Vous souhaitez vous mettre à la CFAO directe mais vous hésitez ? Vous vous posez surement plein de questions avec l’appréhension du passage à l’acte et du saut vers l’inconnu.
J’étais comme vous mais j’ai franchi le cap récemment. Je vous propose de vous faire part de mon expérience sur ces premières semaines où mon activité a basculé.
Voici mon témoignage, celui d’une omnipraticienne débutante en CFAO directe avec le système CEREC.
Exerçant en cabinet d’omnipratique orienté paro-implanto avec un associé depuis 2005, j’ai acquis un système CEREC complet avec caméra Omnicam (empreinte couleur, sans poudrage) et usineuse MCXL mi- décembre 2015 (fig. 1).
Cet achat s’est fait dans un contexte de conflit avec mon prothésiste, avec beaucoup d’incompréhension de part et d’autre, me donnant envie de plus d’autonomie. Si, avec du recul, cette raison ne doit pas être la motivation essentielle de l’achat d’un tel équipement, ce changement m’a permis au final de recréer une toute nouvelle relation plus saine avec mon prothésiste, car la CFAO directe permet aussi de faire de la CFAO semi-directe !…mais j’y reviendrai.
Bien déterminée à réussir l’intégration de ce nouvel outil à ma pratique, je me suis de suite fixée 3 objectifs simples à atteindre en un temps relativement court (2 mois) :
- Dans un 1er temps : réaliser toutes les couronnes unitaires des molaires et prémolaires ainsi que les onlays, si possible en une seule séance ;
- Puis dans un 2ème temps : réaliser les bridges de 3 dents.
- Enfin dans un 3ème temps : réaliser les dents antérieures.
Comme je n’avais aucun repère j’ai décidé de chronométrer toutes les étapes afin de réadapter le planning et de mieux évaluer les progrès réalisés.
Les préparations
Nous avons décidé d’organiser, au début, les rendez-vous des patients en créneaux d’1h30 de façon à pouvoir préparer et poser la couronne en une seule séance. Le traitement endodontique, et l’éventuelle reconstitution coronoradiculaire sont réalisés lors de la séance précédente.
D’autre part, il m’a fallu revoir mes préparations dentaires qui étaient certes adaptées à la prothèse conventionnelle et ses armatures métalliques, mais pas du tout à la CFAO et ses matériaux cosmétiques (composites, céramiques) usinés. Très rapidement j’ai compris qu’il me faudrait changer les formes de mes préparations et revoir les outils pour y parvenir. Pour me faciliter la réalisation de ces nouveaux profils de préparation, j’ai opté pour des coffrets de fraises spécifiques.
Ces sets contiennent notamment des fraises jauges de réduction occlusale qui permettent de calibrer la réduction de préparation aux matériaux utilisés (fig. 2) (1-4). Ces nouveaux gestes requièrent un réel apprentissage : les premières préparations sur molaires m’ont pris en moyenne 18 minutes, mais très rapidement ce temps est passé à 15 minutes, puis à 10 minutes.
Prise en main de la caméra et empreinte optique
Après avoir ouvert le fichier patient sur le logiciel CEREC, on renseigne très rapidement le type de restauration, le mode de modélisation (biogénérique, référence ou copie) et le matériau utilisé. Il est possible à tout moment de revenir sur ces informations.
L’empreinte optique est aussitôt réalisée après. Classiquement 3 acquisitions sont nécessaires : l’arcade préparée, les dents antagonistes et une vue vestibulaire des dents en occlusion.
Le rôle de l’assistante est très important et il faut l’impliquer totalement lors de cette séquence. En effet il faut:
- maintenir les lèvres, joues et langue à distance de la zone enregistrée,
- maintenir la zone à enregistrer sèche,
- bien enregistrer toutes les zones, surtout les parois proximales et les zones postérieures, même si la tête de la caméra est réduite,
- contrôler l’empreinte et la « nettoyer » le cas échéant en supprimant les éléments enregistrés à tort (joues, langue) de façon à alléger le fichier numérique.
J’ai donc investi dans des écarteurs (Optragate) pour me libérer des joues et bien « briefer » mon assistante sur le passage de la caméra et son attitude durant la prise d’empreinte.
Les premiers temps, plusieurs passages de la caméra m’étaient parfois nécessaires pour avoir une empreinte qualitative, mais les progrès se sont faits assez rapidement car la caméra est relativement maniable et tolérante aux erreurs de positionnement. Il faut dire aussi que l’absence de poudrage est un vrai plus et simplifie grandement l’ergonomie.
Mes premières empreintes optiques pour des préparations unitaires m’ont ainsi pris entre 4 et 10 minutes, correspondant au temps de prise pour les trois vues ainsi qu’au « nettoyage » de l’empreinte. Très vite, l’empreinte optique s’est révélé un acte rapide (moins de 2 minutes pour un élément unitaire) et intuitif.
La modélisation
C’est certainement la partie la plus complexe et la plus longue à assimiler. Pour éviter d’ajouter au stress des premières modélisations (où on tâtonne un peu avec les outils), le regard pesant du patient, j’ai souvent proposé au patient de patienter en salle d’attente pour travailler plus sereinement. C’est cependant une étape qu’ils affectionnent particulièrement. Il faut dire qu’il n’est pas rare d’avoir un petit « waouh » à l’apparition de la future restauration.
Tracé des limites
Pour le praticien débutant, il est difficile et déroutant de lire les contours de la préparation sur un écran. Malgré la netteté des congés en bouche, il faut un temps d’adaptation avant de savoir situer les contours sur le modèle virtuel. Certaines zones, en particulier lorsqu’elles sont juxta-gingivales, peuvent être difficiles à distinguer (fig. 3). Il faut avouer que voir ses préparations en grand sur l’écran vous rend humble.
Autant dire que les limites sous-gingivales sont totalement contre-indiquées (à juste titre d’ailleurs) car la caméra n’enregistre que ce qu’elle peut voir.
J’ai donc bien révisé toutes les techniques de déflexion gingivale : cordonnet, pâte astringente (ex : Expasyl®), bistouri électrique ou encore laser.
Tracer les limites d’une couronne simple m’a pris en moyenne 5 minutes pour les premières préparations puis 1 à 3 minutes pour les suivantes.
Conception de la prothèse virtuelle
Le logiciel propose le plus souvent une restauration très convenable. Il faut dire que les algorithmes de modélisation tiennent compte de la dent traitée, des dents adjacentes et même des dents antagonistes afin de faire une proposition la plus adaptée à la situation clinique. Il se peut néanmoins que l’on ait à modifier la forme proposée (par exemple la forme des points de contact, des embrasures, l’emplacement des cuspides…), ce qui peut prendre beaucoup plus de temps.
La première semaine, il m’a parfois fallu deux heures pour réaliser des couronnes dont je souhaitais modifier la forme. La prise en main via internet par un des prothésistes de la hotline du distributeur, a permis de résoudre de nombreux problèmes et éviter pas mal de crises de nerfs. Au bout de deux mois, les retouches nécessitaient encore de 5 minutes à 20 minutes de modélisation pour les cas complexes (absence de dent de référence, dents proximales inadéquates,…).
Cette phase de l’apprentissage est la plus longue, et nécessite encore de se former même après plusieurs mois d’utilisation.
Il faut dire que très rapidement, on peut ressentir l’envie d’exploiter au mieux le logiciel et de se lancer des défis.
L’usinage
Cette phase est automatisée. Après avoir choisi le bloc et défini la teinte, je délègue à mon assistante sa mise en place dans l’usineuse et le lancement de l’usinage. Il faut compter par exemple une dizaine de minutes pour l’usinage d’une molaire.
C’est une étape assez magique : sur les premiers cas, je restais scotchée avec le patient devant la machine à regarder le bloc s’usiner et voir apparaître petit à petit la restauration finale.
Notez qu’il faut posséder de nombreux blocs pour satisfaire toutes les formes et teintes de couronnes.
Après avoir retiré la tige d’usinage, la pièce usinée est essayée en bouche. Des retouches sont encore possibles à ce stade : macro-géographie, micro-géographie, points de contact,…
J’ai fait le choix dès le début de déléguer l’étape de finition (maquillage ou polissage) à mon assistante. Elle a suivi une formation en ce sens. Au final, tout le monde y trouve son compte : elle adore ça et cela me permet de me concentrer sur d’autres actes (soins, communication avec le patient,…).
Enfin même si je réalisais déjà quelques restaurations collées, il m’a fallu basculer sur du collage pour toutes mes restaurations usinées. Il m’a donc fallu mettre en place un protocole de collage fiable et reproductible. La formation de votre assistante sur les différentes étapes de conditionnement des pièces prothétiques (dont c’est la tâche) est, sur ce point, aussi essentielle.
Bilan des deux premiers mois :
J’ai finalement assez rapidement atteint mon premier objectif : réaliser des couronnes et onlays simples.
La principale difficulté a été la modélisation, en particulier au niveau du réglage des points de contact.
Nous avions prévu des séances trop courtes pour débuter. J’ai donc trouvé qu’il était plus confortable de prévoir une couronne provisoire (par automoulage par exemple) pour se laisser la possibilité de reporter la pose à une séance ultérieure en cas de galère.
Toutefois la réalisation en une seule séance étant très séduisante pour nos patients, une réorganisation du planning a donc été nécessaire (en intercalant par exemple des consultations ou urgences ou un détartrage pendant les temps morts d’usinage et de cuisson). Pour les huit premières couronnes, il nous a fallu une séance de deux heures pour préparer la dent, réaliser la couronne et la mettre en place. Ce temps s’est très vite raccourci pour les couronnes suivantes et s’est stabilisé à 1h30 durant toute notre phase de test de deux mois.
Les patients sont très satisfaits des résultats, en particulier du rendu esthétique. Ils se sont montrés très intéressés par cette nouvelle approche et sont les premiers ambassadeurs de cette technique, ce qui m’a poussé à persévérer.
J’ai réalisé mon deuxième objectif : poser des bridges de trois dents, mais en 2 séances compte-tenu du temps d’usinage (environ 45 minutes):
- première séance : préparation, empreinte optique et pose de bridge provisoire,
- inter-séance : modélisation, usinage, retouche des embrasures à la fraise diamantée, maquillage, cuisson,
- deuxième séance : pose du bridge définitif.
Les couronnes antérieures : j’ai réalisé peu de cas durant ces 2 mois, mais ils m’ont pris comparativement au reste plus de temps en modélisation et en maquillage (enjeu esthétique toujours plus important). Alors que la conception et la pose d’une dent postérieure prenaient environ 1h30, plus de deux heures auront été nécessaires pour réaliser et poser les premières couronnes sur incisive.
Je me suis donc fixé d’autres objectifs pour les 2 mois suivants :
- réaliser et poser plusieurs couronnes en 1h30,
- réaliser la préparation, le traitement endodontique pendant l’usinage puis poser dans la même séance,
- réaliser des couronnes antérieures plus rapidement et réaliser des facettes esthétiques.
Si vous décidez de sauter le pas et que vous voulez progresser rapidement, voici quelques conseils :
- organisez votre planning de façon à pouvoir préparer et poser en une séance longue, ou en 2 séances. Prévoyez une couronne provisoire de secours les premiers temps ;
- limitez vos premiers cas à des couronnes unitaires ou des onlays simples.
- respectez les critères de préparation CFAO pour éviter les fractures et les décollements. Pour cela équipez-vous de fraises adaptées à la CFAO directe et apprenez à vous en servir. Vous gagnerez en efficacité et en sérénité ;
- Conformez-vous aux exigences de l’empreinte optique et maitrisez l’accès aux limites cervicales ;
- Respectez les protocoles de collage. Cela vous évitera bien des déboires, notamment les fractures précoces de vos restaurations.
- Formez-vous ! Formez vous ! Formez vous ! En amont de l’achat (sur les critères de choix, les techniques d’empreintes, manipulation du logiciel, préparations et collage,…), pendant (accompagnement) et après (perfectionnement) : lecture d’articles, formations en ligne, study groups, séminaires, travaux pratiques, formations universitaires… la balle est dans votre camp !
Un dernier mot sur ma relation avec mon prothésiste. Elle est aujourd’hui plus sereine et plus complémentaire que jamais : je réalise au cabinet les cas simples que je sais pouvoir gérer facilement et pour les cas complexes, un clic et j’envoie mes empreintes au laboratoire. Car la CFAO directe n’interdit pas du tout, et au contraire, la CFAO semi-directe avec le laboratoire.
Conclusion
L’apprentissage du CEREC se fait pas à pas et passe par différentes étapes, comme tout apprentissage.
Chaque praticien évoluera différemment en raison de son expérience clinique, son habileté, sa motivation.
Il n’est pas rare (et ça m’est aussi arrivé) de passer par une phase d’incompréhension et de découragement : on peut ressentir un sentiment de frustration au début face à nos résultats pas toujours à la hauteur de nos espérances et au temps nécessaire pour les obtenir (à cela s’ajoute la perte de productivité) (fig. 7). Il faut se dire que cette phase est une étape normale. Il faut seulement qu’elle ne dure pas, d’où l’importance des objectifs et de l’accompagnement.
Attention : le CEREC n’est pas un gadget, ni un élément périphérique du cabinet. Il prend très vite une place centrale et nécessite une réorganisation globale (rendez-vous longs, communication, formation des assistantes et du praticien, adaptation du geste clinique, contact avec le(s) laboratoire(s)…).
Bibliographie
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Un commentaire
merci pour ce texte qui rassure