« Lequel d’entre nous, chirurgiens-dentistes employeurs, n’a pas été un jour découragé, angoissé ou simplement déboussolé, à l’idée de devoir recruter et former sa première ou nouvelle assistante dentaire ? ». Le Docteur Olivier Aron, doté d’un sens aigu de la pédagogie et d’une exigence redoutable, a toujours pris très à cœur la formation pratique de son personnel. Ne négligeant sous aucun prétexte aucune des étapes nécessaires à l’acquisition et au développement progressif des compétences régissant l’exercice professionnel de l’assistante dentaire, il nous livre avec générosité les clés de la constitution d’une équipe santé gagnante.
Constat et dégâts
- « La culture ‘‘managériale’’ est la grande absente de la gestion de nos cabinets dentaires. Tout y contribue : une législation du travail trop contraignante, un statut professionnel ambigu pour l’assistante dentaire qui se noie dans une polyvalence clinique et administrative improductive.
- Le recrutement des assistantes, qui font trop souvent le choix de cette profession par défaut. Rares sont les authentiques vocations.
- L’absence de prise de conscience des professionnels de santé que nous sommes, qui n’ont, de façon générale, pas compris l’importance du rôle que jouent les assistantes dentaires et qui continuent pour certains à déconsidérer cette profession difficile et exigeante, mais ô combien passionnante et enrichissante.
- La formation, enfin, parfois obsolète, régie par des principes incompatibles avec le profil d’une assistante moderne, préparée à la vie professionnelle au sein de cabinets adaptés à l’activité d’aujourd’hui et de demain. La formation ‘‘en alternance’’ au sein des cabinets ne garantit aucunement l’homogénéité des compétences et des apprentissages : c’est en fait tout le contraire, les acquis étant aussi divers que le sont les praticiens ‘‘formateurs’’ »
Quelles sont les conséquences de cette situation ?
- « La démotivation des praticiens, qui ne parviennent pas à trouver d’assistantes compétentes, capables d’intégrer rapidement un cabinet sereinement et d’y jouer leur rôle. Ils doivent déployer des efforts incompatibles avec leur activité de soins pour préparer leurs nouvelles recrues au travail qui leur incombe.
- La démotivation des assistantes elles-mêmes, qui souvent ont quitté un emploi parce qu’elles n’y trouvent plus de raison d’espérer et de s’épanouir ou sortent de formation sans qualification. Elles sont confrontées à des situations stressantes, contraintes de se montrer ‘‘opérationnelles’’ très rapidement, alors que leur nouvel employeur n’a ni le temps, ni l’énergie nécessaires à consacrer à leur formation. Les praticiens que nous sommes, consciemment ou non, n’acceptent pas l’idée qu’il va nous falloir déployer des efforts disproportionnés, alors que nous venons d’embaucher une assistante, en principe ‘‘qualifiée’’, dont nous attendons légitimement des performances à la hauteur de capacités présumées et revendiquées.
- Les assistantes se plaignent de ‘‘l’ambiance’’ de travail et les praticiens se désespèrent, finissant, à force de réactions inappropriées, par perdre celles qu’ils avaient souvent réussi à former dans la douleur… »
Comment sortir de cette impasse ?
« Pour l’avenir, il faudra qu’enfin, nos dirigeants, syndicats, Conseil de l’Ordre et pouvoir politique, dotent notre profession d’un circuit de formation de nos assistantes dentaires digne de ce nom. à mon sens, il ne pourra se concevoir que dans le cadre d’une profession totalement revalorisée, à l’issue d’une formation probablement universitaire, théorique et pratique. Elle pourrait utilement s’harmoniser avec celle des chirurgiens-dentistes eux-mêmes. Elle conduirait à la délivrance d’un diplôme universitaire valorisant et traduisant une capacité professionnelle et une compétence homogènes, assorti de modules de compétences (implantologie, hygiène, chirurgie, endodontie, stérilisation…). Il existe de nombreux exemples dans le monde de cette ambition, en considérant la noblesse d’une profession qui doit se revendiquer comme un véritable auxiliaire de soins. »
Préparer la formation de son assistante dentaire : anticipation et organisation
L’organisation du cabinet précède et accompagne la formation de l’assistante. Le praticien doit avoir préalablement édicté une politique de management personnalisée afin de pouvoir matérialiser ses ambitions.
- Rôles et fonctions précis de l’assistante.
- Horaires de travail et gestion des imprévus.
- Relations patientèle par objectifs et protocoles, ce qui englobe des notions aussi diverses que l’accueil, le temps des soins, les urgences, la facturation et le recouvrement des honoraires,…
- Gestion et organisation des stocks qui doivent être parfaitement répertoriés et inventoriés.
- Description précise des plateaux techniques et des protocoles cliniques pour chaque catégorie de soins.
Toutes ces données peuvent être colligées sous forme de fiches techniques, iconographies et de livrets de procédures qui seront à la disposition de l’assistante et constitueront autant la trame de la formation projetée, que le canevas du bon fonctionnement du cabinet.
Former son assistante dentaire : intégration, adaptation, enseignement
La formation et l’adaptation au cabinet sont deux notions différentes, trop souvent confondues. L’ADAPTATION au cabinet et à ses fonctionnalités, à ses us et coutumes, aux patients et à tout ce qui fait la singularité du lieu et des conditions d’exercice prend un peu de temps, mais ne constitue pas un obstacle majeur.
Acclimatation vs protocoles
Il faut accompagner l’assistante tous les jours, lui donner les clefs qui lui permettront de s’identifier le plus rapidement possible à son lieu de travail, mettre l’accent sur ses spécificités et lui donner accès à une « fouille » complète du cabinet. Elle devra produire les efforts nécessaires pour repérer les fournitures et produits et concevoir l’usage qui en est fait. Elle s’aidera de l’inventaire des stocks, dans lequel figureront la nature des produits et fournitures, leur usage et l’endroit où ils sont rangés.
Elle prendra connaissance des fiches techniques décrivant les tâches qui lui incombent le matin en arrivant, le soir en quittant le cabinet et les protocoles courants et répétitifs en cours de journée (tri de l’instrumentation et chaîne de stérilisation, traitement des aspirations, traitement/entretien de l’instrumentation rotative…). Dans un premier temps, c’est bien l’adaptation qui doit impérativement primer sur l’acquisition des compétences lors de la prise de fonctions. Elle seule permettra à l’assistante d’évoluer dans ce nouveau milieu avec une certaine aisance, avant d’entreprendre les efforts de formation qui lui seront demandés. Il ne faut pas négliger la pérennisation du bon fonctionnement du cabinet pendant cette période (15 jours à 3 semaines) et l’image renvoyée aux patients.
Objectifs pédagogiques vs objectifs de réalisation
La FORMATION de l’assistante dentaire est un autre chapitre. Il s’agit de conforter les acquis issus de la formation initiale et de l’expérience, de combler des lacunes parfois fondamentales, de développer de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs. De manière concomitante, il faut former l’assistante aux pratiques et aux gestes du praticien. Pour que le binôme en devenir ne s’écroule pas sous une foison d’informations désordonnées, parce qu’il faut dans le même temps ne négliger aucun aspect du fonctionnement et de la gestion du cabinet tout en assurant la continuité des soins, il est indispensable de hiérarchiser les tâches de travail et d’établir un planning d’objectifs clairement définis, puis d’en fixer les échéances. Cette initiative aura l’avantage de mobiliser l’attention du praticien autour de ses propres pratiques. Il pourra ainsi dans le même temps les évaluer et les modifier au besoin. Tous les registres doivent être abordés, en commençant par ceux qui relèvent de l’aptitude du praticien à travailler avec son assistante de manière efficace jusqu’au service des patients du cabinet.
Le programme pédagogique
Les étapes de formation : le fond et la forme
La formation initiale et obligatoire des assistantes dentaires telle qu’elle est assurée dans certains pays, est un pré-requis qui ne saurait représenter que l’une des conditions nécessaires, mais certes pas suffisantes, de la formation pratique (situation concrète de travail) de l’assistante dentaire. Qualifiée ou non, la majorité des chirurgiens-dentistes s’entendent sur la nécessité d’un « (re)formatage » de l’assistante, afin qu’elle s’adapte aux particularismes organisationnels du cabinet hôte, ainsi qu’aux pratiques de soins qui diffèrent d’un praticien à l’autre. Le praticien-tuteur doit donc impérativement définir un ordre de priorité des enseignements qu’il prodiguera à son assistante (de manière concomitante avec l’organisme de formation, si l’assistante dentaire n’est pas encore qualifiée).
- Attitude avec les patients selon les circonstances.
- Travail à 4 mains (préhension des instruments – distribution – séquences de travail et matériel dédié). Le travail en bouche du praticien constitue une priorité absolue. Il y va de l’aptitude du praticien à réaliser les soins en respectant le confort du patient et les exigences liées à la technicité des actes. Cette étape de la formation sera d’autant plus longue que l’assistante n’y aura jamais été véritablement confrontée. Ses capacités manuelles, de mémorisation et de synthèse seront éprouvées et détermineront également les niveaux de difficultés à franchir. Le praticien devra faire preuve de beaucoup de patience et d’abnégation. L’assistante, quant à elle, sera tenue de s’ouvrir à toutes les informations et connaissances qui lui seront délivrées et s’abstenir de juger le praticien sur la « forme » de l’enseignement qu’il dispense. C’est là une difficulté majeure. Le point d’équilibre est difficile à trouver et à maintenir. Chacun doit pouvoir s’appuyer sur une confiance réciproque qui tient en deux idées : l’assistante doit pouvoir compter sur la reconnaissance (la conscience) du praticien pour les efforts qu’elle fournit pour répondre à ses demandes ; le praticien doit pouvoir compter sur l’engagement sans faille de son assistante, qui reconnaît et admet que les étapes de formation sont longues et parfois pénibles et qu’elles ne doivent pas remettre en cause constamment le contrat qui lie l’employeur et sa salariée. Il faut considérer cette formation comme un partage. Dès lors, l’affectivité, qu’on le veuille ou non, est omniprésente au cœur de cette relation. La tension, la concentration, les efforts mentaux et les angoisses des uns et des autres font parfois ressurgir les aspects négatifs de la personnalité du praticien et de l’assistante. Si le « pathos » tient un rôle non négligeable dans le binôme assistante dentaire/praticien, c’est toujours par la rigueur de l’organisation et la stricte application des protocoles édictés dans le dialogue et en concertation, que certains conflits naissants sont désamorcés ou dépassés. La reconnaissance de l’autre est essentielle. Bien souvent, elle est sollicitée activement ou implicitement par l’assistante, qui oublie dans le même temps que le praticien a un égal besoin de reconnaissance pour l’énergie qu’il déploie à former sa proche collaboratrice !
- Enjeux, connaissances et pratiques des techniques de stérilisation et d’hygiène.
- Travail en conditions stériles.
- Connaissance des produits d’usage courant et de pharmacie. Il faudra les décrire et en expliciter l’usage.
- Connaissance des techniques de soins délivrés par le cabinet, y compris ceux qui pourraient être préconisés et délivrés par des correspondants.
- Formation aux conseils d’hygiène, à l’explication des ordonnances ou toute autre fonction liée à l’activité de soin que le praticien souhaite déléguer à son assistante auprès des patients. D’une manière générale l’assistante doit parfaitement comprendre les soins délivrés par le praticien. Elle doit donc pouvoir s’appuyer sur une formation précise concernant les actes et techniques mis en œuvre.
- Gestes et attitudes en cas d’urgence médicale ou de malaise simple.
Les conditions du succès : méthode et communication
La question des conditions de cette formation théorique et pratique (en sus de la formation initiale et obligatoire de l’assistante dentaire) est capitale. Plus encore, elle est la condition de réalisation des objectifs pédagogiques que le praticien assignera à son équipe santé.
- Les heures de formation en dehors du cadre des soins, hors la présence des patients, sont indispensables.
Le praticien devra préparer ces « entretiens » et l’assistante devra impérativement prendre des notes lorsqu’il s’agit de connaissances fondamentales ou bien de l’actualisation d’apprentissages gestuels. Elles doivent être programmées dans l’agenda, dans le cadre des heures de travail légales et dûment préparées (sommaire et contenu). Elles peuvent faire l’objet d’un compte-rendu de la part de l’assistante, qui devra résumer l’ensemble des savoirs acquis lors de chaque séance. - Que faire (ou ne pas faire), dire (ou ne pas dire) devant les patients ? Cette question est centrale et récurrente, cristallisant une incompréhension des contraintes d’un cabinet dentaire, à la source de nombreuses récriminations. Qui d’entre vous n’a pas entendu de la part de son assistante : « …pas devant les patients… »
« Nous, praticiens, sommes soumis à une double contrainte : l’obligation de la continuité des soins d’une part et la nécessité de former nos assistantes, d’autre part. Nos assistantes, si elles ne sont pas directement responsables des carences de leur formation de base, ne peuvent pas pour autant l’ignorer, du moins ne pas en tenir compte. C’est un travers courant qui relève davantage du péché d’orgueil que de la nécessaire prise de conscience de cette double réalité. Nous devons exécuter nos soins dans des conditions de sécurité et de confort pour le patient, mais également pour nous-mêmes. Nous ne pouvons nous soustraire à ces obligations et sommes par conséquent tenus de donner toutes les instructions à nos assistantes, qu’elles leurs soient agréables ou non, en présence du patient, pour que les gestes qu’elles effectuent et les positions qu’elles adoptent se déroulent selon un cahier des charges compatible avec nos exigences.
Lorsqu’il est possible d’effectuer des corrections ou régulations en dehors de la présence du patient, ce moyen est évidemment à privilégier. Mais cela est bien souvent illusoire ou impossible. Cette prise de conscience est capitale et constitue souvent un chapitre à part entière de la formation elle-même. À mesure que le temps s’écoule, ce type d’interventions doit se faire plus rare, jusqu’à disparaitre quasiment complètement. Sans quoi, il faut y voir le signe d’un échec de la formation interne. »
Le praticien s’abstiendra bien entendu, autant que faire se peut, de remarques désobligeantes ou
dégradantes.
À l’inverse, l’assistante s’efforcera de ne pas considérer des remarques techniques, même insistantes, comme des attaques personnelles, mettant en jeu son intégrité morale ou intellectuelle. Cette distanciation, de part et d’autre, est fondatrice d’une relation de qualité transcendant les difficultés inhérentes à la formation. Le praticien prendra par exemple soin de présenter sa nouvelle assistante à ses patients, de la valoriser à leurs yeux, tout en leur expliquant que pour leur délivrer les meilleurs soins, il se doit d’assurer une partie de sa formation pendant les soins. Ainsi seront levées toutes les ambiguïtés nées des circonstances. Le praticien devra prendre soin de souligner les progrès de son assistante et son efficacité dans l’accomplissement des objectifs. - Des réunions de développement viendront ponctuer, tous les mois, la vie du cabinet. Elles seront l’occasion, entre autres sujets, de pointer l’évolution des apprentissages en rapport avec les objectifs assignés.
Elles seront préparées soigneusement, par thèmes et l’ordre du jour sera respecté scrupuleusement. Un compte-rendu sera édité et remis en copie à chacun des acteurs du cabinet. - L’effort de formation devra être poursuivi tout au long du partenariat qui lie l’assistante et son praticien. Le perfectionnement, les corrections d’habitudes prises en rupture avec les objectifs initiaux, l’introduction de nouvelles approches cliniques ou organisationnelles, l’adaptation à de nouvelles techniques apportées par le praticien, seront autant d’occasions de redynamiser l’équipe.
« Il est impossible de rendre compte de manière exhaustive de l’immense travail, des charges émotionnelles souvent violentes, des frustrations ou des joies, des déceptions ou des satisfactions de l’équipe de soins, formée par le praticien et son assistante. Cette aventure humaine n’est pas un long fleuve tranquille. L’acquisition de compétences fondamentales en management odontologique (ce qui n’a rien à voir avec les dérives du développement organisationnel : rentabilité horaire et travailler de moins en moins en prétendant gagner de plus en plus… !) est à ce titre nécessaire : si tous les praticiens prenaient conscience de ces lacunes théoriques et pragmatiques communes qui désorientent leur exercice parfois de manière difficilement réversible, on ne parlerait quasiment plus de cette obsession inopérante et malsaine de rentabilité qui a conduit certains cabinets dans les méandres du productivisme, parfois au détriment de la qualité des soins. Au bout du compte, rien n’est plus important que notre épanouissement professionnel et celui de nos assistantes, à travers la qualité des soins que nous délivrons, en vue de la satisfaction de nos patients. À ce titre, le métier d’assistante dentaire est riche, varié : il demande beaucoup de rigueur, d’attention aux autres, une grande force de caractère doublée d’un engagement de tous les jours. Il y a peu de métiers qui allient le bonheur du contact humain, une forte dose de technicité, d’importantes responsabilités, vécues avec une réelle autonomie et l’avantage de travailler vraiment en équipe. À nous praticiens de créer pour l’avenir de nouvelles conditions d’exercice et d’exiger de nos dirigeants des systèmes de formation à la hauteur de ces enjeux, pour celles qui sont nos ‘‘bras droits’’. Nous pourrons ainsi former nos assistantes plus sereinement et ces dernières trouveront davantage de plaisir dans l’accomplissement d’un métier enfin reconnu et valorisé. »