Dans la société actuelle, l’esthétique prend une part de plus en plus importante et cette demande se retrouve également dans la pratique de la chirurgie dentaire où de plus en plus de patients exigent des résultats de traitement hautement esthétiques. Pour cela, les praticiens doivent effectuer une analyse poussée qui inclut une analyse du visage, dento-gingivale et dentaire. Cependant, il existe un risque que les résultats obtenus ne répondent pas aux attentes du patient en raison d’une incohérence entre la conception du sourire et la personnalité du patient. Récemment, un nouveau logiciel est apparu sur le marché : VisagiSMile®. Ce logiciel se base sur le concept du visagisme et permet, à partir d’une analyse faciale et d’un questionnaire psychologique, de déterminer quels traits émotionnels et de personnalité les patients souhaitent exprimer à travers leur apparence et, spécifique à la dentisterie, à travers leur sourire.
Objectifs
En se basant sur ce concept, VisagiSMile® va, à partir d’un questionnaire psychologique, proposer un tempérament dominant pour lequel correspond une forme d’incisive maxillaire. Pour un patient ayant un tempérament « fort », on aura une forme d’incisive maxillaire rectangulaire, pour un tempérament « dynamique » une forme d’incisive maxillaire triangulaire, pour un tempérament « délicat » une forme d’incisive maxillaire ovale et une forme carrée correspondra à un tempérament « calme »(1). Il y aurait donc, selon VisagiSMile® une relation entre la forme des incisives maxillaires et le tempérament.
L’objectif principal de notre étude était d’établir s’il existait une concordance entre la forme des incisives maxillaires (IM) et le tempérament dominant (TD) déterminé par le questionnaire psychologique VisagiSMile®.
Pour les objectifs secondaires, nous avons étudié cette concordance en fonction des caractéristiques de l’échantillon et également la concordance entre la forme de l’incisive centrale maxillaire et la forme du visage.
Matériel et méthodes
Il s’agissait d’une étude transversale observationnelle. Quatre-vingt-quatre étudiants de l’UFr d’Odontologie de l’université de Bordeaux ont été inclus dans l’étude. Les étudiants ont été soumis au questionnaire psychologique du logiciel VisagiSMile® et des clichés photographiques de type « portrait » et intrabuccaux ont été réalisés. L’étude de la concordance entre la forme des IM et le TD et entre la forme de l’incisive centrale maxillaire et la forme du visage a été évaluée par le calcul d’un coefficient Kappa de Cohen. L’évaluation de la concordance selon les caractéristiques de l’échantillon a été réalisée grâce à une régression logistique, d’abord en univarié puis en multivarié.
Visagismile® fonctionne en 2 grandes etapes(2)
La première étape est l’analyse faciale. après avoir placé une série de points sur le visage, le logiciel va proposer 4 types de tempérament sous forme de pourcentage : fort, dynamique, délicat et calme. Les 2 tempéraments les plus forts seront retenus (dominant et secondaire). Dans la configuration du sourire, le tempérament dominant décrira l’axe et la symétrie des dents antérieures, la ligne des zéniths et des embrasures. Le tempérament secondaire décrira la taille des incisives (dominante, modérée) et la forme de l’arcade. (fig. 1)
La deuxième étape consiste de répondre au questionnaire psychologique VisagiSMile®. Ce questionnaire est une version adaptée du test du Dr Dellinger basé sur la psychogéométrie et du questionnaire de personnalité d’Eysenck qui mesure deux grandes dimensions de la personnalité : l’extraversion-introversion et la stabilité-névrosisme. A partir des réponses, le logiciel va proposer 4 types de tempérament sous forme de pourcentage : fort, dynamique, délicat et calme. Les 2 tempéraments les plus forts seront retenus (dominant et secondaire). Dans la configuration du sourire, le tempérament dominant décrira la forme des incisives centrales : rectangulaire, triangulaire, ovale, carrée. Le tempérament secondaire décrira la forme des canines : rectangulaire, pointue, courbe.
Résultats
L’échantillon comprenait 84 sujets dont 31 % de sexe masculin, la moyenne d’âge était de 24,71 ans, 13,1 % avaient un tempérament fort, 31 % avaient un tempérament dynamique, 27,4 % avaient un tempérament délicat et 28,6 % avaient un tempérament calme. Leurs caractéristiques sont présentées dans le tableau 1.
Concernant le résultat principal, nous avions 30/84 sujets soit 35,7 % qui avaient une concordance entre la forme des IM et le TD. Le coefficient Kappa était égal à 0,098 [0,098 ; 0,098]) soit un accord très faible.
Tableau 1 : Caractéristiques de la population en fonction de la forme des dents observée
Tableau 2 : caractéristiques associées à la concordance entre la forme des incisives maxillaires observée et le tempérament dominant issu du logiciel VisagiSMile®, analyse multivariée.
Concernant les résultats secondaires, en multivarié, les sujets ayant des IM ovales ou rectangulaires avaient significativement une plus faible concordance entre la forme des IM observées et le TD que ceux ayant des IM carrées (Or=0,18 et 0,10 ; IC= [0,04 ; 0,79] et [0,02 ; 0,57]). Pour les autres caractéristiques que sont le sexe et le tempérament, aucune différence significative n’a été mise en évidence (tableau 2).
Enfin, l’étude de la concordance entre la forme de l’incisive centrales maxillaire et la forme du visage observées montrait que 32/84 sujets soit 38,1 % avaient une concordance. Le coefficient Kappa était égal à 0,11 [-0,12 ; 0,34]) soit un accord très faible.
Discussion
La confrontation de nos résultats aux données de la littérature a montré, pour le résultat principal, une seule étude évaluant la concordance ente la forme des dents et le tempérament. Elle incluait 50 sujets de 18 à 30 ans, les résultats étaient exprimés en pourcentage et établissait une concordance entre la forme des dents et le tempérament(3). Concernant le résultat secondaire, 3 études évaluaient la concordance entre la forme des dents et celle du visage et aucune d’entre elles ne trouvaient de concordance entre ces 2 variables(4–6).
Cette étude nous a permis d’identifier les avantages et inconvénients de VisagiSMile®. Parmi les avantages nous avons sa facilité d’utilisation et son ergonomie. Les étapes sont intuitives et rapides. Il facilite la communication avec le prothésiste grâce à une fiche de laboratoire détaillée. C’est également un outil pédagogique qui va aider les patients à mieux comprendre les étapes et les enjeux liés au traitement. VisagiSMile® propose depuis peu l’impression 3D du mock-up.
Concernant les inconvénients, en se basant seulement sur l’étude de 2 photographies VisagiSMile® va manquer de précision par rapport à d’autre logiciel tel que le Digital Smile Design (DSD) ou le Virtual Esthetic Project (VEP) qui s’appuient sur l’étude de plusieurs photographies et plus ou moins des vidéos(7,8). L’étalonnage de logiciel a été réalisé à partir de sujet essentiellement de type caucasien et n’est donc pas fiable pour les autres types de population. Lors de l’étape de l’analyse faciale, il y avait une mauvaise reconnaissance du visage en mode automatique ce qui avait pour conséquence de proposer des tempéraments différents que lorsque les points étaient placés manuellement sur le visage. a propos du questionnaire psychologique VisagiSMile®, nous n’avons pas trouvé d’étude validant ce questionnaire. Enfin, l’aperçu du projet virtuel manquait de réalisme ce qui pourrait limiter le patient dans la projection de son futur sourire.
Notre étude a certaines limites. Tout d’abord, la faible taille de l’échantillon qui n’était pas représentatif de la population et incluait essentiellement des étudiants en dentaire ce qui pouvait induire un biais de sélection. La prise de photos intrabuccales différait légèrement de celle proposée par VisagiSMile® mais cela n’a pas eu d’influence sur nos résultats. L’analyse de la forme des dents et du visage étant purement subjective cela a pu induire un biais de mesure. Cette étude présente également des forces, c’est la première étude menée sur VisagiSMile®. Les résultats sont basés sur des tests statistiques et l’analyse de la forme des dents et du visage a été réalisée par un opérateur unique ce qui limite les biais de mesure.
Conclusion
Il n’y aurait donc pas de concordance entre la forme des incisives maxillaires et le tempérament et il n’y aurait pas de concordance entre la forme de l’incisive centrale maxillaire et la forme du visage. Compte tenu de nos résultats et sous réserve des limites de notre étude, l’apport du visagisme dans les projets esthétiques virtuels ne semble pas présenter d’intérêt majeur en odontologie.
La bibliographie exhaustive est disponible en ligne sur
Lefildentaire.com/bibliographie-articlelfd158-zampetti-roulland/
