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100 ans d’anesthésie diploïque : Le progrès fait rage !

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L’article princeps sur l’anesthésie diploïque dans la littérature francophone date de 1907 (5), et il nous paraît justifier pleinement une sorte de commémoration. L’exégèse de l’ouvrage du Dr Nogué, professeur à l’école française de stomatologie, dentiste des hôpitaux de Paris, sobrement intitulé «Anesthésie » (4) (Fig.1), peut sembler complètement dépassée ; nous avons la faiblesse de croire que le livre recèle quelques pépites. À titre documentaire, aux États-Unis, le Dr Hein faisait des anesthésies intra-osseuses, intra-ligamentaires et intra-septales depuis juillet 1906, sans qu’il ait publié lui-même à ce sujet (3).

Nous désirons confronter les éléments établis voilà cent ans en revisitant les classiques, ce qu’il en reste aujourd’hui selon les « experts », et la modeste expérience clinique que nous en avons.

Les généralités sur l’anesthésie locale

Signalons d’abord que ce manuel décrit cinq modes d’anesthésie générale dont celle au protoxyde d’azote, qui semble susciter un regain d’intérêt sous le vocable moderne de sédation consciente (MEOPA).

Une donnée générale toujours d’actualité est particulièrement soulignée (p. 290) : « L’injection deviendra indifférente ou nocive selon que la substance toxique aura pénétré dans les tissus lentement ou vite. » L’injection lente et progressive que l’on retrouve dans tous les manuels d’anesthésie (1 ml par minute) était déjà mise en exergue.

 

Bien sûr, l’adrénaline est présente et déjà son intérêt est souligné très clairement (p. 222) : « On peut donc conclure de l’observation des faits que l’adrénaline augmente le pouvoir anesthésique de la cocaïne et permet en tissu sain ou enflammé de diminuer en proportion marquée la dose de Ou encore (p. 224) : « La durée de l’anesthésie est considérablement

Il y a 100 ans, l’adrénaline était perçue comme un produit particulièrement intéressant à utiliser alors qu’il y a toujours aujourd’hui de nombreux praticiens qui se posent la question : « avec ou sans adrénaline ? »

L’anesthésie dans les tissus enflammés posait déjà des problèmes : citons la thèse du Dr Charles Cavaroz : « Contribution à l’étude de l’anesthésie diploïque » en 1909 (p. 52) : « On sait à quels échecs aboutissent les injections gingivales de cocaïne dans les cas de périostite alvéolo-dentaire, ils sont si fréquents qu’on a pu dire que la cocaïne était sans action sur les tissus enflammés. Nous avons réussi cependant à obtenir dans ces mêmes circonstances une anesthésie parfaite. » Suivent douze cas cliniques particulièrement parlants.

Description des diverses techniques d’anesthésie locale

Pour l’anesthésie dentino-pulpaire est évoquée « l’anesthésie pulpaire par compression » qui est notre anesthésie intra-pulpaire, dont la réputation est déjà bien établie : « La pénétration du liquide anesthésique dans la chambre pulpaire se traduit par une douleur assez vive. » (p. 348). Cette « technique » est encore abondamment préconisée, évidemment plus par ceux qui la pratiquent que par ceux qui la subissent.

Les premières expériences portant sur l’anesthésie para-apicale remontent à 1908. Très rapidement, il est apparu que cette anesthésie fonctionnait moins bien à la mandibule (p. 360) : « Mais il faut reconnaître que, comme tous les procédés hypodermiques, celle-ci réussit moins facilement à la mâchoire inférieure.»

L’anesthésie diploïque en première intention

Une page plus loin, le remède aux anesthésies mandibulaires qui fonctionnent mal était déjà trouvé : « Enfin si, malgré toutes ces précautions, l’injection pratiquée dans la région de l’apex ne donne pas de résultats, Chompret conseille de recourir aux injections diploïques qui permettent de mettre la novocaïne directement en contact avec le paquet vasculo-nerveux au sein même des mailles du diploé. » (Fig. 2).

L’anesthésie diploïque

Fig. 2 : Matériel utilisé en 1907 avec foret de White 107 ou 108. Fig. 3 : Résumé des techniques anesthésiques en 1907.

L’anesthésie de la dentine et de la pulpe par les injections diploïques a été décrite dès 1907, c’est-à-dire avant la para-apicale. Suivons la démarche intellectuelle de l’auteur (p. 362) : « On comprend donc que, après avoir obtenu par l’injection diploïque une anesthésie absolue des tissus péri dentaires, nous ayons cherché si cette anesthésie s’étendait à tous les éléments nerveux entrant dans la constitution même de la dent. Dans l’affirmative en effet, on pouvait espérer obtenir bientôt par ce procédé l’anesthésie tant cherchée de la dentine. Nos deux premières tentatives prouvèrent que nos expériences n’étaient pas chimériques, car les résultats pratiquement obtenus nous parurent, ainsi qu’au confrère présent, absolument probants…, la dent put être complètement fraisée et même obturée séance tenante. Chez l’une et l’autre patiente, qui furent revues pendant plusieurs semaines, on ne nota aucun accident consécutif, ni du côté du maxillaire ni du côté des dents. » L’efficacité et l’innocuité locale, ainsi que l’immédiateté de la technique diploïque étaient cliniquement démontrées.

Les excellents cliniciens de 1907 avaient déjà pratiqué des anesthésies diploïques maxillaires par voie palatine. Loin d’être le fruit du hasard, ce choix résultait d’une décision parfaitement motivée. Nous laissons parler le Dr Cavaroz (2) (p. 28) : « Au maxillaire supérieur, la perforation peut en principe être pratiquée soit du côté palatin, soit du côté vestibulaire.

Mais l’expérience a prouvé qu’il était infiniment préférable d’opérer du côté palatin, et cela pour deux raisons. La première, c’est que la muqueuse recouvrant la voûte palatine n’a qu’une sensibilité beaucoup plus obtuse que la muqueuse vestibulaire.

La deuxième raison est tirée de l’adhérence extrême à l’os sous-jacent, de la muqueuse palatine. Cette muqueuse se laisse aisément perforer, et, la perforation faite, ne glisse pas sur les tissus sous-jacents.

C’est dire qu’ici le pertuis muqueux correspondra toujours au pertuis osseux ». La découverte de la voie d’accès palatine plus facile et indolore était exposée (Fig. 3). Il y a 100 ans, on avait observé que la muqueuse palatine était moins sensible que la muqueuse vestibulaire et cependant, aujourd’hui encore l’anesthésie palatine est redoutée par les patients et par les praticiens !

Les avantages de la méthode « diploïque », d’après Cavaroz, étaient les suivants : « – Premièrement : l’emploi d’une quantité minime d’anesthésique, il est rarement nécessaire d’employer plus de 1cm³ pour les molaires ;

– deuxièmement : l’anesthésie très rapide et complète en une à deux minutes au plus est d’une durée amplement suffisante pour préparer les cavités ou enlever la pulpe de deux dents adjacentes ;

– troisièmement : pas de réaction postopératoire ni d’enflure. »

Les questions qui fâchent

Le Dr Cavaroz et le Dr Nogué, tous deux médecins, étaient des pionniers, des découvreurs, sans se départir de l’esprit de la science expérimentale. Avant de se lancer sur le vivant, ils ont fait des études anatomiques sur des maxillaires, en injectant dans des os secs une solution d’acétate de plomb, pour visualiser la diffusion d’un liquide à l’intérieur du diploé (Fig. 4). Ils sont arrivés aux conclusions suivantes (p. 20) : « Au maxillaire, le foret n’a aucune chance de pénétrer dans le sinus s’il est tenu perpendiculairement au bord alvéolaire à une distance de sept ou huit mm du collet des dents ». À la mandibule (p. 24) : « La conclusion pratique à tirer de ces données anatomiques sera la suivante : pour éviter de blesser le nerf dentaire en perforant la table interne de l’os, il suffira de ne jamais pratiquer cette perforation au-delà de 8 ou 10 mm au-dessous du collet des grosses molaires et de la deuxième prémolaire. »

Les expérimentations de laboratoire permettaient déjà de lever les risques potentiels liés à certains voisinages anatomiques.

Une autre question interpellait très légitimement les praticiens de l’époque : en faisant une perforation dans la corticale, n’exposait-on pas le maxillaire à un risque théorique d’infection ? La réponse apportée n’est pas directe : « Sans en donner la raison, nous avons déjà insisté sur ce phénomène en apparence si paradoxal. Nous ne sommes pas les seuls d’ailleurs à affirmer cette sorte d’immunité dont jouit le maxillaire. » (Nogué). Le Dr Cavaroz, dans sa thèse, la signale excellemment : « Une fois de plus, dit-il, l’expérience pratique vient mettre en défaut la théorie, et nous ne pouvons mieux répondre à cette objection qu’en lui opposant notre statistique de 1200 cas, dans lesquels nous n’avons pu noter l’apparition du moindre trouble infectieux. Il y a là autre chose qu’une suite de coïncidences heureuses. » Déjà, la théorie tentait de prendre le pas sur les réalités cliniques, mais ces praticiens, avant tout excellents cliniciens, y opposaient une étude indiscutable, car forte de 1200 cas. Qui, aujourd’hui, peut présenter une telle casuistique ? L’innocuité locale de l’anesthésie diploïque était soutenue par la clinique.

Au cours de leurs travaux, ces auteurs ont observé « l’absence pour ainsi dire complète d’accident syncopaux pendant l’anesthésie diploïque, malgré qu’elle nécessite une intervention plus importante que les simples piqûres de l’anesthésie gingivale » et ont émis l’idée que, dans le tissu spongieux de l’os, l’absorption était plus lente que dans les autres tissus. Pour vérifier cette hypothèse, ils ont réalisé une expérimentation in vivo, consistant en une injection de bleu de méthylène intramusculaire et une injection diploïque de ce même bleu de méthylène, amenant les résultats suivants : « De ces deux observations, il ressort que l’apparition du bleu de méthylène dans les urines des sujets en expérience s’est faite, dans les cas d’injection diploïque, environ trois quart d’heure plus tard que dans l’injection intramusculaire. De même la durée d’élimination de l’injection diploïque dépasse, dans la première observation de treize heures, dans la deuxième de neuf heures le temps d’élimination de l’injection intramusculaire. ». En clair : l’injection intra-diploïque n’équivaut pas à une injection intramusculaire.

Ces résultats ont été obtenus par une expérimentation audacieuse, « à l’ancienne ». On est allé plus loin, en 2005, par une expérimentation sans doute plus rationnelle, mieux contrôlée, et aboutissant à la conclusion que l’injection intra-osseuse ne saurait être assimilée à une injection intraveineuse, pour les quantités que nous utilisons (6).

Petits exercices de détection de paralogismes et autres sophismes

Ainsi, on reste abasourdi de lire en 2006 un véritable sortilège de ce qui se fait de mieux en matière de paralogisme, avec la certitude dogmatique de ceux qui ont raison – presque – de naissance. Un siècle après Nogué, on lit dans « À propos de l’anesthésie locale en chirurgie buccale » (Réalités cliniques, juin 2006) (2), que « l’injection diploïque est souvent comparable à une injection intra-vasculaire. » : pourquoi « souvent » ? Ou que « l’infiltration des tissus osseux spongieux est, médicalement, l’équivalent d’une voie intraveineuse souvent utilisée en réanimation ». On peut lire sous la plume des mêmes auteurs : « L’innocuité de ces techniques n’a pas été démontrée. » Ou encore, dans un style vaguement Kafkaïen : « Bien qu’aucun accident n’ait été rapporté, le risque potentiel décrit dans d’autres spécialités […] n’est théoriquement pas exclu », formule lapidaire qui a ceci de pratique qu’elle peut s’appliquer à toute et à n’importe quelle activité humaine ; « le principe (forage cortical) est rarement expliqué au patient, pas plus que les risques potentiels » : cela s’appelle un « appel à la peur » ; « les incidents que nous avons rencontrés et partagés avec d’autres confrères… » : il s’agit encore d’un appel à la peur, agrémenté d’un paralogisme communément qualifié de généralisation hâtive, dans laquelle en outre, l’anecdote supplante l’argumentation.

Si on n’a certes pas le coeur à reprocher à quiconque de ne pas faire remonter une bibliographie jusqu’en 1907, on peut s’étonner par contre que le travail de Wood et coll. en 2005 (6) n’ait pas retenu l’attention de ces universitaires, prompts à mettre en doute les qualités scientifiques des autres. Ne vouloir lire que ce qui renforce ses propres convictions, cela s’appelle néanmoins la « suppression de données pertinentes ». Quant à savoir s’il s’agit là de paralogismes ou de sophismes, c’est l’intention de tromper ou non son auditoire qui fait la différence.

Par ailleurs, toujours dans l’ouvrage de Nogué (p. 308-309), des observations très intéressantes, faites par le Dr Pôlet, concernent « l’injection distale », qui serait à la fois ligamentaire et diploïque, dont la description correspond à l’anesthésie intra-septale de nos jours. Il note qu’il obtient régulièrement deux dents anesthésiées et souvent trois ou quatre dents, voire six. Exceptionnellement, il obtient l’anesthésie de tout le maxillaire. En clair, le nombre de dents anesthésiées dépend de la quantité injectée. La typologie et les caractéristiques des techniques intra-osseuses que sont les intra-septales, et transcorticales était déjà établie par des observations particulièrement précises et pertinentes qui s’opposent totalement à la classification donnée par un groupe de travail de Toulouse et cosigné par 19 chefs de service dans « Emploi des vasoconstricteurs en odontostomatologie, recommandations » (7) où les anesthésies intra-septale et intradiploïque sont qualifiées de « ponctuelles » !

Que s’est-il donc passé en un siècle ?

Au risque de choquer, nous inclinerions à répondre : « pas grand’chose ». 100 ans pour oublier la clinique, 100 ans qui ont permis de… régresser pour beaucoup d’entre nous. La théorie veut toujours avoir raison de la réalité clinique, et s’il devait y avoir un retour à l’éternelle querelle des anciens et des modernes, nous pensons que les modernes ne sont pas toujours où on pourrait espérer les trouver.

En dehors de progrès pharmacologiques importants quant aux molécules anesthésiques et l’apparition de l’assistance dans l’injection, qui constituent des pas en avant notables, on constate que, dès 1907, tout était décrit, tout était dit, en se fondant sur un grand nombre d’observations réalisées par différents cliniciens sans aucuns a priori, sur des études in vivo et sur le cadavre, sans jamais éluder les questions gênantes : ces précurseurs avaient établi – non pas seulement suggéré – l’intérêt majeur de l’adrénaline, l’impératif d’une injection lente, l’insuffisance des techniques tronculaires et para apicales, les qualités positives des anesthésies diploïques en termes d’efficacité, d’immédiateté, de sécurité tant locale que générale.

Il persiste beaucoup de confusion dans l’esprit des praticiens quant aux techniques anesthésiques intra-osseuses et quant à leur facilité d’utilisation. Beaucoup ont des préventions à l’encontre de ces techniques et les facultés, notoirement françaises, leur accordent une place limitée. Aujourd’hui encore, malgré les données fondamentales parfaitement claires, étayées par une bibliographie internationale abondante, subsistent bon nombre de contre-vérités, pour ne pas dire pire.

Pourquoi ces arguments, pour et contre, sur lesquels on brode en rond ?
D’une part, parce que la majorité des auteurs, singulièrement français, qui parlent de l’anesthésie intra-diploïque donnent des conseils d’autant moins objectifs sur ce type d’anesthésie qu’ils ne l’ont manifestement que très peu pratiquée : en effet, dès lors qu’on ne pratique pas une technique soi-même, la partialité commence, on perd son objectivité.

D’autre part, parce qu’on a oublié la clinique, on a négligé le sens de l’observation qui est la base du métier médical et enfin, parce que la facilité et la routine finissent toujours par l’emporter sur la rigueur exigeante. Il est plus facile de vider une cartouche en para apical, d’attendre que cela marche et d’en mettre une ou deux de plus si cela ne marche pas.

Alors qu’une injection diploïque, telle que décrite il y a 100 ans, nécessite une minute de réflexion (où injecter, en fonction de la localisation, de la morphologie radiculaire, de la densité osseuse ; quel produit, et en quelle quantité, selon le contexte pathologique général et local ; pour quel objectif en termes de durée et d’extension de l’analgésie, etc.) et deux minutes d’attention dans la réalisation, pour un résultat systématique, une diminution des quantités injectées et une amélioration du confort du praticien et du patient. Où sont passés nos cliniciens d’antan ?

Que s’est-il donc passé en un siècle

Bibliographie

1. CAVAROZ C. Contribution à l’étude de l’anesthésie diploïque. Thèse, Paris, 1909
2. CHARRIER J-L, MILLOT S. À propos de l’anesthésie locale en chirurgie buccale. Réalités cliniques. 2006;17:189-199
3. NEVIN M. Problems in dental local anesthesia. Dental items of interest publishing company, inc. Brooklyn, 1952
4. NOGUE R. Anesthésie. J.-B. Baillière et Fils, Paris, 1912
5. NOGUE R. Anesthésie diploïque-Revue Stomatologique n° 4, avril 1907
6. WOOD M., READER A., NUSSTEIN J., BECK M., PADGETT D., and WEAVER J. Comparison of intraosseous and infiltration injections for venous lidocaïne blood concentrations and heart rate changes after injection of 2 % lidocaïne with 1:100,000 epinephrine. J Endod. 2005;31:435-8
7. Emploi des vasoconstricteurs en odontostomatologie, Recommandations Groupe de travail (Toulouse) Médecine buccale Chirurgie buccale, vol. 9, n°2, 2003

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A propos de l'auteur

Dr. Thierry COLLIER

Docteur en Chirurgie Dentaire
BORDEAUX

Dr. Alain VILLETTE

Docteur en Sciences Odontologiques

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