous sommes à votre service ». En effet, forcer un patient à faire ce qu’il ne veut pas, ou qu’il n’est pas prêt à faire, conduit souvent à un rapport tendu souvent accompagné de récriminations ou de critiques voire de suspicion de créer une maladie imaginaire.

Pour parvenir à une attitude sereine, le but poursuivi par le praticien sera donc d’agrandir le cercle de ses compétences de telle sorte qu’une situation vécue comme entrainant inexorablement l’extraction (i.e. une dent « condamnée ») devienne au contraire une situation vécue calmement puisque l’on connaît la ou les solution(s). En réalité, une situation d’incompétence nous met « hors de nous » et donc en dehors de nos compétences. Acquérir les compétences en parodontie permet donc de garder le sang-froid, la distance et le calme nécessaires pour faire face aux cas sévères et d’utiliser les mots qui rassurent5.

Qui d’entre nous n’a pas rêvé du patient « idéal ». Cependant, quelles seraient les caractéristiques d’un tel patient ? Serait-ce celui qui dirait « Oui » à toutes nos propositions ? Qui respecterait à la lettre toutes nos prescriptions et nos « ordonnances » ? Qui arriverait toujours à l’heure (ou mieux en avance) au rendez-vous et qui nous dirait que si on est en retard, ça ne fait rien, il attendra ? Qui ne demanderait jamais si « c’est remboursé » ? Qui accepterait, sans nous poursuivre en justice, que nous cassions un instrument dans un canal ? Qui paierait la totalité des honoraires – en avance – sans jamais nous demander d’attendre avant de « toucher » son chèque ? Qui accepterait les extractions sans rechigner ? Qui nous adresserait des patients, juste comme lui ? Qui ne dirait jamais rien quand ça fait mal ? S’il était tout cela, le patient idéal serait alors une espèce d’objet soumis à nos volontés. Le très pertinent et regretté docteur Claude Olievenstein écrivait : « Le dentiste, ce n’est pas la bouche qu’il veut posséder, mais le patient en entier » (Olievenstein, 1995). Ainsi, rêverions-nous alors d’un patient comme une sorte d’esclave ? Si oui, les déceptions sont à la porte car, bien sûr, il n’existe pas.

L’être humain malade est « rebelle ». Il sait (mais peut mal le vivre), qu’in fine, il devra se « soumettre » et « se laisser faire ». Il nous faudra bien l’admettre faute de quoi la vie professionnelle ne serait qu’une longue suite d’émotions destructrices.

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La douleur

La douleur est omniprésente tout au long de la vie professionnelle du chirurgien-dentiste. Il aura donc à faire face et gérer, au mieux de ses possibilités, ce symptôme en soulageant le malade, mais aussi en sachant quelle est sa place dans les émotions qu’elle suscite.

« Un prix Nobel avec une rage de dent n’est qu’une bête qui gémit » (Olievenstein, 1995). Pourquoi alors faire appel d’emblée à l’intelligence quand la douleur abolit la pensée, la réflexion et la logique ? Une simple « rage de dent » interrompt immédiatement toute vie affective et physique (alimentation, travail, sommeil, etc.).

De plus, l’idée de devoir porter un dentier produit chez certains patients un sentiment d’horreur de devenir « chauve de la bouche ». La « solution » pour désamorcer ce conflit affectif est alors peut-être : d’abord valider la souffrance, rassurer puis soulager et enfin expliquer. Tant qu’il souffrira, le patient ne sera pas accessible à nos explications, quelle que soit l’excellence de celles-ci. C’est peut-être la raison pour laquelle nous avons quelquefois des difficultés à nous faire « comprendre » des patients. Ne pas avoir compris (i.e. « prendre avec ») ce que le malade éprouve lorsqu’il souffre (physiquement et/ou psychiquement) implique de sa part une réaction de recul avec le sentiment qu’il n’a pas été « entendu ». Une réaction de défense du praticien ne ferait alors que renforcer celle du patient.

Enfin, on entend quelquefois : « Je ne peux soigner correctement que les gens que j’aime ». Avec une telle restriction, les patients pourraient se dire : « Pourvu que le dentiste m’aime, sinon gare à moi »6. On voit que dès que des émotions de cet ordre s’en mêlent, la relation se complique. Pour la sécurité des deux parties, il semble qu’il faille éviter de sélectionner les patients sur la base de « je vous aime » ou « je ne vous aime pas ».

On pourrait même dire que la véritable compétence consiste à soigner aussi bien les patients que l’on « aime » et ceux que l’on n’aime pas.

Les informations délivrées aux patients

Les sondages menés auprès des français indiquent que nos concitoyens demandent en priorité plus d’informations de notre part. Quoi de plus légitime, mais également, quoi de plus difficile ! Or, ces informations ne peuvent être délivrées – avec efficacité – qu’au cours de l’entretien (i.e. échange verbal entre deux protagonistes) de première consultation7.

Il est facile de comprendre que les informations ne peuvent pas être écoutées, entendues et intégrées si le patient est assis devant l’aveuglant scialytique avec les mains plus ou moins crispées sur les accoudoirs du « fauteuil » dentaire. Il semblerait que cet entretien nécessite une certaine intimité autour d’un bureau. Au cours de cet entretien, ce ne sont pas nos compétences et notre habileté manuelle qui sont mises en doute. Ce qui est en jeu ici, ce sont nos qualités « humaines », telles que la capacité d’écoute et celle à répondre dans un langage clair, sans hésitations, aux questions que le patient osera nous poser. Il est probable que nous « perdons » plus de patients à cause de la qualité de cet entretien plutôt qu’à la suite de gestes thérapeutiques inadaptés.

Au cours de ce dialogue ou de cette « conversation » (plutôt qu’à travers les réponses fournies dans un questionnaire ou un interrogatoire), les qualités humaines et médicales seront réciproquement évaluées. En effet, le savoir circule dans les deux sens : du patient vers le praticien et du praticien vers le patient. Selon l’état physique et psychique du chirurgien dentiste, le discours sera adapté (ou pas) à la personnalité du patient, à ses disponibilités économiques, à son état de santé physique ou psychique du moment. Le discours du patient dépend également des informations antérieures recueillies au cours d’autres consultations, de la lecture de la presse grand public, de leurs étiologies personnelles, etc.

Notre capacité à répondre aux attentes des malades sera également dépendante de nos connaissances et de leur intégration (d’où l’intérêt majeur de la formation continue tout au long de notre carrière).

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Le droit dans la médecine

Le droit a fait son entrée dans l’exercice quotidien de la médecine. Les patients deviennent, par effet de mode, d’année en année, de plus en plus procéduriers.

On « attaque » le dentiste, le médecin, le chirurgien. Cependant, si le droit et la justice jugent – et quelquefois condamnent – ce n’est pas le cas ni l’ambition de la Médecine qui tente seulement de résoudre les problèmes, quel que soit le patient.

Cette immiscion des règles du droit dans l’exercice de la médecine dentaire oblige les professionnels à rédiger des contrats de soins, des consentements éclairés, des factures, etc.

Cette contrainte n’était pas connue des chirurgiens dentistes des trente glorieuses. Elle est aujourd’hui incontournable même si on peut lui reprocher son côté administratif qui donne à la relation un aspect un peu froid.

Les honoraires

Dans le cadre d’un exercice libéral, le contact direct avec l’argent est inévitable. En dehors de sa valeur comptable et de sa capacité à payer les salaires, les cotisations et les factures, on peut se demander à quoi d’autre peut-il bien servir et quelle est sa place dans la relation traitant/traité ?

« Je ne saurai jamais comment vous remercier » disions-nous un jour à un prestataire de service en informatique qui nous avait sorti efficacement d’une « galère ». Il nous a répondu : « Depuis que les phéniciens ont inventé la monnaie, la question ne se pose plus ! ». Cette anecdote résume à elle seule un des rôles principaux des honoraires que nous règlent les patients : l’opportunité de se libérer, de la façon la plus facile qui soit, de la dette contractée à notre égard. Point n’est besoin alors de nous couvrir de cadeaux pour ces dents « sauvées », pour ce sourire retrouvé. Inutiles, les lettres dithyrambiques expliquant que nous sommes leur « sauveur ». Sans les honoraires, ils seraient en prison ! Dans ce cas, l’argent libère et n’aliène pas. Voilà donc pourquoi les patients pourraient dire en payant la note d’honoraires : « Voilà docteur, je suis quitte » (autrement dit, je suis « libre »).

La parodontie présente un aspect particulier par rapport à la plupart des actes de dentisterie. En effet, le praticien ne peut rien montrer de mesurable, de quantifiable comme en prothèse par exemple. Ce qui est « vendu » au patient est, en parodontie, un pur « service » et donc dépendant de la qualité du service et du prestataire. Cet aspect particulier de l’exercice de la parodontie nous « oblige », en quelque sorte, à accorder une importance à notre comportement. C’est donc notre attitude et nos compétences qui vont justifier une partie des honoraires.

Si le montant des honoraires n’est pas équivalent, de manière réelle ou imaginaire, aux bénéfices retirés du traitement parodontal, alors le patient ne manquera pas de nous le faire « payer » en refusant ou en retardant le règlement de ces honoraires !

Le personnel « auxiliaire »

Lorsqu’un jeune dentiste décide de s’installer, il sait qu’il lui faudra investir des sommes conséquentes dans le « matériel ». Peut-être faudrait-il en priorité investir dans le « personnel »8 pour assurer de la valeur ajoutée aux services rendus et afin d’éviter les répondeurs qui annoncent : « Je suis actuellement en soins, veuillez rappeler plus tard ! ». Comment peut-on ouvrir la porte, donner les rendez-vous, remplir les feuilles de soins, percevoir les honoraires, assurer la stérilisation et… soigner sereinement les dents des patients ? La peur d’engager du personnel est basée sur le fait que les coûts directs et indirects ne sont pas compatibles avec un exercice débutant. Certes, un élément humain supplémentaire dans le cabinet rend la gestion des ressources humaines plus délicate. Pourtant, oser investir (i.e. dépenser d’abord et être récompensé ensuite) d’emblée en « personnel » peut se révéler rapidement une source de satisfactions (i.e. rapidité et disponibilité aux soins, diminution du stress, meilleure qualité de la relation).

Au total, il semble donc que ce ne sont pas des « dents » que nos collaboratrices assistent, mais des « dentistes ». Ne devrait-on alors pas les requalifier en « assistantes dentistes » ?

Les soins locaux

Si l’on se repose sur l’ancien concept de « Vos dents se déchaussent parce que vous avez été négligeant et que votre hygiène dentaire n’est pas bonne », il est facile de comprendre qu’il y a un risque d’installer un rapport culpabilisant de type « Parent/Enfant » entre le chirurgien-dentiste et le malade.

À part pour certains patients qui souhaitent ce type de rapport, la plupart des patients adultes se sentent mal à l’aise devant un praticien qui lui reproche – en quelque sorte – d’être malade. Dans ce cas, le discours utilise des mots comme « Bon », « Mauvais », « Sale » « Propre » et « Hygiène » ainsi que les autres mots « collatéraux » comme « Frotter », « Brosser », « Laver », « Astiquer », « Nettoyer » qui n’ont pas leur place dans le langage médical.

Nous proposons donc de supprimer de notre vocabulaire « ces mots qui tuent » et quelquefois même humilient. Nous proposons de modifier le vocabulaire dans le but d’établir une relation plus médicale et plus compassionnelle en définissant les prescriptions de contrôle de plaque par « soins locaux » ou « traitement local de désinfection » qui impliquent que les prescriptions sont d’ordre thérapeutique et beaucoup moins de l’ordre de « l’éducation à l’hygiène bucco-dentaire ».

Pour illustrer ce propos, il suffit peut-être d’analyser la situation particulière du praticien dont un membre de sa famille demande la prise en charge de son « déchaussement ». À un moment ou à un autre, il faudra bien aborder la question des « soins locaux » de contrôle de plaque. Autrement dit, le fils (ou la fille) dentiste aura à indiquer et montrer à son père (ou à sa mère) comment il faut désormais « se brosser les dents ». Si le patient perçoit que son enfant (devenu adulte) va lui « apprendre à se brosser les dents », il se peut que ce dernier lui dise, un brin énervé(e) : « Sais-tu à qui tu parles ! ». La méprise et le désaccord peuvent venir du fait que le patient et le dentiste ne sont pas à leur juste place.

Alors, les prescriptions risquent de ne pas être observées et les rendez-vous de ne pas être respectés. La même situation peut se présenter s’il s’agit de prendre en charge un ami intime.

Il semblerait donc que l’on ne puisse pas soigner un « proche » car justement on est trop « proche » ! La distance qui sépare le praticien du patient est, dans ce cas particulier, trop courte.

La place des mots

« Les mots sont des véhicules qui transportent les messages échangés entre les êtres humains » (Cahen et Lefevre, 1989). Ils peuvent, par leur force, provoquer chez l’interlocuteur, des sentiments et des émotions générateurs de réactions dont la nature varie selon que les mots employés sont perçus comme agréables ou désagréables. L’émetteur (patient ou praticien) peut penser que le message est univoque. Mais l’interprétation des mots « entendus » varie en fonction de facteurs qu’ignore souvent celui qui les emploie. Le chirurgien-dentiste tente d’expliquer, de convaincre ou de modifier le comportement des malades en utilisant un jargon médical. Cependant, à force d’usage répété, les mots que nous employons tous les jours ne provoquent plus – chez nous – de réactions affectives.

Ils tentent de décrire objectivement la situation médicale du patient. Ainsi, expliquer que nous allons lever un « lambeau » peut être perçu comme « Nous allons mettre les gencives « en lambeau ».

Le « curetage à l’aveugle » ne veut pas dire que le praticien avance vers le parodonte avec une canne blanche et un labrador qui nous guide fidèlement.

Les « récessions » ne sont pas seulement gingivales, elles peuvent être aussi économiques. Les problèmes « d’occlusion » n’impliquent pas que le transit soit perturbé. Notre « Kavo » tout neuf n’a pas sa place au cimetière du Père Lachaise. Une « élongation coronaire » ne se réalise pas sur les artères du ventricule gauche. Les « migrations » ne seront pas résolues par le ministre de l’Intérieur.

On voit donc qu’au total, ironiquement, nous devions tourner sept fois notre langue dans la bouche avant d’investir celle du patient !

Signification de la bouche pour certains patients

Le tabac et l’alcool sont deux des principaux produits potentiellement addictogènes qui peuvent entraîner une dépendance à laquelle nous avons à faire face en pratique quotidienne.

S’agissant de l’alcool, le « produit » passe nécessairement par – au travers de – la bouche avant d’être avalé. La personne dépendante non-abstinente9 éprouve un très puissant sentiment de honte avant de « boire », pendant qu’elle boit et après avoir bu.

Ce sentiment fait que le malade et le produit sont souvent plus ou moins bien cachés. C’est probablement une des raisons majeures pour laquelle on ne confie pas facilement sa dépendance à celui que l’on vient consulter avec un « mal dedans ».

Le malade non-abstinent se demande bien sûr si le dentiste l’a vu, deviné – ou pire senti – puisqu’il est si près de l’organe qui voit passer l’alcool. Si oui, acceptera t-il de me soigner, c’est à dire prendre soin de « moi » ? Peut-il comprendre quelle est ma douleur ? Va t-il, lui aussi, comme mes enfants, ma femme, mon mari, mes amis, mon patron, mes collègues de travail, la police, me dire – avec force et conviction – que je devrais avoir la volonté d’arrêter de me détruire ?

Ainsi, lorsque nous demandons à un patient de bien vouloir se rincer la bouche, nous ne savons jamais si ce geste, apparemment si simple, de mettre « un verre à la bouche » ne va pas rappeler celui qui, plusieurs fois par jour, sert d’assouvissement au terrible manque.

Le sexe a t-il une place en parodontie ?

Les incisives coupent, les canines arrachent et les molaires écrasent. En un mot, la bouche dévore. Voilà ce que nous avons tous appris à l’école primaire.

Mais si les dents ne servaient qu’à mordre, mâcher ou réduire en menus morceaux les aliments, la profession de chirurgien-dentiste ne serait que très moyennement intéressante. En revanche, à écouter attentivement les demandes des patients et de ce qu’ils veulent réellement – et très souvent secrètement – faire de leur bouche, on se rend compte qu’elle est aussi un organe… sexuel ! Mais avançons à pas prudents et comptés, le sujet est chaud et le risque est grand de tomber dans les grivoiseries faciles.

Les enfants – toujours pertinents – ont vite compris que supprimer, en la noircissant, une incisive (toujours « supérieure ») détruisait immédiatement la grâce du plus beau des visages. Ils ont deviné que si nous avions un rendez-vous « galant » et perdu une incisive centrale, nous reporterions ce fameux dîner à l’enjeu pourtant important. En revanche, nous pourrions nous y rendre avec un bras dans le plâtre ou un nez cassé. La bouche, grâce à son sourire, est essentielle à la séduction. Les dents, partenaires et complices essentiels du sourire, font le chemin de l’amour, charnel ou pas. Notre mission – plus ou moins cachée – serait-elle donc de participer au dé licieux plaisir érotique de la séduction en rendant la bouche attirante et désirable ?

Ainsi, si le sexe n’est pas exprimé de manière explicite, il n’en est pas moins présent.

Le cabinet dentaire comme une entreprise

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Il en va des cabinets dentaires comme des entreprises où l’Homme tient une place essentielle et centrale : le « client » fait son choix car il en a la possibilité et le droit. Le patient choisit alors son dentiste en fonction de ses compétences techniques, mais aussi et d’abord, en fonction d’autres critères qui ne sont pas directement en relation avec sa capacité à réaliser des soins dentaires conformes. Le dentiste doit être « gentil », ne pas faire mal, écouter, donner des informations, répondre aux questions (même les plus embarrassantes), avoir des places de stationnement, être ponctuel, collaborer avec un personnel compétent, souriant et disponible, être ouvert à des heures adaptées et cætera.

Avant de prendre rendez-vous, les patients se renseignent avec une question simple : « Tu ne connaîtrais pas – par hasard – un bon dentiste ? ». Souvent, on leur indique la bonne adresse. Nous avons donc un a priori favorable et la confiance du patient avant même qu’il ne consulte. Il va maintenant falloir la mériter, ce qui n’est pas la moindre des difficultés.

Nous ne la gagnerons, ni la conserverons de nos jours, avec un accueil tel que : « Asseyez-vous ! Où est-ce que ça fait mal ? ».

Ainsi, si nous ne sommes pas des commerçants (e.i. des négociants), nous sommes des « prestataires de service » – certes particuliers – mais assujettis à toutes les vicissitudes des prestataires de service.

Le choix du dentifrice par les patients

En France, la majorité des dentifrices sont achetés dans les hyper ou supermarchés. Le reste, minoritaire en nombre, l’est en pharmacie sachant que relativement peu de dentifrices sont acquis au travers d’une prescription écrite ou orale. On peut donc supposer que lorsque le consommateur choisit « son » dentifrice, il le fait sous la pression des méthodes modernes du « marketing ».

Ainsi, on peut imaginer que l’acheteur d’Ultra Brite™ s’imagine volontiers en haut de la falaise, athlétique en diable, une rose rouge fermement maintenue entre des dents superbes avec une charmante et très jolie jeune femme l’attendant d’une brasse ferme. L’écologiste fixera plutôt son choix sur Vademecum™ sans oublier de préciser « Fluor et Plantes ». L’amateur de médecine parallèle ira « naturellement » vers Homéodent™ heureusement débarrassé de l’indésirable menthe. Quant à l’acquéreur d’Email Diamant™, il sera attiré par le courage et les attributs du taureau et du torero.

Ainsi donc, il n’est pas impossible que le choix du dentifrice nous indique – implicitement – la ou les raisons profondes pour lesquelles les patients consultent. Ce qui permet au praticien de s’adapter rapidement aux désirs non exprimés du patient.

Les métaphores

Quoi de plus difficile que de se faire comprendre ? Une des manières d’y parvenir est d’utiliser des métaphores. La voiture est quelquefois choisie avec un dialogue se rapprochant de : Vous avez bien une voiture que vous entretenez ? Eh bien, vos dents c’est pareil ! « Voilà, c’est gagné ! » pourrait- on se dire. Sauf que la voiture du patient est peut-être en panne ou volée – voire pire – vandalisée ou carbonisée. Il n’est donc pas impossible que la voiture évoque un vulgaire tas de ferraille dont le pare-brise est constellé de contraventions. Peut être même que l’assurance du patient n’a pas voulu prendre en charge le dernier dommage. Bref, une source d’insupportables soucis !

Afin d’éviter les grimaces et les signes du refus, peut-on suggérer qu’avant d’utiliser de telles métaphores, il faille prendre la précaution de dire qu’il ne s’agit que d’une comparaison ?

Le point de vue de l’assistante

Dans la relation traitant/traité, le rôle de l’assistante/secrétaire est-il aussi important que l’on pense ou, au contraire, représente-elle une « valeur ajoutée » capitale dans une pratique incluant la parodontie clinique ?

Définir le rôle (la place) de l’assistante présuppose qu’il faille déterminer le comportement que le praticien désire qu’elle adopte auprès des patients et qu’en retour l’assistante accepte que l’on lui « impose » ce rôle. Le projet, construit par le praticien/chef d’équipe, pour lequel chaque membre travaille chaque jour, doit être clair et partagé par tous et toutes. De « femme de ménage améliorée », le rôle de l’assistante a heureusement évolué vers celui d’une profession complexe de responsable administrative, experte en hygiène/stérilisation et en communication. Représenter l’image du cabinet est sûrement le premier rôle de l’assistante et de la secrétaire.

Un accueil professionnel et humain est le résultat d’une écoute compatissante, mais non soumise aux pressions.

La relation avec le patient débute très souvent au téléphone. Il est donc essentiel que la collaboratrice utilise cet outil au mieux (Charon et Joachim, 1999)10. Dès le premier contact, elle obtient des éléments précieux pour le praticien. Remplir une fiche téléphonique (plutôt qu’un simple rapport oral) au moment de la prise de rendez-vous est le seul moyen simple et efficace pour que le praticien puisse se préparer à recevoir le patient dans les meilleures conditions. Le rôle de l’assistante est d’être l’interface entre le monde médical et celui des malades. Elle traduit en langage accessible au patient un langage médical quelquefois abscons.

Quelle est l’assistante dentaire qui n’a pas entendu : « Et si c’était pour vous, que feriez vous ? » ou « Vous me comprenez mieux que le Docteur… ».

En réalité, l’assistante rassure par le fait qu’elle n’est pas dentiste. Elle ne tient aucun instrument bruyant synonyme de peur ou de souvenir de douleur.

C’est également à l’assistante que l’on « raconte », que l’on explique, que l’on « partage » des circonstances de la vie courante comme celles les plus graves. C’est à elle que l’on « confie » parfois ses problèmes d’argent, de travail ou les soucis avec les enfants.

Gérer la qualité de l’ensemble de l’organisation du cabinet est un des rôles de plus en plus important de l’assistante. La pression est forte entre les exigences du patient et la disponibilité établie par le praticien. En effet, les évaluations de la satisfaction des patients et la résolution des dysfonctionnements de l’organisation sont pris en charge par l’assistante.

Souvent dans le « faire », elle a les astuces qui permettent d’améliorer le travail au quotidien et la relation avec les patients.

En conclusion, ce serait une erreur de penser et d’agir pour que l’assistante soit la plus discrète possible et ne pas l’impliquer dans la réalisation même des plans de traitement.

Conclusions

Publier un article traitant du sujet de la relation humaine est risqué, voire prétentieux. Le sujet est tellement vaste et complexe qu’il ne peut pas être traité dans un simple article (voir les très nombreux ouvrages qui traitent de la question). Il ne s’agit en l’occurrence que de partager une expérience afin d’aider les confrères à exercer la parodontie avec plaisir en évitant les errements souvent en relation avec des maladresses plus que par goût du conflit.

S’agissant des rapports humains, la partie n’est jamais gagnée. Même les plus fidèles des patients peuvent nous quitter « fâchés ». C’est peut-être la raison pour laquelle il est judicieux de remettre en fin de traitement un questionnaire d’insatisfaction (plutôt qu’un questionnaire de satisfaction). En effet, il est possible que les patients difficiles soient justement ceux qui nous obligent à progresser. En effet, si les compliments nous font plaisir, ce sont les critiques qui nous font progresser.

Peut-on conclure en disant qu’un dentiste est à la fois un artiste par son sens du beau et un artisan par sa maîtrise du geste ?

Nota bene : Cet article s’est très largement inspiré des « billets d’humeur » publiés dans Le Fil Dentaire en 2007.

Bibliographie

1. Cahen J. et Lefevre M.R. – Les maux par les mots, Mercure de France, 1989.
2. Charon J. Billets d’humeur – Le Fil dentaire, 2007.
3. Charon J. et Joachim F. – Service patient/Service gagnant, 1996.
4. Charon J. – Parodontie Médicale. Innovations cliniques. CDP éd., Paris, 2009.
5. Charon J., Beaulieu J. et Joachim F. – La validation de l’observance thérapeutique. Le Fil dentaire, sous presse, 2011.
6. Cochet R. Mieux communiquer avec son assistante dentaire – Le Fil Dentaire 58 : 38 – 40, 2010.
7. Denys K. – Se connaitre et se reconnaitre pour améliorer la relation aidant -soignant/patient. PAD juin 2007.
8. Denys K. – Rôle de l’assistante dentaire dans la relation au patient. Convergence. Janvier 2010.
9. Lang J.F. Savoir communiquer. Independentaire 85 : 48 – 52, 2011
10. Olievenstein C. – Ecrit Sur La Bouche. Odile Jacob, 1995.
11. Salomé J. – Relation d’aide et formation à l’entretien. Presse Universitaire de Lille, 1993.

Remerciements

Les auteurs tiennent à exprimer leur gratitude et leur reconnaissance à leurs collaboratrices Madame Sophie HAMMOU, Mademoiselle Hélène DEKENS, Madame Nathalie DUBRUNFAUT et Madame Coralie DANEL au cours de la rédaction de cet article.

Nous avons également apprécié l’aide et les critiques constructives du docteur Alain RIVAULT et de messieurs Patrick RAMOS et Laurent OLLI.

1 À l’exception de Madame Kathy DENYS.
2 La compassion est le sentiment par lequel on est porté à percevoir ou ressentir la souffrance des autres, et poussé à y remédier.
3 Sauf, lorsque les dents servent à exprimer une colère rentrée comme lors du bruxisme par exemple.
4 Ce qui quelquefois amène le praticien à reprocher au malade de n’être pas « conscient » de son état parodontal.
5 Déléguer à un confrère ou une consœur compétente est également une forme de compétence.
6 Il lui arrive également de nous dire : « Docteur, ce n’est pas que je ne vous aime pas, mais moins je vous vois, mieux je me porte ».
7 Des informations peuvent être également délivrées dans des brochures à la disposition des patients dans la salle d’attente.
8 À ne pas confondre avec « à moi personnellement ».
9 Il en existe plusieurs millions dans notre pays.
10 On ne décroche pas le téléphone d’un cabinet médical comme à la maison..

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A propos de l'auteur

Dr Jacques Charon

Parodontiste exclusif, Lille

Kathy DENYS

Formatrice, Société KDF, Éclose

Dr. Joël BEAULIEU

Dr en Médecine dentaire, Laval, QUEBEC
Formateur à l’Académie de Paro (Aix en Provence)

Dr. Frédéric JOACHIM

Parodontiste/Implantologiste, Lille

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