Dépister chez le très jeune enfant un problème orthodontique naissant ou en devenir, représente une difficulté pour le chirurgien-dentiste qui doit, de surcroit, répondre aux inquiétudes des parents. L’objectif de cet article est de donner aux praticiens les clés pour la détection et la décision d’intervenir ou d’adresser à un orthodontiste. Deux âges-clés ont été choisis : 4 ans, pour un enfant en denture temporaire et 8 ans pour un enfant en denture mixte.
L’évaluation commence à l’arrivée du patient qui accompagne le plus souvent ses parents. L’observation débute par l’appréciation générale de la posture de l’enfant à son insu dès les premiers contacts (Fig. 1). Un déséquilibre statural exprime un déséquilibre fonctionnel, l’ensemble peut avoir des conséquences sur la croissance crânio-faciale, celle des maxillaires en particulier.
La première consultation a lieu en présence des parents. L’anamnèse médicale incluant l’analyse du carnet de santé, permet de prendre en compte la complexité éventuelle des antécédents médico-chirurgicaux du patient.
Par exemple, un terrain atopique, l’existence d’allergies, ou de pathologies ORL, qui peuvent être à l’origine de troubles ventilatoires, étiologie fréquente du trouble du développement maxillo-facial. À 4 ans, l’enfant vient d’établir sa denture temporaire. Certaines fonctions orofaciales ne sont pas matures. Au niveau buccal, c’est le cas de la déglutition et parfois, de la phonation. Les traitements sont rares à cet âge. De plus les traitements en deux temps posent le problème de la période intermédiaire, dite de suspension de traitement et de leur efficience face aux traitements en un temps à l’adolescence.
Il existe des indications justifiant une interception précoce : les classe III squelettique, les problèmes transversaux ou la trisomie 21 où une thérapie interceptive donne des résultats.
À 8 ans, l’enfant atteint un degré de maturation psychologique, physique et comportementale qui lui permet une meilleure compréhension d’une prise charge thérapeutique éventuelle. L’exigence d’une hygiène bucco dentaire stricte peut être assurée. L’enfant se trouve dans une période stable de sa dentition entre deux phases actives. C’est une période idéale pour lancer un traitement d’interception…
L’enfant en classe de cours élémentaire ou moyen est généralement très compliant et facilement motivable. Il est alors nécessaire de constituer une équipe basée sur le trio enfant, parents, soignant.
Avant toute démarche thérapeutique, la phase d’évaluation est primordiale. L’examen clinique est la base, il permet d’indiquer les examens complémentaires afin d’établir le diagnostic, d’où découle le plan de traitement.
Examen exo-buccal
De face, on évalue : la symétrie globale du visage, des déviations éventuelles, la forme du nez – largeur des narines – ensellure, l’expression des yeux – forme des paupières – orientation des fentes palpébrales – cernes…
De profil, on évalue son harmonie – convexe, concave, la proportion verticale des étages, la position relative du nez, des lèvres et du menton. Ces éléments peuvent être révélateurs de décalages squelettiques.
La recherche de troubles fonctionnels, notamment ventilatoires, doit être systématique (Fig. 1 et 2). Elle se base sur l’interrogatoire et la sémiologie.
Cette démarche, notamment dans les cas de classe III, est justifiée avant 6 ans où la prise en charge est précoce (Fig. 3).
Examen intra-buccal et radiographique
À 4 et 8 ans, l’examen intra-buccal s’accompagne naturellement d’examens complémentaires dont la panoramique dentaire à partir de 6 ans. L’hygiène est le premier élément d’appréciation. La démonstration de la méthode de brossage est nécessaire et quasi systématique. L’examen du parodonte est aussi nécessaire pour dépister un frein lingual trop court ou des freins labiaux mal insérés. Dans les tableaux 1 et 2 ont été résumées les caractéristiques propres à l’examen endo-buccal de l’enfant en denture temporaire (Tableau 1) et mixte (Tableau 2). À 4 ans, les anomalies les plus importantes à rechercher sont l’absence de diastèmes, prémices de la DDM (Fig. 4) et d’usure des canines, signe d’une mastication non équilibrée (Fig. 5) ainsi que des rapports inter-arcades de classe III.
L’évaluation radiographique est un complément indispensable (Fig. 6 et 7). À 8 ans, la panoramique met en évidence les anomalies de nombre (agénésies, dents surnuméraires), les obstacles à l’éruption dentaire ou les risques de rétention des canines. Il permet également d’évaluer l’encombrement et le gain d’espace potentiel lié au remplacement des molaires de lait par les prémolaires (Lee Way)…
Signes de ventilation buccale
- cernes
- oreilles décollées
- fentes palpébrales orientées en bas et en dehors
- ensellure nasale peu marquée, bleutée
- nez étroit, narines hypotoniques,
- mucosités nasales abondantes (sèches)
- pommettes effacées
- lèvres gercées
- béance labiale
- menton crispé lors de la fermeture labiale
- profil adénoïdien décrit par Robin : cyphose thoracique et lordose cervicale accentuées
- gingivite antérieure
- déficience transversale maxillaire
Examen fonctionnel
En denture temporaire ou mixte l’objectif est le diagnostic et la correction des dysfonctions et des parafonctions.
La ventilation buccale est la dysfonction la plus importante à dépister (Fig. 1 et 2). La sémiologie présente sur le visage peut être caractéristique de perturbations de la ventilation nasale. Il est alors indispensable d’évaluer la ventilation diurne et nocturne.
Les signes à rechercher pour diagnostiquer une ventilation buccale sont résumés dans l’encadré. La ventilation diurne est marquée par un comportement apathique ou hyper-actif, suivant les individus et le moment de la journée. Le patient au repos ventile par une fente labiale entre-ouverte, que l’on relève quand il regarde la télévision ou qu’il lit.
Un patient qui présente une ventilation buccale nocturne a soif la nuit ou au réveil. Il a un sommeil agité, fait des cauchemars et a des terreurs nocturnes (liés à l’hyperthermie cérébrale). Il bouge beaucoup dans son lit, transpire, ronfle et se lève pour uriner.
Ces patients peuvent présenter un terrain allergique. Les troubles ORL associés peuvent être des tonsilles palatines (amygdales) et pharyngées (végétations) hypertrophiques, des otites ou rhinites récurrentes. En lien avec la ventilation, l’enfant de 4 ans doit savoir se moucher.
Quel que soit l’âge, la mastication est habituellement bilatérale alternée. Il est important d’observer une usure bilatérale des canines temporaires (Fig. 5), qui signe une nourriture suffisamment dure au sein d’une alimentation équilibrée. La présence d’une canine pointue est un signe de dysfonction.
La déglutition est la seule fonction qui devient mature vers huit ou neuf ans (Fig. 8 et 9). Une rééducation avant cet âge pourra aider à prendre conscience d’une dysfonction marquée.
La recherche de parafonctions (onychophagie, mâchouillage de crayons…), bruxisme, voire d’érosions liées à des reflux gastro-oesophagiens doit se faire à tout âge.
Conclusion
Le praticien doit être alerté par une posture globale perturbée ainsi que par un enfant qui présente une ventilation buccale au repos.
À 4 ans, seule la classe III est à prendre en charge. À 8 ans, tous les éléments sont à évaluer dont le dépistage de la rétention potentielle des canines permanentes.
Qu’il s’agisse d’un patient de 4 ans ou de 8 ans, l’examen devra évaluer la psychologie du patient et de son entourage afin de s’assurer une adhésion de l’enfant nécessaire à la prise en charge orthodontique.