En matière dentaire comme dans tout domaine médical, une fois le diagnostic porté et le choix thérapeutique fait, il reste à mener à bien l’action thérapeutique envisagée : C’est là le domaine le plus classique de la faute de technique médicale. Les fautes reprochées aux chirurgiens-dentistes portent le plus souvent sur les soins qui présentent un caractère invasif et peuvent donc prétendre au qualificatif chirurgical. Les chirurgiens-dentistes, de par leur pratique même, sont en effet des professionnels de santé particulièrement exposés à commettre des fautes dans la technique opératoire. La Cour de cassation a posé le principe d’une obligation de précision du geste chirurgical et a été amenée, au fil du temps, a en préciser le contenu et la portée.
Le principe énoncé par la jurisprudence
La Cour de cassation met à la charge du praticien une obligation de précision du geste chirurgical ou de chirurgie dentaire.
Plusieurs décisions de la Cour suprême caractérisent l’évolution sa position.
La notion d’absence de maîtrise du geste chirurgical a tout d’abord été évoquée par la Cour de cassation dans une décision mettant en cause un chirurgien. La haute cour a retenu qu’ « engageait sa responsabilité le chirurgien qui, au cours d’une intervention chirurgicale portant sur une côte, blessait par maladresse une artère » (Civ.1ère 7/01/1997).
Quelques mois plus tard, la Cour s’est prononcée sur la responsabilité d’un chirurgien dentiste à qui l’on reprocha d’avoir laissé échapper un tire-nerf ingéré par le patient. A l’appui de sa défense, le chirurgien-dentiste a fait valoir qu’il s’agissait d’un simple incident thérapeutique, dont le risque est inhérent à toute intervention de chirurgie dentaire et ne pouvait constituer une faute médicale. Mais la Cour suprême a considéré que « toute maladresse d’un praticien engage sa responsabilité et est, par la même, exclusive de la notion de risque inhérent à un risque médical » (Civ.1ère 30/09/1997).
Dans une autre affaire, un chirurgien-dentiste, en procédant sur son patient à l’extraction d’une dent de sagesse, provoqua une fracture mandibulaire. La Cour de cassation retint sa responsabilité, considérant que le praticien par ce fait avait commis une faute dans l’exécution du contrat le liant à son patient, repoussant l’argumentation du praticien qui invoquait le caractère imprévisible et relativement classique de ce type d’incident (Civ.1ère 3/02/1998).
Dans une affaire plus récente, la Cour de cassation a précisé que, lorsque la réalisation d’une intervention médicale n’implique pas l’atteinte à la personne du patient qui s’est produite au cours de celle-ci, la faute du praticien ne peut être écartée que s’il existe une anomalie rendant l’atteinte inévitable pour réaliser l’intervention. Elle a donc considéré responsable le « praticien qui avait commis une faute en provoquant un traumatisme du nerf sublingual lors de l’extraction d’une dent dès lors qu’il n’était pas établi que le trajet de ce nerf présentait chez le patient une anomalie rendant son atteinte inévitable » (Civ.1ère 23/05/2000).
La Haute Cour a pareillement énoncé que commettait « une faute dans l’exécution du contrat le liant à son patient, le chirurgien dentiste qui, a l’occasion de l’extraction de dents, provoque chez ce patient des atteintes labiales et neurologiques qui n’étaient pas impliquées par la réalisation des extractions » (Civ. 1ère 9/10/2001). En l’espèce, le chirurgien-dentiste avait provoqué chez sa patiente des cicatrices labiales importantes ainsi qu’une altération du nerf mentonnier droit.
Ces décisions montrent bien l’évolution de la jurisprudence qui, dans un premier temps, a considéré que l’obligation de précision du geste de chirurgie dentaire excluait toute maladresse, pour ensuite déduire la faute du praticien de l’anormalité du résultat, et enfin estimé qu’il y a faute dès lors que le geste opératoire incriminé est étranger au but thérapeutique poursuivi.
La portée du principe
Depuis une jurisprudence établie de longue date (arrêt Mercier du 20/05/1936), les professionnels de santé sont en principe seulement tenus d’une obligation de moyens. Cette règle a été reprise par la loi du 4 mars 2002 qui énonce que les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables de leurs actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. Cependant, la responsabilité du praticien est subordonnée, en sus de l’existence d’une faute, à un préjudice et un lien de causalité. Et toute faute, quelle que soit sa gravité, peut engager la responsabilité du professionnel de santé sous réserve que le patient puisse en apporter la preuve.
Cette obligation de précision du geste de chirurgie dentaire n’est-elle pas en quelque sorte une obligation de sécurité-résultat d’absence d’incident, par exception à l’obligation de moyens incombant au praticien ? Il faut répondre par la négative, dans la mesure où une telle obligation signifie que le praticien doit s’engager à ce que l’acte opératoire technique ne soit pas cause d’une aggravation pour le malade. S’il y a obligation de sécurité, elle se limite à l’acte lui-même. Et en l’absence d’un lien de causalité entre l’acte chirurgical et le dommage, la responsabilité du praticien ne saurait être engagée.
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser sa position sur cet aspect des choses dans une décision mettant en cause un stomatologue, à la suite d’une ostéotomie de l’infrastructure maxillaire supérieure dont il est résulté une cécité de l’œil droit de la patiente. La Cour d’appel de Paris avait retenu la responsabilité du praticien, considérant qu’il était tenu d’une obligation de sécurité, l’obligeant à réparer le dommage causé par un acte chirurgical nécessaire au traitement, même en l’absence de faute, lorsque le dommage est sans rapport avec l’état antérieur du patient.
La Cour de cassation a sanctionné cette décision, énonçant qu’il s’agissait d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical, qui ne pouvait être maîtrisé, et que « la réparation des conséquences de l’aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l’égard de son patient » (1ère civ.27/03/2001). Enfin, dans une décision du 4/01/2005, postérieure à la loi du 4 mars 2002, la Cour suprême a rappelé que « la responsabilité du praticien est subordonnée à la preuve d’une faute commise dans l’accomplissement de l’acte médical »