Du choix capital du lieu d’installation
Ce cabinet est situé sur le pôle technologique international d’Archamps, à 7 Km du centre-ville d’Annemasse, à la première sortie de l’autoroute de Lyon. Il fut créé en juin 2000, au forceps : à la suite d’une association stérile et en complet désaccord avec mon associé au moment de déménager de mon cabinet précédent, il était urgent de trouver un lieu correspondant au projet des quinze futures et dernières années de mon activité, à savoir :
- prendre la distance géographique et organisationnelle nécessaire à l’étape suivante de la spécialisation constante en thérapeutiques précoces, initiée dès le début de mon exercice en 1978, et qui arrivait à saturation dans un cabinet ODF “traditionnel”, et dans un centre-ville en complet déclin social. (*)
- parachever la mise en forme des protocoles et stratégies de traitements précoces, puis les transmettre (publications, vidéos, enseignement…)
- rechercher en parallèle une associée pour la transmission, à plus long terme, de mon exercice.
Ce cabinet, le troisième de ma vie professionnelle, était censé refléter un aboutissement. En fait, il représente plutôt un défi aux lois les plus élémentaires de l’équilibre et de la prudence. En effet, il m’a fallu, en quatre mois, trouver un lieu correspondant à mes objectifs, dans une région de crise immobilière permanente donc très chère, puis transformer en un lieu fonctionnel adéquat le seul local bureautique de 250 m2 que j’ai pu trouver (en location) sur un site technologique saturé. Mais le plus difficile, de loin, fut de reformer totalement une nouvelle équipe performante pour lancer ce nouveau projet et réussir à déplacer le pôle de recrutement de ma patientèle vers la partie de la population la plus “ouverte” culturellement et économiquement, pour pouvoir envisager des stratégies globales de traitement précoce et de prévention de dysmorphoses lourdes, avec des devis correspondant aux engagements et moyens nécessaires. Et là, un deuxième conseil pour les plus jeunes : on peut changer d’implantation géographique, on peut aussi changer de staff… mais je déconseille vivement de vouloir faire les deux à la fois…
Pour n’avoir pas suivi ce sage propos, que personne ne m’a tenu et que je n’aurais sans doute pas écouté, il m’a fallu cinq ans pour pouvoir enfin dire que la phase de “début” était enfin terminée…
De l’importance première du capital humain
En quittant le lieu d’implantation précédent, j’avais gardé une seule jeune assistante qui commençait tout juste sa formation, une secrétaire recrutée par mon ex-associé et une prothésiste à mi-temps qui voulait ouvrir alors son propre laboratoire… Passée la phase de défis techniques et financiers, trop lourde à détailler, la première difficulté opérationnelle fut à la fois financière et sociale. En effet, s’il était prévu, au stade du concept, que j’allais perdre dans un premier temps, 25 % à 30 % de fréquentation avant de pouvoir remonter avec une nouvelle patientèle, cette baisse initiale ne s’est pas faite d’un coup mais elle s’est égrenée au cours des 6 premiers mois, au fur et à mesure des renouvellements de demande de prise en charge semestrielle ; si bien que j’ai dû enrôler rapidement, trop rapidement, le personnel nécessaire, qui s’est révélé ensuite trop lourd lorsque le nombre de patients traités a diminué… Il y avait alors, en plus de la secrétaire et de la première jeune assistante : la prothésiste à mi-temps, une deuxième assistante, ex-secrétaire médicale en désir de réorientation et de formation pour l’assistanat dentaire ainsi qu’une hôtesse d’accueil pour assurer le bien-être des patients en salle d’attente (thé, café, petits gâteaux, chocolats, etc…), tout en accélérant la rotation et le changement des plateaux après 17 heures. Au total, avec le collaborateur un jour et demi par semaine, cela faisait six salaires.
Cette surcharge s’est aggravée rapidement avec les congés maternité de deux assistantes dans la même année. De plus, il faut ajouter les tiraillements induits par les changements d’habitude et d’exigence pour arriver à un cabinet “centré sur le patient”, sans parler des conflits relationnels latents entre la secrétaire, l’assistante en formation de l’ancienne équipe et les deux nouvelles recrues.
En quatre ans, j’ai dû changer, peut-être à tort, quatre fois de secrétaire et trois fois d’assistante dentaire, dans une région où le recrutement est très difficile étant donné les écarts énormes entre les salaires proposés en Suisse et les nôtres, même si, ici, le niveau est en moyenne plus élevé que dans le reste du pays. Sans parler du recrutement d’une assistante dentaire spécialisée : la seule fois où j’ai voulu essayer de souder l’équipe en engageant une assistante ODF ayant acquis vingt-cinq ans d’expérience, celle-ci, (qui me demandait 2 500 € euros net par mois !) s’est révélée avoir des insuffisances en capacité d’adaptation et de développement clinique et relationnel, au grand détriment des services d’excellence dus à ma patientèle. Alors, il faut le dire : il est incompréhensible et inadmissible que dans un pays où on place si haut la barre des exigences et des contraintes pour les praticiens, il n’y ait même pas encore, auprès de chaque faculté, dans chaque région, une vraie école d’assistante dentaire, avec spécialisation pour l’ODF…
De la difficulté de rationaliser et optimiser les postes de travail
En voulant augmenter la qualité du service globalisé et individualisé, se fait plus cruciale la difficulté de répartition des tâches entre une secrétaire médicale “standard” et les assistantes dentaires : la première a parfois des difficultés à entrer plus avant dans le relationnel, au-delà de la simple prise de rendezvous ; quant aux courriers personnalisés avec manipulation informatique des photos numérisées !…
Autant commencer à zéro avec une jeune en formation sans savoir si l’investissement portera ses fruits. C’est bien joli d’avoir un super réseau informatique avec “la rolls des logiciels” (ortholeader, vraiment excellent), mais la secrétaire médicale “standard” n’a pas (ni par sa formation, ni souvent par son expérience de cabinets médicaux généralistes) les compétences informatiques suffisantes. Et même si, après de nombreuses palabres, on arrive à faire entrer les assistantes cliniques dans les capacités sophistiquées de l’informatique, pour leur faire faire des prises de rendez-vous ou leur demander de rédiger un courrier personnalisé, c’est dès lors la secrétaire qui perd son autonomie et par conséquent sa motivation… Quant à l’assistante dentaire qui commence à devancer les autres dans la manipulation informatique, il peut lui arriver de déléguer à ses collègues ses tâches moins motivantes de stérilisation.
J’ai donc essayé de faire du “développement organisationnel” comme on dit, mais sans grands résultats pour la spécificité ODF, et surtout sans disponibilité régionale pour une stratégie de développement managérial personnalisée sur site. Je comprends maintenant pourquoi certains confrères peuvent faire un constat d’échec ou de semi-échec de ce type de “stratégie”, pensant à tort que l’implémentation de nouvelles procédures organisationnelles va régler les problèmes latents d’insuffisances managériales. Le résultat fut donc que je me “tapais” des heures supplémentaires et débordantes à faire des tableaux de statistiques, des calculs de productivité, avec des réunions fastidieuses face à une équipe clinique, qui, il faut le comprendre n’a pas de propension naturelle à traiter des chiffres. Je devais donc faire front contre un certain scepticisme, une opposition “naturelle” au changement, accentuée par l’inquiétude liée à l’instabilité de la situation de réorganisation. Ce fut donc un non-lieu avec constat d’impuissance.
Pour résoudre ce problème humain, le coaching “généraliste” à orientation plus économiste que psychosociale est donc sans grande utilité, en particulier pour les cabinets spécialisés et cabinets de groupe. D’autant plus lorsque tout est “géré” à distance, par téléphone,
sans avoir plongé au moins plusieurs journées dans l’activité à chaud du cabinet, pour prendre le temps d’observer les tensions et les rapports de forces ou d’influences entre les membres de l’équipe. Le découragement et la lassitude, sublimés par les remarques répétées de l’entourage autant professionnel que privé (tu mets la barre trop haut… tu demandes l’impossible… la perfection n’existe pas…) commençaient à me submerger dangereusement lorsque j’ai compris, suite à la lecture d’un article à orientation RH, que la solution consistait dans le recrutement et l’accompagnement managérial stratégique d’une assistante de direction de haut niveau.
Il faut donc que nos confrères comprennent que le développement organisationnel (gestion des rendez- vous, tableaux de bord & statistiques, productivité…) n’a rien à voir avec le développement managérial (gestion & développement des ressources humaines d’un cabinet dentaire), et que ces deux domaines font appel à un sens de l’expertise complètement différent.
De l’inversion de la dynamique
Étant donné qu’à grands frais et grandes peines j’avais réussi à restreindre l’équipe, “allégée” par ailleurs des deux “accouchées” (dont l’une avait donné sa démission pour changer de région et l’autre avait pris deux ans de congé parental), le début fut assez rapide puisque nous étions en phase de sélection puis d’installation de la secrétaire de direction adéquate. Cette phase fut un succès pour plusieurs raisons stratégiques. Tout d’abord, la méthode de recrutement et de véritable “vente du poste” collective, en convoquant, hors présence du praticien, dans une salle des conférences d’un hôtel “newlook” de la région, toutes les candidates présélectionnées sur la base d’une diffusion d’offres d’envergure nationale. Car il faut comprendre que c’est la notoriété du cabinet de management qui seule permet de drainer des candidatures de qualité en quantité.
Puis ensuite, après cette présentation collective en bonne et due forme auprès des quinze candidates présélectionnées (sur la base de plus de 80 CV’s pertinents), il y eut, au cours de la même journée, un défilé d’entretiens privés pour chacune d’elles avec le spécialiste, suivi d’une mise en situation et d’une épreuve de motivation.
Ensuite, dans la semaine suivante a eu lieu une convocation au cabinet pour entretien individuel avec moi-même et mon staff, de la short-list des six premières sélectionnées. Enfin, via une série d’entretiens téléphoniques avec le spécialiste qui avait lui, sans rien me dire avant ou pendant mes entretiens pour ne pas m’influencer, une petite idée du meilleur choix grâce à la connaissance et à l’analyse des dossiers, nous sommes rapidement arrivés à la bonne conclusion. L’intégration fut en particulier facilitée par l’encadrement managérial, (“externalisation du management” comme ils disent). Tout le monde avait vraiment besoin de trouver certes “la bonne personne” et surtout à la bonne place, et puis la stratégie du choix était efficace : les compétences et les qualités d’une assistante de direction n’ont effectivement rien à voir avec celles d’une secrétaire polyvalente, fut-elle médicale, en particulier lorsqu’il s’agit de mettre en place auprès de chaque parent une stratégie de communication personnalisée, après la présentation du bilan et du plan de traitement.
De même, son implication dans le suivi relationnel avec les patients mais aussi les correspondants, insuffle une nouvelle dynamique dans le recrutement et la potentialisation de la nouvelle patientèle. Toute la partie relationnelle est beaucoup plus fluide, les parents savent que l’ensemble est bien géré et il n’y a pratiquement plus de conflit relationnel avec les mères (la partie va encore s’améliorer avec les stages de formation en psychologie avec G. Choukroun, en cours… ). Et puis les qualités propres à la secrétaire ont fait le reste. Il faut reconnaître que le challenge se complique avec la montée en importance des cas précoces traités : 50% du nombre total des dossiers traités en “précoce” ne se gèrent pas du tout comme 5% ou 10% : il n’y a qu’à penser au nombre de dossiers en “interruption” que ça représente : paperasse, moulages et rendez-vous superfétatoires compris…
Et aujourd’hui
Un an après, nous commençons à voir les résultats de nos efforts : la trésorerie se stabilise : nous arrivons à faire le même CA que deux ans auparavant avec deux salaires de moins, tout en étant passé à 35H par semaine ! Par ailleurs, nous sommes restés avec 25% de dossiers en moins étant donné que la patientèle s’est presque complètement renouvelée dans le sens souhaité : c’est-à-dire que les devis ont pu être réajustés à 25 % de plus… Je peux enfin dire que nous sommes honorés à la hauteur des investissements et des efforts permanents mis en place : le savoir-faire est rejoint par le faire savoir… Nous pouvons envisager maintenant de passer à la phase 2 : recruter une deuxième assistante clinique afin de seconder notre prothésiste Loïc et mon assistante clinique Valérie, et puis enfin trouver, en vue d’association, une consœur intéressée par la reprise progressive des dossiers en traitement “classique“ afin de continuer à assumer de plus en plus la montée en nombre des traitements précoces.
Le point de vue de l’Assistante de direction, Catherine
Depuis un an déjà, date à laquelle j’ai pris mes fonctions au sein de la Clinique d’Orthopédie dento-faciale du Docteur Lacroix, mon rôle a surtout consisté, mises à part mes tâches administratives, à redonner une image confiante et positive du cabinet. Le turn-over des “secrétaires polyvalentes” qui m’ont précédées ainsi que l’accumulation d’erreurs diverses et récurrentes avaient laissé quelque peu planer un doute sur le “sérieux” du cabinet, créant en interne un climat d’insatisfaction générale. Je peux dire qu’aujourd’hui ce climat a disparu, et pour preuve, de nombreux parents m’ont confié leur soulagement d’avoir enfin des informations claires et pertinentes sur le suivi de leur dossier.
Je savais très bien que le poste d’assistante de direction dentaire était bien plus complexe que celui d’une “secrétaire polyvalente” ou même médicale, dans le sens où, dans l’ombre du patron, elle est une véritable collaboratrice administrative et assistante de communication, pilier de la coordination et de la médiation entre les parents / patients et le praticien. Il va aussi de soi que pour que l’assistante de direction réalise parfaitement ses tâches, l’esprit d’équipe et la mobilisation complète et unanime de l’ensemble de l’équipe sont capitales. La structure d’un cabinet dentaire n’a rien à voir avec celle d’une entreprise, et chaque ressource humaine, praticien, assistante dentaire, prothésiste, assistante de direction, représente, à un même niveau, un maillon indissociable de cette chaîne humaine et technique.
(*) Il y a une chose dont on parle très peu durant notre formation et qui me semble très importante à souligner pour nos jeunes confrères : il s’agit du choix capital du lieu d’implantation pour son futur exercice, car ce lieu géographique doublé de cet environnement social, va ensuite coller à la peau du praticien et conditionner tout le reste de sa vie. Il ne s’agit pas seulement de bien penser la chose en termes économiques, ça c’est évident et tout le monde essaie de l’observer avec plus ou moins de bonheur…Bien plus loin que ça, il s’agit de bien s’introspecter soi-même pour être au clair avec ses objectifs de carrière et de vie privée, et ensuite analyser le milieu social et humain, en termes d’énergie sociale, de richesse culturelle, de dynamique industrielle et de potentiel d’évolutivité humaine pour essayer de voir si les deux coïncident…