La soirée du 13 décembre 2007 dédiée à l’endodontie s’est déroulée dans une ambiance très amicale presque familiale, organisée par le Cercle d’Odontologie et d’Echange Franco-Israélien. Nous avons assisté à une conférence d’exception sur une discipline qui fait partie du quotidien de la plupart des chirurgiens-dentistes.
Un duo imbattable, constitué par les Docteurs David Bensoussan et Hervé Uzan, à tenu en haleine l’assistance tout au long de la soirée. Le dynamisme de ces deux orateurs a permis de répondre avec précision aux nombreuses questions, orchestré de main de maître par le Dr Jean-Yves Doukhan. Ses précisions très pertinentes associées aux propos de nos conférenciers ont permis de répondre aux questions que se posent quotidiennement les omnipraticiens. L’endodontiste traite les maladies de la pulpe et les maladies péri-radiculaires.
Cette discipline est réputée complexe et particulièrement difficile ; elle nécessite de nombreuses connaissances théoriques et pratiques ainsi qu’une grande expérience.
Malheureusement la réalité est toute autre et les endodontistes sont considérés comme étant les spécialistes de l’extrême, voire de l’impossible. Quotidiennement, ils sont confrontés à des situations de plus en plus difficiles : instruments cassés, système endodontique perforé, foramen apical déchiré, reconstitution intra-canalaire iatrogéne à éliminer, etc. qu’ils arrivent la plupart du temps à réaliser grâce à leur grande expérience et à un plateau technique extrêmement complexe et complet. Ils rencontrent également de plus en plus de cas limites où ils ne peuvent plus intervenir : de dents en phase terminales et/ou fracturées (Fig.1 INTRO).
Se mettre sans cesse en question, définir ses limites, s’imposer une rigueur de travail dont il ne faut pas s’écarter, sont les lignes de conduite qu’ont développés en toile de fond nos deux spécialistes.
Conservation de la vitalité pulpaire
Dr David C. Bensoussan
Le Dr David C. Bensoussan a commencé la soirée en proposant une répartition des dentistes en deux catégories distinctes :
- Les PULP LOVER, qui veulent garder les dents pulpées, et ce quel que soit le nombre d’agressions que la pulpe a subies.
- Les PULP KILLER qui, systématiquement, dépulpent les dents.
L’attitude à adopter devra tenir compte des contraintes esthétiques, mécaniques et fonctionnelles, sachant que la dentine ne subie aucune modification de ses propriétés mécaniques, que la dent soit pulpée ou non. La fragilité d’une dent est directement proportionnelle à la perte de sa structure (Sedgley CM, Messer HH, JE 1992). Pour garder les dents vivantes dans des bonnes conditions, il est impératif de réduire la durée du traitement, de minimiser les agressions (taille, empreinte) et de poser des provisoires véritablement étanches et bien adaptées.
L’urgence en endodontie
Dr Hervé Uzan
L’urgence en endodontie est un des actes les plus difficiles à gérer dans le quotidien du chirurgien-dentiste, car il faut prendre en compte le stress et la douleur du patient ainsi que la désorganisation de l’agenda liée à la prise en charge de l’urgence. Après avoir fait l’anamnèse et établi le diagnostic, le praticien doit agir rapidement et efficacement. Le Dr Uzan nous a présenté des schémas très précis sur la conduite à tenir face aux différentes situations d’urgence en endodontie. Il a insisté sur l’importance du champ opératoire à utiliser systématiquement pour toute intervention endodontique, sous peine d’être confronté à une urgence pouvant devenir mortelle, telle que l’ingestion d’instruments (Fig. I.2 : illustration d’une lime retrouvée dans l’intestin du patient dirigé en urgence à l’hôpital et décédé quelques heures après perforation de la paroi).
Endodontie versus Implantologie : racine naturelle ou artificielle ?
Dr David C. Bensoussan
Chaque jour, les endodontistes repoussent les limites du retraitement endodontique en traitant des perforations et en retirant des instruments fracturés. Toutefois, il ne faut pas oublier la place que va occuper cette dent dans la réhabilitation globale. En effet, une dent incluse dans une réhabilitation scellée intéressant le maxillaire ou la mandibule ne devra pas être le pilier le pus faible. En revanche, une dent unitaire si elle ne peut pas mettre en péril le support parodontal pourra faire l’objet des traitements plus poussés (traitement des perforations, microchirurgie).
Il reste cependant des indications strictes d’extractions : les fêlures et les fractures. Leur diagnostic est fait lors du sondage parodontal pour les dents présentant une perte d’attache ponctiforme.
Il ne faut pas nier le succès de l’ostéointégration, qui peut rendre de grands services à nos patients, à condition de procéder à l’extraction tant qu’ il y a encore de l’os (Fig. I.3.a, b, c). L’endodontie peut être mise au service de l’implantologie, pour l’obtention d’une réparation osseuse sur des lésions de grande étendue (Fig. 1.3 d, e).
Le pré-traitement, le champ opératoire, la cavité d’accès
Dr Hervé Uzan
Pour mener à bien le traitement endodontique, trois étapes sont à respecter scrupuleusement : rétablir les quatre parois coronaires lors du pré-traitement, afin de pouvoir mettre en place un champ opératoire étanche et de pouvoir réaliser une cavité d’accès optimale.
Le pré-traitement
La perte de structure coronaire doit être restaurée avant la réalisation du traitement endodontique. La carie doit être totalement éliminée et ensuite restaurée. Dans le cas d’un faible délabrement, on pourra restaurer la dent à l’aide d’un simple verre ionomère. Mais pour des pertes de structure plus importantes, l’utilisation de la bague de cuivre est incontournable afin de restaurer la totalité des parois coronaires (Fig. I.4 a : pose d’une bague de cuivre).
Le champ opératoire
Il est capital d’assurer l’asepsie pendant le traitement endodontique. Les bénéfices obtenus grâce à l’utilisation de la digue étanche sont indiscutables (Fig. I.4.b).
La cavité d’accès
La cavité d’accès reconstituée de ses quatre parois va devenir un réservoir à la solution d’irrigation qui jouera son rôle primordial dans la décontamination.
Concernant le secteur antérieur, le Dr Uzan a mis en avant deux problèmes majeurs rencontrés au niveau de ce secteur :
- La première difficulté concerne la présence d’ interférences coronaires qui seront à éliminer afin de respecter des objectifs de la cavité d’accès.
- La deuxième est lié à l’orientation de ces dents sur l’arcade dont il faut tenir compte, afin de ne pas perforer ces dents en vestibulaire.
Concernant le secteur postérieur, il a insisté sur l’importance de l’élimination complète du plafond de la chambre pulpaire.
Fiabilité de la radio numérique en endodontie
Dr David Bensoussan
Pendant longtemps, les endodontistes ont été réfractaires à l’utilisation de la radio numérique pour des problèmes de définition et de taille des capteurs. Aujourd’hui, la radiographie argentique a quasiment totalement disparue dans la plupart des cabinets, laissant la place au numérique et aux nombreuses possibilités offertes par des logiciels pour retraiter les images (Fig. II.1.a : Rx argentique, Fig. II.1.b : Rx numérique).
Rationalisation et ergonomie en endodontie : le plateau technique
Dr Hervé Uzan
Le plateau technique reste, avec le facteur humain, la clé du succès en endodontie, l’un ne pouvant pas fonctionner sans l’autre. Durant toute la soirée, nos conférenciers n’ont cessé d’insister sur l’importance du champ opératoire et de la nécessité de posséder un arsenal instrumental extrêmement varié afin de pouvoir faire face à toutes les situations. Néanmoins, la cassette endodontique de base reste l’élément clé indispensable à posséder. Dans un souci d’ergonomie, il nous propose une liste d’instruments regroupés au sein d’une même cassette (Fig. II.2.a).
- Miroir – Front de surface
- Précelle – Hu-Friedy DP1
- Sonde – Hu-Friedy DG16
- Sonde parodontale
- Spatule de bouche
- Spatule à ciment
- Excavateur 31L Hu-Friedy
- Fouloir à gutta (P. Machtou)
- Ciseau
- Pince hémostatique
- Angulateur de Rinn
- Seringue anesthésique
- Boite fraises (boule, conique, cylindrique, flamme,
- Digue et crampons, boite à crampons, cadre à digue, pince à crampons HU – FRIEDY
- Plaque de verre
- Endoring
Faut-il retraiter systématiquement une dent à couronner ?
Dr David Bensoussan
Pour le Dr Bensoussan, la réponse est « oui », du moins si l’on se sent capable d’améliorer le traitement précédent. Le seul fait qu’il n y ait pas des lésions visibles ou une symptomatologie n’est pas suffisant pour décider d’une non intervention.
Si l’on doit prendre un ancrage radiculaire, le retraitement sera systématique. En revanche, en présence de reconstructions corono-radiculaires complexes et fragilisantes, l’abstention thérapeutique pourra être la solution de choix.
Une analyse du risque devra être discutée avec le patient. Dans certains cas, demander l’avis de l’endodontiste est conseillé.
Dépose d’une couronne, d’un inlaycore avant traitement endodontique
Dr Hervé Uzan
Le descellement d’une couronne définitive à l’aide d’un arrache couronne est à proscrire, car le stress imposé sur la structure coronaire et radiculaire est trop important et dangereux. Sans être obligé de faire appel aux découpages complets, l’utilisation du WAMkey® permet de déposer la structure coronaire avec plus de sécurité et de confort pour le patient (Fig. II.4.a).
Concernant la dépose des inlay core à clavettes, il est indispensable dans un premier temps d’isoler les tenons un à un à l’aide de fraise transmétal, et de les extraire canal par canal. Les moyens sont nombreux : système Anthogyr ® (Fig. II.4.b), ultrasons, extracteur de Gonon®… Le Dr Jean-Yves Doukhan attire notre attention sur le fait que nous avons l’obligation de faire signer un consentement éclairé au patient car le risque d’éclatement des racines est important.
Médication intracanalaire et interséances
Dr David Bensoussan
Aujourd’hui, les progrès de l’endodontie sont tels que la plupart des dents sont traitées en une séance. Dans les rares cas où l’obturation doit être repoussée (impossibilité d’obtenir un canal sec etc.), il ne faut pas retenir comme médication canalaire que l’hypochlorite de sodium, voire l’hydroxyde de calcium.
Les antiseptiques utilisés pendant des nombreuses années sont systématiquement abandonnées car trop agressifs pour les cellules vivantes.
Importance de l’irrigation du système canalaire
Dr Hervé Uzan
La solution d’irrigation a pour but l’élimination les tissus vivants ou nécrosés, les bactéries et les débris organiques.
L’action chimique antiseptique et solvante est obtenue grâce à l’hypochlorite de sodium concentré à 3 %. Le Dr Uzan a surtout insisté sur l’importance de la mise en forme canalaire qui permet un renouvellement efficace de l’irrigation et un apport suffisant de chlore actif. Il préconise l’utilisation d’une seringue de 10 CC en début de mise en forme et de 5 CC munie d’une aiguille de petit calibre avec sortie latérale en phase finale (Fig. II.6.a).
Un très bon instrument à utiliser sans modération est le Endoactivator qui fait vibrer un insert en plastic et par un effet de cavitation il fait ressortir les débris présents dans le canal (Fig. II.6.b). L’élimination de la smear layer se fera à l’aide de l’EDTA à 17%.
Longueur de travail et localisateur d’apex
Dr David Bensoussan
Est-ce que la simple radiographie peut nous donner la longueur de travail de manière précise ? La réponse du Dr D Bensoussan est non. Il nous conseille vivement l’utilisation du localisateur d’apex qui présente une fiabilité de 98 %. Cependant, il s’agit d’employer un repère coronaire fiable et de ne pas avoir de dérivation avec le milieu buccal.
La réponse donné est une réponse tout ou rien, à savoir que les graduations avant le repère apex n’ont aucune valeur. Une confirmation de la longueur de travail se fera avec les points de papier stérile qui doivent être sèches à la longueur d’obturation (Fig. II.7.a, Fig. II.7.b). Le Dr J.-Y. Doukhan a attiré notre attention sur la fiabilité des indicateurs de mesure du localisateur d’apex en fonction de l’usure des piles.
Quand faire appel à la chirurgie endodontique ?
Dr Hervé Uzan
La micro-chirurgie doit être considérée comme étant le traitement complémentaire du traitement orthograde. Si celui-ci n’est pas satisfaisant, il faut absolument le reprendre et attendre six mois afin d’évaluer la lésion péri-radiculaire. On peut réaliser la micro-chirurgie sans attendre, si la structure apicale est détériorée suite à des manœuvres iatrogénes.
Dans des situations extrêmes, on peut envisager la micro-chirurgie en première intention face à des obstacles intra-canalaires incontournables et non démontables (Fig. II.8.a, b, c).
Conséquence d’un instrument cassé dans un canal
Dr David Bensoussan
Casser un instrument dans un canal… Qui peut se vanter de ne jamais avoir vécu cela ? C’est un accident qui arrive à tout le monde, spécialiste ou pas.
Premier conseil : respirer profondément et ne rien faire dans la précipitation. Evaluer les possibilités de le récupérer, et si le cas est trop difficile, penser à fermer la dent et référer le patient. Eviter de délabrer la racine car la plupart de temps, en essayant de sortir le bout d’instrument, la racine devient inutilisable.
Deuxième conseil : Ne pas tenter de récupérer l’instrument sans avoir un plateau technique adéquat pour ne pas aggraver la situation (par exemple, casser le deuxième instrument, perforer la racine). Il faut situer l’instrument fracturé, à quel niveau (hauteur du canal) l’accident est-il arrivé, et comparer avec le morceau qui nous reste dans la main. Si la fracture survient sur les trois derniers millimètres apicaux, il n y a aucune chance de la retirer sauf dans le cas d’une incisive centrale.
Trouver les causes de la fracture (interférences coronaires) et les éliminer avant de remettre le deuxième instrument dans le canal.
Il faut tenter à côté de l’instrument fracturé pour ramener les solutions d’irrigation au-delà de celui-ci, obturer des racines et mettre la dent sous surveillance (Fig. II.9.a, b).
Préparer, obturer et reconstituer en une séance
Dr Hervé Uzan
Un traitement endodontique ne doit jamais être considéré comme terminé tant que la reconstitution coronaire n’est pas réalisée. Plusieurs études ont montré qu’un colorant déposé au niveau coronaire d’un canal parfaitement obturé se retrouvait en trois jours au niveau apical. Il en était de même avec des endotoxines qui se sont retrouvées au niveau apical en 20 jours, et 30 jours pour des bactéries.
Le Dr Uzan nous conseille donc de réaliser les reconstitutions coronaires le plus rapidement possibles dès la fin du traitement endodontique et nous rappelle qu’une couronne provisoire en résine muni d’un tenon n’est pas étanche. Il est donc primordial d’assurer une étanchéité coronaire à l’aide soit d’inlay core, soit d’un verre ionomère, d’un amalgame ou d’un autre type de matériau sur lequel on pourra y ajouter une couronne provisoire avant de passer à la reconstitution définitive (Fig. II.10. a, b).
Conclusion
L’endodontie est une discipline intéressante sur laquelle va se reposer l’intégralité de la reconstruction prothétique. Le but ultime étant de restaurer la fonction de la dent la connaissance de ses limites permet de rendre un véritable service au patient.
Conférence rapportée par Adriana Agachi
Remerciements aux Docteurs Hervé Uzan et David C.
Bensoussan pour leur précieuse collaboration. Leurs remarques et commentaires m’ont beaucoup aidée. Ainsi qu’à Me Issmate Houssen et à Me Carole Lim pour leur gentillesse et le temps accordé.
Bibliographie
1. Burns RC, Cohen S, Pathway of the pulp, Elsevier
2. Machtou P, Endodontie, Guide Clinique, CdP,
3. Pertot W-J, Simon S, Réussir le traitement endodontique, Quintessence
4. Sedgley CM, Messer HH, Are endodontically treated teeth more brittle ? Journal of Endodontics 1992 Jul; 18(7):332-5