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La CFAO en questions

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La CFAO dentaire concerne aujourd’hui avant tout la prothèse, même s’il n’est pas interdit de penser que toutes les disciplines de l’odontologie seront un jour concernées par les moyens de la CFAO. Cet acronyme signifie Conception et Fabrication Assistées par Ordinateur (en anglais CAD-CAM). Si les premiers concepts mis en place en France par François Duret, à partir des années 70, ont permis à ce chirurgien dentiste-chercheur de présenter dès 1985 la première réalisation mondiale de couronne CFAO lors des entretiens de Garancière, le ras de marée technologique qui déferle sur la prothèse dentaire ne permet pourtant pas à notre pays de toucher les dividendes de son effort d’innovation. Où en est-on ?

Quels sont les principes généraux de la CFAO dentaire ?

Comme dans l’industrie où cette technique est utilisée depuis des dizaines d’années, la CFAO permet d’usiner automatiquement des pièces obtenues à partir d’un fichier numérique : la pièce à fabriquer est modélisée sur un écran d’ordinateur. Dans l’industrie, le plus souvent, ces maquettes numériques sont issues de logiciels de CAO qui ne tiennent pas compte d’un environnement spécifique : on dessine un implant, une aile d’avion ou un engrenage à l’écran, ex nihilo. Pour une prothèse dentaire le cas est différent car elle doit s’adapter à un support particulier (la dent préparée) et à un environnement unique (les dents proximales ou antagonistes, les volumes des crêtes…). Par ailleurs, chaque pièce est unique. Avant de pouvoir faire la maquette numérique de la prothèse qui sera usinée, le prothésiste doit donc connaître son support et son environnement. En prothèse traditionnelle c’est le modèle de travail (issu de l’empreinte) qui donne ces éléments. En CFAO les données sont obtenues par scannage du modèle de travail. La chaîne technologique comprend donc trois étapes :

  • Le scannage est actuellement fait par le prothésiste dentaire, soit par palpage (Procéra) soit optiquement. Le scannage optique s’apparente à une série de photographies numériques qui sont traitées informatiquement pour reconstituer une image en 3D du modèle de travail. Pour les pièces simples, inlays onlays en particulier, le scannage peut être fait directement en bouche (Fig. 1). Certains évoquent une « CFAO directe ». En réalité, le développement des possibilités informatiques aboutira vraisemblablement à une généralisation des scannages en bouche, véritable empreinte optique.
  • La maquette numérique (CAO) est obtenue à l’écran, le prothésiste modelant sa pièce en 3D de façon analogue à ce qu’il fait avec de la cire et une spatule chaude. La maquette numérique est donc l’ensemble des coordonnées de tous les points constituant l’objet à réaliser (Fig. 2).
  • L’usinage (FAO), c’est la prise en charge par une machine à commande numérique des informations décrivant la maquette réalisée à l’écran. Il est automatique et peut concerner simultanément plusieurs pièces voir des dizaines de pièces. Les machines à commandes numériques peuvent produire toutes sortes de pièces prothétiques et peuvent faire appel à différents matériaux : résine, céramiques, métaux…

Soustraction ou addition ?

Les premières machines utilisées en CFAO dentaire, et encore le plus grand nombre d’entre elles, travaillent par soustraction : à partir d’un bloc de matériau, par soustraction de copeaux (par fraisage), on aboutit à la pièce correspondant à la maquette numérique. Avec une très grande précision puisque par exemple, la société Kavo annonce une précision à 15+/- 5 microns pour sa machine 5 axes. La nature du bloc de matériau correspond au choix du matériau retenu pour la prothèse ; sa dimension est choisie en fonction de la dimension de la ou les pièces attendues (Fig. 3).

Maquette-numérique-à-l’écran

Fig. 1 : Caméra permettant une saisie directe en bouche des volumes dentaires destinés à recevoir un inlay-onlay par la technique Cerec. Fig. 2 : Maquette numérique à l’écran. Système Everest Kavo. Fig. 3 : La machine Etkon permet d’usiner différents matériaux et toutes sortes de prothèses fixées, en zircone ou en titane.

L’industrie, pour les pièces complexes qui ne peuvent être obtenues par usinage classique ou par coulée, dispose de machines qui travaillent par adjonction. Des grains de métal sont agglutinés, très précisément au sein d’une couche de poudre de ce métal, par microfusion laser. Les points de microfusion sont déterminés par les coordonnées de la maquette numérique, et, par couches successives l’agglutination des grains métalliques aboutit à l’élaboration de la pièce programmée. Le faisceau laser est bien entendu piloté par l’informatique (Fig. 4).

L’adjonction permet aussi de réaliser des maquettes en cire ou en résine calcinable par des sortes d’imprimantes 3D à jets de cire ou de résine. Ces maquettes sont destinées à être secondairement coulées par les méthodes de la prothèse traditionnelle (Cynovad).

Production sur place ou délocalisée ?

Les technologies évoquées sont encore chères et inaccessibles aux petits laboratoires ou cabinets dentaires.

Aujourd’hui, diverses propositions sont faites pour que tous puissent accéder aux prothèses CFAO :

  • Un matériel réduit, complet (scanner, logiciel CAO et machine outil), permettant l’usinage par soustraction, est disponible depuis quelques années pour les laboratoires moyens (10 à 15 employés) auprès de grands fournisseurs : Sirona, Kavo, Degudent, Bien Air, Schein… Les laboratoires équipés de ces matériels peuvent, à partir des modèles de travail en plâtre habituels, produire des pièces prothétiques adaptées aux demandes les plus fréquentes de chirurgiens dentistes, et à des coûts compatibles avec le marché français.
  • Une autre option consiste à maintenir le scannage et l’élaboration de la maquette numérique au laboratoire, mais à délocaliser l’usinage des pièces qui demande l’investissement le plus lourd. Le prothésiste dentaire envoie par email ses fichiers numériques à un centre d’usinage spécifique (par marque). Procéra, à Stokholm, est le premier à avoir développé ce type de délocalisation : son usine produit près de 3 000 chapes par jour… un seul prothésiste est sur place. De nombreuses autres sociétés ont emboîté le pas et l’on trouve de nombreux centres d’usinages en Allemagne : Etkon Straumann, Cercon, Bego… Une forme de sous-traitance est proposée par 3M ESPE avec son système LAVA : quatre laboratoires pilotes sont répartis dans notre pays, permettant de répondre aux différents prothésistes qui veulent profiter de l’usineuse LAVA (capable d’usiner 20 000 pièces par an), tout en bénéficiant d’une certaine proximité entre professionnels (Fig. 5).
  • Depuis quelques temps, des centres de production dits « ouverts » proposent une plus grande souplesse car ils visent à traiter n’importe quels fichiers numériques et non les fichiers spécifiques à une marque.

Dès lors, les prothésistes peuvent travailler avec des logiciels « ouverts » (fichiers STL) pour sous-traiter leur production dans des centres plus concurrentiels.

Ces centres de production ne vendent aucun matériel et se veulent indépendants. Cette démarche, souvent menée par des prothésistes dentaires, a le mérite de limiter les investissement des petits laboratoires et semble se développer : Diadem, Libertyscan, Numérique prothèse…

Métal ou céramique ?

L’usinage par addition concerne surtout les métaux (acier et titane) la cire et la résine calcinable. La production par soustraction, actuellement la plus développée, s’adresse avant tout à la céramique, même si on peut aussi usiner du titane par fraisage, en particulier pour la prothèse implantaire.

Les nouvelles céramiques ont été l’élément principal qui a permis le développement de la CFAO dentaire :

  • L’alumine (Al2O3), du fait de sa translucidité, est proposée par Procéra pour les éléments antérieurs unitaires sur dents vivantes. Sa relative fragilité ne permet pas de réaliser des armatures de bridges.
  • La zircone (ZrO2) est le matériau de choix pour les armatures CFAO de prothèse fixée. Sa résistance (de l’ordre de1000 Mpa) permet de réaliser des armatures de bridges de grande étendue. On distingue deux formes de zircone à usage prothétique :

– La zircone HIP, très dur, très difficile à usiner, nécessitant des machines très puissantes et beaucoup de temps, permet de réaliser des pièces prothétiques très fines, à échelle 1:1 sans frittage secondaire. Son usinage est peu répandu.
– La zircone TZP est un matériau relativement tendre car incomplètement densifié. C’est par un frittage secondaire qu’il acquiert ses qualités mécaniques exceptionnelles.

Une des difficultés techniques consiste donc à savoir usiner une pièce surdimensionnée d’environ 20 à 30%, de telle sorte qu’après le frittage secondaire, elle retrouve très précisément l’échelle 1:1 (Fig. 6). Aujourd’hui, cette étape est parfaitement maîtrisée. Les qualités mécaniques de la zircone, son aptitude à être colorée dans la masse, sa biocompatibilité absolue lui permettent de répondre à la plupart des besoins prothétiques.

La-microfusion-laser

Fig. 4 a et b : La microfusion laser permet d’agglutiner des particules métalliques par couches successives pour obtenir le volume initialement programmé. Fig. 5 : Machine à Usiner LAVA de 3M ESPE. Fig. 6 : Armature Cercon (Degudent) dans son berceau après usinage et avant frittage. La pièce est 20 à 30% plus grande que la pièce finale obtenue après frittage et revenue à l’échelle 1:1 pour se disposer sans effort sur le modèle initial.

Quelles conséquences cliniques ?

Au début de la CFAO, un certain nombre de contraintes cliniques nouvelles se sont imposées aux praticiens : formes de préparation, moyens d’assemblage… Actuellement, grâce à l’emploi de la zircone, les formes de préparation, même s’il est recommandé d’éviter les arrêtes vives ou les anfractuosités qui pénalisent le scannage, sont tout à fait classiques et ne nécessitent pas de mutilation supplémentaire des dents supports.

De même, l’assemblage d’une infrastructure de zircone sur les piliers dentaires ou implantaires peut se faire avec tous les ciments traditionnels de la prothèse métallo-céramique. Pour l’alumine, les colles restent recommandées, ou éventuellement les CVIMAR selon la procédure de scellement optimisé.

Quelles indications ?

Mise à part la prothèse complète (sans implants), toutes les prothèses dentaires sont concernées par la CFAO, même si les châssis métalliques sont encore rarement réalisés par ce moyen. La prothèse fixe sur dents naturelles (chapes, armatures de bridges, éléments métalliques pleins) et la prothèse implantaire (piliers, armatures unitaires ou plurales) qu’elles soient métalliques ou en céramique peuvent être réalisées par CFAO pour la plupart des cas (Fig. 7).

Une grande indication de la prothèse CFAO en zircone est liée à sa biocompatibilité. A l’heure où l’on cherche à éliminer les métaux lourds de la bouche, les qualités biologiques et l’absence de toxicité des céramiques constituent des atouts majeurs. La véritable limite du recours à la zircone comme infrastructure prothétique est liée au fait que les connexions entre les différents piliers ou inters doivent respecter certaines dimensions qui peuvent être contradictoires (en cas de dents courtes) avec la santé des papilles interdentaires.

La prothèse métallo-céramique conserve ici toute son indication.

Quel avenir ?

L’avenir de la prothèse CFAO est d’abord lié aux évolutions technologiques des composants qui en font la puissance.

  • Des progrès sont toujours envisageables en ce qui concerne les matériaux même si la zircone semble correspondre à un optimum inespéré il y a encore quelques années.
  • Les avancées en matière d’informatique (microprocesseurs, puissance de calcul, logiciels…) permettent d’entrevoir à la fois la prise d’empreinte optique en bouche et l’usinage en centres de production ouverts. Va-t-on vers la remise en cause de l’étape du laboratoire de prothèse ?
  • La législation n’est pas sans influencer le recours aux prothèses CFAO. Le retard pris par la France dans ce domaine est, pour partie, lié au fait que la sécurité sociale n’a pas pris en charge les prothèses numériques.

Un récent rapport de la HAS semble indiquer que les choses pourraient évoluer… au moment où l’on envisage la sortie complète de la prothèse dentaire des actes pris en charge par la sécurité sociale ! Tout vient à point pour qui sait attendre.

prothèses-fixées-avec-armature-zircone

Fig. 7 a, b et c : Exemples de prothèses fixées avec armature zircone.

Conclusion

Si la prothèse CFAO pose des questions aux praticiens, aux prothésistes dentaires ou à quelques décideurs d’administrations ou d’assurances, il faut pourtant garder à l’esprit qu’elle apporte surtout des réponses :

  • prothèses plus respectueuses des normes biologiques,
  • meilleure prise en compte des impératifs de précision entre le cabinet et le laboratoire,
  • traçabilité incomparable,
  • absence de modification des habitudes des praticiens,
  • coût compatible avec la plupart des exercices.

Bien sûr, on peut se cacher derrière son petit doigt et dire que « de nouvelles études mieux documentées sont nécessaires avant d’affirmer l’innocuité des prothèses CFAO » ; mais c’est oublier que des millions de prothèses CFAO sont scellées en bouche depuis des années. Si la France avait voulu conserver son leadership initial en matière de CFAO médicale, il aurait fallu évincer les frileux et soutenir les créateurs. Il y a des ruptures qui se font attendre.

On a la prothèse et le pays qu’on mérite.

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A propos de l'auteur

François UNGER

MCU-PH en prothèses, Nantes
Exercice libéral.

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